— Comment vas-tu Emilynn depuis la dernière fois ?
Je ne réponds pas, j’ai envie de lui jeter son parchemin à la figure et de partir d’ici. Il respire la confiance en lui ce qui n’est pas quelque chose de mal en soi, sauf qu’il en a trop et il oublie beaucoup trop de se remettre en question.
Je le déteste.
— Emilynn, je t’ai posé une question.
Ça fait dix jours que je suis rentrée de Poudlard. Deux fois que je le vois et jusque-là, je parviens à rester silencieuse. Les parents d’Hermione ont fait une demande pour m’héberger deux semaines, puis les parents de Ron et des jumeaux ont demandé trois semaines. Entre temps, il y a la pleine lune, c’est parfait, je n’aurai plus à rester dans cet orphelinat affreux.
— Emilynn, je trouve que tu régresses.
J’ai malheureusement toujours l’obligation d’aller à ces entretiens avec le Mage Brook.
— Avant, tu réagissais au moins à mes questions. Je me demande si tu comprends toujours quand je parle.
Absolument, dès que tu ouvres ta bouche, je ne parle plus l’anglais. C’est fou non ?
— Cependant, en voyant tes résultats scolaires, cela ne me paraît pas cohérent.
Bravo génie.
— Emilynn, j’ai bien saisi que tu entretenais une certaine animosité envers moi. J’aimerais comprendre pourquoi…
Apprends déjà à écouter.
— Je suis sûr que tu es une jeune fille très intelligente…
Cette condescendance…
— Et nous pourrions trouver un terrain d’entente, d’autant plus que…
Il se tait, m’observant, pour capter un certain intérêt dans le regard. Il rêve, je ne lui ferai pas ce plaisir.
— Avec le soutien d’Albus Dumbledore, ton père a fait une demande de réévaluation de votre cas.
Cette fois-ci à sa pause, je réagis et le regarde fixement. Il joue sur mes nerfs, savoure le pouvoir de ses mots sur moi. Je reste silencieuse, garde les poings serrés sur mon short d’uniforme tout en respirant calmement le temps qu’il reprenne.
— Au vu des derniers événements qui se sont produits lorsque tu vivais chez ta grand-mère, le Ministère a décidé de se montrer clément malgré la lycanthropie de ton père. En fonction de ton comportement cette année, nous pouvons envisager une rencontre l’été prochain.
Un an… Un an et je pourrai le revoir. Ça me paraît surréaliste.
— Mais il va falloir être sage. C’est un bon début, tu as de bonnes notes à l’école, il y a quelques retenues auxquelles il faudra faire attention toutefois. Quant à ton père, il a trouvé un travail et a déjà un logement puisqu’il est propriétaire de l’appartement où vous viviez avec ta maman. C’est vraiment un bon début, dit-il en hochant la tête. Toutefois, tu t’obstines à ne pas me parler, venir ici n’est pas suffisant. Tu dois aussi faire preuve de coopération, m’expliquer ce que tu ressens.
Ok, message compris.
— Alors Emilynn, comment vas-tu ?
Il se recule sur son siège et croise ses mains sur son ventre, me scrutant avec ses yeux. Au prix d’un long effort, je finis par lâcher un simple :
— Bien.
— Mais encore ? Es-tu contente de revenir à Norwalk ?
— Non.
— Tu retrouves pourtant tes camarades de chambre.
J’hausse les épaules.
— Et comment te sens-tu de passer quelque temps chez ton amie ?
— Bien.
Il soupire. Je ne fais pas assez d’efforts, ça se voit. Je me force un peu.
— Je suis contente.
— Bien. Emilynn, nous allons nous arrêter là. Nous nous revoyons dans deux semaines.
Je quitte la pièce avec un espoir fou, celui de revoir mon père.
*****
— Et vous êtes dans quelle école déjà ?
On échange un regard avec Hermione.
— Un internat près de l’île de Skye, dit-elle avec un sourire.
Le mensonge passe tout doucement et son oncle repart satisfait.
— C’est quoi la version officielle ?
— Oh, que nous sommes dans le même internat dans le nord du pays. Que c’est une école privée assez discrète, mais qui permet de faire de bonnes études au plein air.
Je la regarde avec un air sceptique ce qui la fait rire.
— Oh, officiellement, nous nous sommes rencontrées au cours d’aviron !
— Pourquoi pas plutôt rugby ? J’ai aucune idée de comment on fait de l’aviron.
— Ok, alors on s’est rencontrées en cours d’aviron, mais on n’aimait pas ça et on n’y comprenait rien alors on fait du rugby maintenant, sauf…
— Sauf que quoi ? C’est parfait.
— Sauf que l’on n’a pas vraiment le physique de rugbywomen, ajoute t-elle en rigolant.
Mon rire se joint au sien alors que je la pousse doucement.
— Parle pour toi !
Elle me tire la langue et m'entraîne à une table sous un parasol. Son père vient de déposer une assiette de grillades et de légumes. C’est l’été et les gens normaux, semble t-il, font des barbecues en famille. Les grands-parents d’Hermione sont là ainsi que le frère de son père et sa famille. Tout le monde se connaît, ils évoquent des souvenirs d’enfance, promettent de s’appeler plus souvent, rigolent fort comme pour oublier qu’ils ne tiendront pas cette promesse…
Ce n’est pas chez moi, cela ne le sera jamais, la vie, ses aléas, les traumas et les démons m’ont été amenés comme ça avec une petite note qui indiquait « débrouille toi ». Pourtant je me sens bien ici, Hermione est à mes côtés, prévenante, elle ne me laisse jamais seule et je ne me sens jamais seule. Je crois que c’est parce qu’elle aussi sait que cet endroit, ce n’est pas elle.
Plus elle.
Peut-être cela n’a jamais été sa place ?
— Ça va ? dit-elle comme si elle devinait que le silence chez moi signifiait mauvaises pensées.
— Oui. Merci de m’accueillir.
Elle salue ma remarque d’un geste de la main désinvolte comme à chaque fois que je la remercie. Cela ne m’empêchera pas de recommencer, et elle le sait bien.
— Tu penses que tu es contente d’être ici, devine t-elle.
J’acquiesce, la laissant poursuivre. Elle finit de se servir de l’eau avant de reprendre.
— Je ne vais pas te mentir, en voyant l’orphelinat, j’ai compris pourquoi tu étais si renfermée.
Elle est venue avec ses parents me chercher. Fait exceptionnel, ils sont venus jusqu’au dortoir pour chercher ma malle, Mr Bruce s’est fait un lumbago, il vieillit et Mrs Firmin doit apprendre à se débrouiller sans lui.
J’ai bien vu sur leurs visages que l’austérité des lieux, le manque de lumière, de joie, les surprennaient pour un endroit censé accueillir des enfants. Jusque là, Hermione n’avait pas abordé le sujet, toutefois sa mère oui. Olivia, est adorable, elle est pleine de considération et nous traite toutes les deux comme des adultes. Elle est douce, comme les mamans, je devine, et je sens que Hermione pourrait tout lui dire, elle l’aimerait toujours autant.
Ça m’émeut à chaque fois que j’y pense.
Olivia était venue me voir un soir alors qu’Hermione était partie je-ne-sais-où, me laissant seule dans sa chambre quelques instants. Elle s’était assise sur le lit et m’avait un peu parlé, cherchant à comprendre ma situation. Je lui ai dit que ma mère était décédée, elle n’a pas cherché plus loin. Je ne sais pas ce qu’elle cherchait exactement comme information, peut-être juste souhaitait-elle plus comprendre qui était la personne qui vivait chez elle durant deux semaines. Ou alors… Ou alors je l’intéressais vraiment et elle s’inquiétait pour moi.
— Oui, ce n’est pas la meilleure location de vacances, dis-je avec la voix un peu grippée.
— Tu y es depuis toujours ?
Je secoue la tête. Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à lui dire la vérité ? À lui parler de mon père, de ma grand-mère qui m’a enlevée à lui, de ce que j’ai vécu au Square Grimmaurd, de mon arrivée à l’orphelinat ? Parce que je sais qu’elle chercherait à tout comprendre. Et que lui dire que je suis une loup-garou, c’est hors de question. Alors je m’enfonce un peu plus dans mon mensonge, jusqu’à ce que ça devienne impossible de faire machine arrière.
— On s’y fait, dis-je avec un haussement d’épaule, tentant de minimiser la situation.
— Tes parents n’avaient aucune famille ?
Si, j’ai un oncle en prison pour avoir entraîné la mort de ma mère et accessoirement celle des parents d’Harry.
— Non, il n’y a plus personne.
— Donc tu connais tes origines ?
— Oui.
Je pince les lèvres, elle aimerait poser plus de questions. Je mange tranquillement à ses côtés, c’est délicieux, je n’avais pas mangé de barbecue depuis très longtemps… Depuis la France en fait.
— Bon et avec Fred, il se passe quoi ?
- George, la rectifie-je.
Son sourire malicieux me fait me rendre compte de ma boulette. Je viens de me trahir.
— Ah ! C’est qu’il y a quelque chose !
— Non, non…
Comme si elle allait me croire…
— Comment ça va mes chéries ?
La grand-mère d’Hermione vient de se joindre à nous. Elle est très vieille et malgré ses quatre-vingts ans passés, elle vit encore seule. Son fils vient tous les jours la voir pour être sûre que tout va bien. Depuis que je suis arrivée, nous sommes allées chez elle tous les jours également, Hermione l’adore et je comprends pour quoi. Elle a la sagesse de celle qui a tout vécu, elle sait qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps alors elle va droit à l’essentiel. J’adore.
— Très bien mamie, merci. Je demandais justement à Emy ce qui se passait avec George.
Je la fusille du regard ce qui la fait éclater de rire.
— Oh, mais qui est ce George ? Tu ne m’en avais pas parlé.
— C’est personne.
— Le frère de Ron, explique Hermione.
Ma parole, mais elle va entièrement me vendre ! Je ne la connaissais pas si malicieuse. Peut-être qu’être dans l’environnement qui l’a vue grandir l’aide à prendre confiance en elle.
Je décide de boire un peu d’eau pour m’occuper les mains.
— Il est fou amoureux d’elle, ça se voit.
Je manque de m’étouffer et me mets à tousser pour reprendre mon souffle. Hermione me tapote le dos pendant que sa grand-mère se penche vers moi.
— Et toi, tu l’aimes bien ?
Elle a des yeux bleus presque transparents, ses cheveux blancs bouclés encadrent son visage ridé emprunt d’une profonde bienveillance. Je ne peux pas me dérober.
— Oui.
— Tu sais, commence t-elle avec un sourire. Mon Albert, avant d’être mon époux était un grand timide. Toujours avec ses amis à rire, mais une fois qu’il fallait faire face à ses sentiments, il ne savait même plus parler !
Hermione a les yeux qui brillent comme à chaque fois que sa grand-mère nous parle de son passé.
— Un jour, j’en avais assez d’attendre, c’était le bal du village, c’était comme ça qu’on se rencontrait à l’époque. Notre père nous donnait une permission, mais gare à nous si on ne rentrait pas à l’heure ! On s’habillait bien, enfilait notre plus belle robe, mettions un beau ruban dans nos cheveux et on se pinçait les joues pour les rosir un peu.
Elle sait raconter des histoires. On croirait entendre au loin la musique et les bruits de pas sur la scène de danse en bois.
— C’était aux garçons d’inviter les jeunes filles à danser. Nous, on devait attendre. Si par malheur aucun d'eux ne nous invitait et bien, nous ne dansions pas.
— C’est terrible ! s’exclame Hermione outrée. Vous ne pouviez pas danser avec une amie ?
— Non, ça ne se faisait pas.
— Mais donc, si papi était timide, comment vous avez fini par danser ensemble au bal ?
— Et bien, je l’ai invité.
Hermione et moi n’en revenons pas. J’éclate de rire en imaginant la scène. Jeannette, dix-sept ans qui invite Albert à danser. C’est incroyable ! Elle est géniale.
— Il faut savoir parfois prendre son courage à deux mains pour forcer un peu le destin. On n’a pas toute notre vie pour attendre l’amour, ajoute Jeannette avec un clin d'œil.
*****
Demain, je retourne à l’orphelinat. La pleine lune arrive et je dois m’isoler un peu, ordre du Ministère. Mes affaires sont finies et j’attends Hermione qui prend sa douche pour faire notre dernière soirée pyjama ensemble. Pendant le mois d’août, elle va partir en vacances avec ses parents. En Espagne ou en France, ce n’est pas encore décidé.
Toc, toc, toc.
Olivia passe sa tête par le chambranle de la porte avec un doux sourire.
— Je peux venir ?
— Oui, bien sûr.
Elle s’installe sur le lit d’Hermione et tient dans ses mains une petite pochette.
— Je voulais te remercier pour ces deux semaines passées avec nous. Ta présence a amené beaucoup de joie et Hermione était heureuse, c’était un plaisir de t’accueillir. Tu peux revenir quand tu veux.
— Merci… C’est plutôt à moi de vous remercier. Pour m’avoir accueillie…
Elle me fait un grand sourire qui me donne soudain envie de me blottir contre elle. Je n’ai pas envie de retourner à l’orphelinat. Même pour une semaine.
— Lorsque nous sommes venus te chercher, j’ai pu observer l’endroit où tu as grandi, tu as beaucoup de mérite. Tu es une jeune fille remarquable et tu peux être fière de toi. Car quand je vois ce lieu je…
Elle se tait regardant sa pochette toujours posée sur ses genoux. Puis elle me la tend.
— Je ne sais pas exactement quelle éducation ils vous donnent. Je sais que tu es intelligente et que Hermione ne manquera pas de t’aider si tu en avais le besoin, mais voici de quoi faire le jour où tu auras tes règles.
Je me saisis de la pochette, la gorge nouée par l’émotion.
— Tu sais ce que c’est ?
J’hoche la tête. Mme Firmin avait dit que c’était par là que les bébés sortaient. Que tous les mois, les femmes avaient leurs règles et perdaient du sang. Cette explication ne me convenait pas, je ne comprenais pas tout, alors j’avais chippé un livre de biologie des grandes de l’orphelinat et avais appris la suite dedans.
— Oui, je crois. Je ne suis pas sûre.
Alors elle m’explique ce que sont les règles, mais aussi les garçons, leur corps, ce qui peut ait se passer avec les filles, pour ensuite aborder le consentement et les protections. Je vois qu’elle n’est pas ultra à l’aise avec ces sujets. Cependant, elle poursuit ses explications et je lui en suis reconnaissante. Sa gentillesse et sa bienveillance me touchent beaucoup, je ne trouve pas les mots pour la remercier.
— Merci.
Elle me fait un dernier sourire et quitte la pièce. Hermione arrive aussitôt. Elle a dû voir que nous parlions avec sa maman. Elle ne fait aucun commentaire, respectant mon intimité, c’est décidément ma meilleure amie.
— On les mange ces marshmallows ? fait-elle avec un grand sourire.
*****
Molly Weasley a un visage très doux et rassurant. Comme Olivia, une vraie aura de « maman » se dégage d’elle. Arthur est quant à lui, grand fin, un peu l’opposé de sa femme. Fred et George ne sont pas là, ni Ron d’ailleurs.
Pour pouvoir quitter l’orphelinat, ils doivent parler avec un auror et le Mage Brook. Je suppose qu’ils vont leur expliquer ma situation, s’assurer qu’ils comprennent que je suis dangereuse, m’empêcher de voir mon père. Que je doive être là pour entendre ça, par contre, ça me dépasse. Je ne comprends pas trop, mais si au moins je peux être ailleurs que dans cet orphelinat, ça me va.
Le couloir où on me fait patienter est en face du bureau des aurors. C’est eux qui gèrent mon dossier après que le Magenmagot ait retiré ma garde à mon père. Je ne vais pas faire l’effort d’être gentille avec eux, je les déteste tous, ils sont tous des pourris. Je ferme mon visage et ne souris à personne, pas non plus les bras croisés, je ne voudrais pas qu’ils me prennent pour une gamine immature. Je veux juste leur montrer que je me sens au-dessus d’eux et que leurs décisions ne m’atteignent pas.
Prendre de la distance, oui voilà.
Monsieur et Madame Weasley sont dans le bureau en face en train de parler avec Warren Smith, l’un des agents chargé de mon dossier. Je le trouve antipathique, je ne saurais dire pourquoi. Finalement, il se lève et vient me chercher.
— Emilynn, bonjour, comment vas-tu ?
Silence.
— Suis-moi, dit-il en voyant que je ne répondrais pas.
Il a l’habitude.
— Monsieur et Madame Weasley, je vous présente Emilynn.
— Bonjour.
Leurs sourires bienveillants me font un bien fou, j’esquisse un pâle sourire, le premier depuis que j’ai quitté Hermione.
— Bonjour Emilynn, nous sommes ravis de te revoir. Comment vas-tu ?
— Bien, je…
— Ah Emilynn ! Je devais te parler.
Le psychomage Brook entre aussi dans la pièce, me coupant la parole. Il tend un dossier à Smith qui le feuillète rapidement.
— Assis-toi, nous n’en aurons pas pour longtemps.
Je le fusille du regard, j’aimerais ne pas obéir juste pour l’embêter, mais je ne voudrais pas donner une mauvaise image de moi aux parents de Ron.
— Bien. Monsieur et Madame Weasley, c’est très généreux de votre part d’accueillir Emilynn pour la fin de ses vacances scolaires.
Brook prend une pause pour vérifier du regard que Smith lit toujours l’un des parchemins du dossier.
— Sa situation familiale est compliquée et instable, c’est important pour son développement qu’elle puisse avoir un cadre familial. Merci pour elle. Toutefois, vous pouvez comprendre qu’elle doive continuer à suivre sa thérapie. Deux fois par semaine, elle devra venir en consultation.
— Excusez-moi, commence Monsieur Weasley. Il me semble que votre collègue disait qu’aucune amélioration ne ressortait de ces entretiens.
Brook pince les lèvres.
— C’est exact.
— Que se passe-t-il si elle ne va pas à ces rendez-vous ?
— Elle risque de devenir violente, perdre ses moyens, vous devez comprendre qu’elle a une personnalité instable donc que pour votre sécurité et celle…
— De ce que mes fils m’ont dit, elle n’a pas été une seule fois instable durant sa première année, et pourtant elle n’avait pas d’entretiens.
Je me tourne lentement vers Monsieur Weasley. Sa femme me fait un sourire. Ai-je bien compris ? Il veut m’éviter ces rendez-vous ?
— Je ne suis pas sûr de bien comprendre, dit Brook.
— C’est simple, nous aimerions étudier la possibilité qu’elle n’ait pas ces entretiens pendant les trois prochaines semaines. Un cadre familial comme vous dites, pour cela, elle doit se sentir confortable. Et je ne la sens pas particulièrement ouverte actuellement ni joyeuse.
— Elle a une personnalité taciturne.
— Et instable de ce que vous avez dit. Cependant, ce n’est pas ce que mes fils ont noté d’elle. Ils sont quatre à avoir le même discours.
— Ce sont des enfants, comment peuvent-ils savoir ?
— Hum hum.
Smith s’est raclé la gorge, ce qui rend Brook furieux.
— Laissons voir une première semaine, puis si tout se passe bien nous aviserons pour la suite. Nous maintenons toutefois celui d’avant la rentrée et c’est non négociable.
Brook est rouge de colère, mais ne dit rien. Je n’y crois pas, je vais cesser ces affreux entretiens. Une gratitude encore plus grande m’envahit.
— Avez-vous prévu d’accueillir Harry Potter chez vous également ? Vos fils sont amis, c’est exact ?
Monsieur et Madame Weasley froncent les sourcils.
— Oui, comment le savez-vous ?
— Tout ce qui la concerne, nous concerne également.
Je peux voir que cette réponse ne leur plaît pas.
— Bon et bien je crois tout est clair pour tout le monde, Emilynn avant de repartir avec eux, tu peux rester un instant ?
Brook et Smith ne laissent rien transparaître sur leur visage. Je m’étais déjà levée que je me rassois lentement. Madame Weasley me fait un sourire avant de fermer la porte derrière elle.
Une boule d’angoisse se forme au creux de mon ventre alors que Smith lisse le parchemin devant lui.
*****
— C’est modeste, mais c’est chez nous.
— C’est génial, j’adore, dis-je.
Ron semble soulagé de ma réponse.
— J’imagine que ça ne peut pas être pire que l’orphelinat.
Je fronce les sourcils, aurait-il parlé à Hermione ?
— Oui, oui, répondis-je distraitement.
On rejoint le rez-de-chaussée où tout le monde prend un goûter. Les jumeaux taquinent Percy, Ginny rigole à pleins poumons et Monsieur Weasley les reprend gentiment. En me voyant arriver, Madame Weasley me fait un grand sourire et m’invite à m’asseoir.
— Tiens un bon thé et des gâteaux. Tu es toute fine, il faut manger pour bien grandir.
— Merci.
George me fait un clin d’oeil, il m’avait prévenue.
— Tu as des nouvelles d’Harry depuis le début des vacances ? me demande Ron après avoir pris une grosse bouchée de gâteau au chocolat.
— Ron, on ne parle pas la bouche pleine !
Il lève les yeux au ciel et je retiens un sourire. Sa relation avec Mrs Weasley, sa mère, m’intrigue, mais je tente de ne pas les dévisager pour ne pas paraître malpolie.
— Non, j’ai tenté de lui envoyer une lettre et il ne m’a pas répondu. C’est étrange.
— Une lettre moldue ? Moi, j’ai tenté par hiboux.
— Oui.
— Ah, justement, comment ça fonctionne ? me demande Mr Weasley.
— Arthur, nous n’allons pas commencer à lui poser plein de questions, cela a dû être une journée éprouvante pour Emilynn.
— Emy, la corrige Ron.
— Emy pardon.
— Ça va, dis-je avec un sourire un peu crispé. Je suis très reconnaissante d’être ici, merci à vous de m’accueillir.
J’aimerais ajouter un merci à monsieur Wealsey pour avoir tenu tête à Brook plus tôt, mais il y a trop de monde autour de la table. Je le ferai plus tard.
— C’est normal voyons. D’ailleurs, tu dormiras dans la chambre de Bill et Charlie.
— D’accord merci.
Durant le goûter, je ne parle pas beaucoup. Tout le monde me laisse prendre mes marques ce qui me laisse le temps de les observer. Ils sont très joyeux, tous différents, mais évidemment ils s’aiment tous très forts. Je pourrai être jalouse de tant de joie dans laquelle ils sont plongés sans même sembler s’en rendre compte.
Je pourrais.
Mais j’ai moi aussi connu ces bonheurs simples. Qu’ils m’offrent la possibilité d’y goûter une nouvelle fois, me rend extrêmement heureuse et reconnaissante. J’oublie ce que m’a dit Smith et savoure ce moment. Un sourire se dessine sur mes lèvres. George se tourne vers moi et me sourit à son tour. Mon cœur s’emballe, mais cela ne m’embête pas outre mesure. Ce bonheur est trop grand.
*****
— Tu as tout ce dont tu as besoin ?
Mrs Weasley entre dans la chambre avec un doux sourire. Je l’apprécie déjà beaucoup, elle est douce avec moi et prend soin de me laisser du temps et de l’espace. Elle est aussi très maternelle, ça me change.
— Oui, bien sûr.
Mr Weasley entre à son tour.
— Nous voulions te souhaiter une bonne nuit. N’hésite pas à venir nous voir si tu as besoin de quoi que ce soit. Considère ici comme chez toi.
— Merci, dis-je la gorge nouée.
Ils s’apprêtent à partir, mais s’arrêtent en m’entendant reprendre.
— Merci aussi pour avoir pris ma défense dans le bureau.
Mr Weasley souffle, son visage se durcit un peu.
— Je ne vais pas mentir, cette personne ne me plaisait pas beaucoup. Durant le début des vacances, Fred et George ont expliqué ta situation et bien sûr, nous attendions de voir l’agent Smith avant de nous faire notre avis.
Il échange un regard avec sa femme.
— Quelle que soit la nature de ton père, ils n’auraient jamais dû vous séparer. Sa condition n’est pas pour moi une excuse valable. Je ne le connais pas certes, mais rien ne justifiait un retrait de garde, et ce, malgré ce qui s’est passé après chez ta grand-mère.
J’ai la gorge trop nouée pour répondre. J’hoche juste la tête en retenant mes larmes.
— On ne peut pas désobéir au ministère, mais crois-moi, si nous le pouvions, nous vous permettrions de vous revoir.
Mrs Weasley vient s’asseoir à côté de moi et passe un bras réconfortant autour de mes épaules pour m’attirer contre elle. Je ne suis pas une personne tactile, je ne suis pas habituée au contact humain, pourtant la douceur qui se dégage de ce geste me donne envie de me laisser faire.
Je ferme les yeux.
Je me sens déjà un peu comme chez moi.
*****
— Mais pourquoi ils veulent que tu gardes le secret ?
— Pour éviter d’avoir la même chose qu’avec vos parents.
— Ils ont peur que les gens se révoltent en entendant à quel point ils font de la merde ? Bah oui, logique.
— C’est surtout dégueulasse de faire du chantage comme ça.
Je ne réponds pas. Je suis d’accord bien sûr, mais qui a t-il à dire ? Je n’ai pas le choix si je veux revoir mon père, je ne dois rien raconter et à personne. Surtout à Harry. Soit. C’est que Smith m’a dit avant que nous quittions son bureau : je ne dis rien de ma situation, à personne. C’est la condition pour revoir mon père l’été prochain.
Fred et George sont chacun allongés d’un côté de moi et nous sommes tournés vers le ciel bleu immaculé. Ron est parti tenter de faire une énième lettre à Harry et Ginny est avec Mrs Weasley de corvée d’éplucher les légumes. Ici, tout le monde participe aux tâches ménagères. Ménage, cuisine, jardin, nous sommes tous réquisitionnés. Les garçons et Ginny râlent beaucoup, moi, j’adore. De toute manière, j’aime tout ici.
Nous passons la plupart de notre temps dehors, soit à jouer à la bataille explosive, soit aux bavboules, soit aux échecs et au quidditch aussi. Le soir, les repas sont toujours très joyeux, Mr Weasley rentre du travail et est toujours très jovial.
Bref, c’est la maison du bonheur.
— De toute manière, tu comptais leur dire ? me demande Fred me tirant de mes pensées.
— De quoi ?
— À Ron, Harry et Hermione, tu comptais leur dire la vérité ?
Non, pas vraiment.
— Non.
— Tu ne penses vraiment pas qu’ils comprendraient ?
— Je ne sais pas. J’ai peur de les perdre, tu vois ?
— Et si tu savais qu’ils ne prendraient pas peur, tu leur dirais tout malgré le Ministère ?
Bonne question.
— Peut-être…
— Tu te vois leur mentir jusqu’à ce qu’ils découvrent la vérité ?
— Peut-être, répétais-je en haussant les épaules.
— Si c’est au bout de plusieurs années, ils pourraient le prendre mal.
Je sais. Ça me hante, mais d’un autre côté, je ne peux pas leur dire, entre le Ministère qui me promet de voir mon père et le fait que je sois allée trop loin… Fred n’est pas méchant, il m’aide à rester lucide en me posant toutes ces questions, cependant, je sais tout ça, le répéter n’y changera rien.
— Je ne sais pas.
— C’est dégueulasse, répète George. Ça va bien finir par se savoir. Dès que tu es majeure, tu pourras faire ce que tu veux.
Je ne réponds pas. L’idée de devoir attendre mes dix-sept ans me parait impossible. C’est trop long.
— Ça fait combien de temps que tu n’as pas eu de contact avec lui ?
— Trois ans techniquement.
Ils me regardent en fronçant les sourcils.
— Pourquoi techniquement ?
Je souris et leur raconte le beau cadeau que m’a fait Hagrid par deux fois.
— Mais nous aussi, on va faire ça ! propose Fred en se levant comme s’il allait partir de suite.
— Non. Je ne sais pas si le Ministère nous surveille, mais si ça venait à se savoir, nos chances de nous revoir seraient totalement nulles.
— C’est ça le livre en français que tu te balades partout ?
George n’a pas besoin que je lui réponde pour qu’il connaisse la réponse. Il me connaît bien trop et sourit en hochant la tête.
Fred rit, il a compris, a compris depuis longtemps, je crois, mais comme nous fait semblant de ne pas voir au-delà des mots. Alors il rit.
Quant à moi, je me focalise sur ma respiration. Oui, voilà, c’est ça, je reprends le contrôle.
*****
— C’est plus possible, on doit aller le chercher !
— Mais comment gros malin ?
Ron fait les cent pas depuis ce matin. Voilà plus d’un mois que Harry ne répond à aucun d’entre nous et ça nous inquiète. Ce n’est pas normal.
— En train ? je propose.
— Tu sais prendre les transports moldus ?
— Oui. Il faudrait prendre deux trains potentiellement.
— Mais ça va être trop long pour y aller qu’en une seule nuit…
Fred grimace, ça ne lui plaît pas ce plan. George regarde au loin vers le petit garage qui jouxte la maison.
— Conduire la voiture de papa ne doit pas être sorcier…
Sur le visage de Fred se dessine un grand sourire.
*****
Ginny m’a offert un collier de perles multicolores, pour elle, si timide avec les nouveaux venus, c’est un vrai signe d’affection. Je le tripote nerveusement tandis que Mrs Weasley, furieuse, dispute les garçons. Je ne sais pas où me mettre, je me sens toute honteuse. Harry à côté de moi est tout aussi mal à l’aise.
Finalement, sa colère semble tomber un peu pendant le petit-déjeuner. Et quand elle nous demande de dégnomer le jardin, j’y vais avec encore plus d’entrain que d’habitude.
— Je suis crevé, râle Fred.
Je trouve vite un gnome et le jette le plus loin possible après l’avoir fait tourner.
— Nouveau record !
— N’importe quoi.
— Vas-y pour voir.
Cela suffit pour lui donner plus d’énergie. Il se tourne vers Ron qui vient de lancer lui aussi un gnome.
— Ridicule ! Je te parie que j'arrive à lancer le mien plus loin que la souche d'arbre, là-bas.
Je reste un peu à l’écart avec George qui s’approche pour me parler tout bas.
— Ça va ?
— Moui. J’espère que ta mère ne m’en voudra pas trop pour ce qui s’est passé.
— Ma mère t’adore.
Je ne réponds pas. Oui, certes, elle semblait bien m’aimer. Mais est-ce que je viens de trahir sa confiance alors qu’elle était si gentille avec moi ? Je ne veux pas paraître pour une ingrate, je suis extrêmement reconnaissante envers sa famille pour son accueil et son soutien.
— Ce n’est pas une petite bêtise qui va changer ça, reprend-il. D’ailleurs, elle est venue nous voir pour nous dire de cesser de t’entraîner dans « nos coups foireux » comme elle dit. Les agents du ministère leur ont parlé de tes retenues.
— Ah oui ?
Il hoche la tête en souriant.
— J’ai une mauvaise influence sur toi, parait-il.
— Je n’irai pas jusque-là.
Ça le fait rire.
— On verra…
*****
— Tu ne vas pas acheter un balai ?
Je secoue la tête.
— Non, je n’ose pas.
George me regarde en fronçant les sourcils alors je lui explique. Devant nous, une multitude d’élèves s’émerveillent devant le Nimbus 2001 exposé dans une vitrine. Depuis des années, à chaque nouveau balai, tout le monde s’accorde à dire que c’est l’objet le plus performant du marché. Tout le monde rêve d’en avoir un, moi y compris.
— Je devrais peut-être économiser au cas où ils réévaluent notre cas avec mon père.
J’ai fini ma phrase en parlant tout bas pour ne pas me faire entendre malgré le fait que le Chemin de Traverse est bondé. George hoche la tête, comprenant mon intention.
— De ce que j’ai vu, tu as de quoi faire, finit-il par dire.
Nous venons de passer à Gringotts, je sais que sa famille a des difficultés financières, Harry, comme moi étions très gênés de descendre dans nos coffres devant eux.
— Désolé, lâche t-il. C’était maladroit.
Je ne réponds pas. Cet argent n’est pas le mien, c’est ma mère qui l’a hérité de son oncle.
— C’est juste que… Le jour où vous aurez votre cas réévalué, et je pense vraiment que ça va arriver, je doute que cela coûte l’équivalent de ton coffre plein. Tu mérites de profiter un peu, et t’offrir un balai n’est que la moindre des choses…
Toujours aussi mal à l’aise, je ne dis rien.
— Si j’en avais les moyens, je t’offrirais un beau balai. Tu es talentueuse, tu le mérites.
« Merci » serait une réponse appropriée. Mais les mots se coincent au fond de ma gorge. Mon cœur bat la chamade et la Bête s’anime, toute l’agitation autour de nous n’aide pas, je fixe le sol, regardant mes tennis, focalisant mon attention sur les traces laissées sur la gomme.
George reste silencieux, il me laisse le temps, ne me brusque pas alors que Fred aurait déjà sauté en l’air. C’est ça que j’apprécie chez lui. Ça et d'autres choses…
— George ! Emy !
Fred vient vers nous en courant, se faufilant un passage parmi la foule.
— Venez voir !