Stress post-traumatique
Sirius était sous le choc. En vérité, il n'était pas le seul : Lupin et Tonks n'osaient plus se regarder, Mondingus semblait avoir perdu l'usage de la parole et Molly avait fondu en larmes. Seul Hagrid prenait la chose avec philosophie.
« Y a pas à avoir honte de ses sentiments », déclara-t-il sobrement en haussant les épaules.
Rogue oscillait entre la satisfaction sadique, une certaine frustration d'avoir tiré Black de ce mauvais pas avant que tout soit consommé, et l'horreur la plus pure à l'idée que lui-même était passé très près de la catastrophe. Il n'avait dû son salut qu'au retour inopiné de Fol Œil accompagné d'Abelforth Dumbledore qu'il avait invité à dîner. Rogue avait aussitôt remis dans le panier la pomme d'amour qu'il venait d'y prendre ; c'était uniquement pour l'examiner, assura-t-il, soucieux de sa réputation, car les sucreries lui soulevaient le cœur.
En découvrant la horde massée derrière la porte de la chambre de Sirius, Maugrey avait aussitôt dégainé sa baguette en croyant à une attaque ; heureusement, Abelforth l'avait retenu avant qu'il ait décimé la moitié de l'Ordre pour secourir son ami. Comprenant très vite ce qui se passait, Rogue avait aussitôt filé vers la réserve d'ingrédients pour potions où il avait en quelques minutes concocté un antidote au puissant philtre d'amour évidemment à l'œuvre, tout en poussant les ricanements les plus méphistophéliques que cette maison, pourtant accoutumée aux mages noirs, ait jamais entendus. À présent, ils étaient tous rassemblés dans le salon, et personne ne semblait très bien savoir ce qu'il convenait de faire. Au bout d'un moment, Abelforth se racla la gorge.
« Hagrid, tu pourrais peut-être raccompagner Molly et Mondingus chez eux avant de rentrer à Poudlard ? suggéra-t-il. Severus s'occupera de Remus et Tonks.
- Je ne suis pas pressé de partir, répliqua aussitôt Rogue – pour rien au monde il n'aurait manqué la suite du spectacle ! – Il nous faut d'abord élucider ce qui s'est produit.
- J'ai une petite idée, gronda Maugrey dans sa barbe.
- P… personne n'a… besoin de savoir, n'est-ce pas ? sanglota Molly, son visage en larmes rouge de honte. Je veux dire…
- C'était un philtre d'amour, Molly, dit Remus avec douceur. Arthur n'a aucune raison de t'en vouloir.
- Je suis tellement désolée ! s'exclama soudain Tonks. Toutes ces choses affreuses que j'ai dites…
- C'est oublié, ma chérie », assura Molly en lui tapotant la main.
Rogue leva les yeux au ciel. Pitié, pas de guimauve après la pomme d'amour !
***
En définitive, Hagrid s'en alla avec Molly et Mondingus, Tonks avec Lupin : patraque, le loup-garou risquait de se désartibuler s'il transplanait tout seul. Les derniers occupants du salon du 12, square Grimmaurd échangeaient de sombres regards, à l'exception de Sirius, toujours prostré sur le canapé, silencieux. Ce fut Maugrey qui finit par prendre la parole.
« Je crois qu'on a tous compris ce qui s'est passé, affirma-t-il d'un air sombre. Les pommes d'amour étaient piégées. Où est cette petite crapule fouineuse de Kreattur ? »
Rogue émit un toussotement discret.
« Je n'ai pas besoin de te rappeler comment fonctionnent les philtres d'amour, n'est-ce pas, Maugrey ? » susurra-t-il.
Les trois autres comprirent très bien l'allusion : puisque la victime d'un tel philtre tombait amoureuse de la personne qui l'avait versé, une seule conclusion s'imposait, qui eut l'avantage de tirer Sirius de son apathie.
« Nom d'un dragon, tu crois que c'est moi qui ai piégé les pommes ? s'indigna-t-il, furieux.
- Non, Black, corrigea Rogue d'un ton doucereux, je sais que c'est toi qui as piégé les pommes.
- Sirius a dû verser le philtre, nuança Abelforth en lui lançant un regard d'avertissement de sous ses sourcils broussailleux. Mais il a très bien pu le faire à son insu.
- Kreattur a trafiqué les ingrédients, affirma Maugrey. Il savait que je vérifierai l'absence de poison, mais le philtre d'amour n'en est pas un. Ah, c'était bien joué… L'immonde petite charogne ! Où est-il allé se fourrer ? Appelle-le, Sirius ! »
Rentré bien plus tôt des commissions, Kreattur s'était caché pour suivre de loin l'évolution des événements : puisque son maître honni n'était pas en danger de mort, il n'avait aucune obligation de lui porter secours. Convoqué par Sirius, il se matérialisa dans le salon avec un « pop » sonore et reconnut aussitôt les faits qui lui étaient reprochés.
« Comment as-tu pu avoir une idée aussi tordue ? gronda Maugrey en couvant l'elfe d'un regard menaçant.
- Le philtre était l'idée de Miss Bella, reconnut Kreattur avec modestie. Kreattur a seulement pensé aux pommes d'amour.
- Miss Bella ? s'étrangla Rogue. Bellatrix Lestrange ? »
Kreattur confirma d'un hochement de tête qui fit battre ses grandes oreilles. Maugrey poussa alors un rugissement à faire trembler les vitres.
« Par le sang-dragon et tous les poils de la barbe de Merlin ! Alors c'était elle, hein ? Depuis le début, c'était elle ? Les fleurs, les chocolats, les petits gâteaux… Tout ça, c'était elle ! Parle, charogne ! »
Le sourire qui se dessina lentement sur le visage ridé de l'elfe ne plut pas du tout à Sirius.
« Miss Bella n'est pour rien dans tout cela, non, Monsieur, répondit-il.
- Tu mens comme tu respires, canaille ! riposta Fol Œil.
- Non, Monsieur, s'entêta Kreattur. Miss Bella a donné le philtre d'amour à Kreattur mais elle n'a rien à voir avec la persécution dont Mr Maugrey a été victime, Kreattur peut vous l'assurer. Oh oui, il le peut, sans l'ombre d'un doute, ricana-t-il.
- Mais tu sais qui est derrière tout ça ?
- Oh oui, Monsieur ! affirma l'elfe en hochant vigoureusement la tête avant que Sirius ait pu intervenir.
- Alors, parle ! Qui est-ce ? »
Le sourire de Kreattur s'élargit, découvrant ses gencives édentées. Les yeux rivés sur l'elfe, le magique tremblotant dans son orbite comme s'il allait en jaillir, Maugrey retenait son souffle. Sirius n'aurait pas eu l'air plus défait face à cent Détraqueurs. Rogue l'observait du coin de l'œil, gravant dans sa mémoire chaque détail de son visage grisâtre épouvanté : un souvenir qu'il chérirait entre tous. Et Abelforth, qui savait tout mais s'était bien gardé jusque-là de se mêler de cette affaire, conscient que quelque chose de terrible était sur le point de se produire, glissa une main dans la poche où se trouvait sa baguette et fronça un peu plus ses sourcils broussailleux.