Juillet 1996
Évidemment qu’ils allaient se retrouver en mission ensemble. Remus avait espéré que ça n’arrive jamais. C’était bien sûr utopique.
C’était étrange, très étrange. Un peu malaisant aussi. D’habitude, ils avaient plein de choses à se dire pour tuer le temps.
Pas cette fois.
Il poussa un soupir intérieur tout en continuant d’observer au travers des arbres, plus bas dans la vallée. L’odeur du shampoing de Dora lui rappelait cette nuit passée ensemble. Elle lui manquait, il détestait l’admettre, mais cette nuit était un si bon souvenir qu’il aurait aimé en faire d’autres. Plein d’autres.
Il observa discrètement son profil. Elle était belle quand elle était concentrée, encore une fois, il remarqua sa jeunesse.
« Elle a la vie devant elle » pensa t-il avec un pincement au cœur.
— Tu as les cheveux bruns aujourd’hui ? demanda-t-il finalement.
Question idiote, il ne l’avait pas vue autrement que comme ça depuis des semaines. Depuis leur séparation en fait. Qu’elle n’ait pas changé depuis l’inquiétait. Et il n’osait pas dire « ça va ? » il connaissait la réponse.
Une question cheveux était bien plus anodine.
— Et toi ?
— Tu n’as pas répondu à ma question.
— Je n’en ai pas envie. Et tu sais quoi ? Ne réponds pas à la mienne, je m’en fous.
— Dora, je suis désolé.
— De quoi ? De prendre des décisions seul sur un coup de tête sans même m’en parler ?
— C’est le mieux.
Elle le regarda froidement, il crut percevoir un peu de surprise. Quoi ? Elle s’attendait à ce qu’il ait changé d’avis ?
— Qu’on ne puisse pas être ensemble n’empêche pas que je peux m’inquiéter pour toi.
— On peut, c’est toi qui ne veux pas.
— Ne rend pas les choses plus compliquées.
À la seconde où il prononça ces paroles, il les regretta.
— Je rends les choses compliquées ?
Passé ce stade, quoiqu’il dise n’allait pas aider. Il aurait mieux fait de se taire. Il retint un soupir et retourna observer leur objet de surveillance.
— Tu ne me regardes même pas, dit-elle pleine de colère.
Si. Dès qu’elle ne pouvait pas le voir, il l’observait. Ça pouvait sonner bizarre, mais il devait avouer qu’il tenait à elle. Beaucoup.
— Pourquoi tu ne veux pas ?
— Je t’ai dit, la guerre…
— Alors tu m’aimes ?
— Là n’est pas la question.
— Si. On aime, on est ensemble.
— C’est plus compliqué que ça Dora, dit-il froidement. Si tu ne le comprends pas, oui, on n’a rien à faire ensemble.
Elle fulminait et lui aussi commençait à être énervé.
— Ne rejette pas cette décision sur moi.
Il sentait son cœur battre plus fort, comme une vieille amie, la Bête se logea au creux de son coeur et il garda le silence pour ne pas dire quelque chose qu’il regretterait.
— Je sais que tu es un loup-garou, plus âgé, que tu as ta fille, que Lyra était la cousine de ma mère. Je sais tout ça.
— Tu as ta réponse.
Elle aurait voulu ajouter quelque chose, mais c’était peine perdue, il n’allait rien lâcher.
Le reste de la mission se passa en silence. Quand ils se séparèrent, elle avait les larmes aux yeux. Il ne la retint pas. Lui, il avait le cœur en miettes.
*****
Il avait beau tout faire pour l’éviter, ce n’était jamais évident. Dès qu’il déposait Emy chez les Weasley, il risquait de la croiser. Elle faisait partie de la brigade (en réalité, ils n’étaient que trois) qui assurait la sécurité de la maison.
Une chance sur trois.
Au bout de quatre fois sans la croiser, il se dit qu’il déjouait le hasard. La fois d’après, elle était là. Mrs Weasley tentait de faire la conversation pour trois, mais c’était un peu peine perdue.
— Je suis contente de savoir que l’arrivée d’Harry sera bien sécurisée, finit-elle avant de laisser place à un silence étrange.
Ginny les sauva de cette situation en pestant qu’elle ne trouvait pas son maillot de bain.
— Tu sais maman celui avec les détails dorés.
— Il est dans la salle de bain, dit Mrs Weasley en partant avec sa fille.
— Bonne journée Molly, déclara Remus en prenant la direction de la sortie.
Il pouvait partir maintenant, il était resté le temps nécessaire pour ne pas paraître pour un rustre.
En sortant, il entendit des cris et des rires depuis la mare à l’autre bout du verger. Emy devait déjà y être. C’était bien qu’elle fasse des choses d’adolescente normale. Il était content pour elle.
Il s’arrête sur le pas de la porte et se tourna vers Dora. Encore une fois, il fut frappé par la différence avec la jeune femme pétillante et pleine de vie qu’il avait côtoyée quelques semaines plus tôt.
— Prends soin de toi.
Elle secoua la tête en pinçant les lèvres, ça le retourna, il avait envie de la prendre dans ses bras, de lui demander de lui pardonner, de l’embrasser, de l’aider à retrouver ses pouvoirs.
— Ça ira mieux Remus. Un jour, ça ira mieux.
— Je suis désolé.
— Je sais.
Il entendait les bruits de pas de Ginny qui revenait. C’était le signal du départ, il se retourna et partit hors du champ de protection.
Putain que l’amour faisait mal.
*****
Ce n’était pas facile avec Emy. Elle était presque une adulte maintenant. À la fois, elle avait besoin de lui, et en même temps, elle pouvait se montrer totalement indépendante.
Il ne lisait plus en elle comme dans un livre ouvert. Petite, elle ne tenait pas deux secondes avant d’avouer que c’était elle qui avait fait baigner ses barbies dans la baignoire avec des paillettes. Ou qu’elle avait dessiné à même le mur de sa chambre Plume le chat.
Depuis la mort de Sirius, l’écart s’était creusé. Les moments où elle était accessible, étaient rares. Il l’avait retrouvée un peu à la plage. Pour cela, il devait renouveler l’expérience. Peut-être qu’un peu de distance lui ferait du bien.
Une fois qu’il avait appelé Jo, il fit un peu de ménage. C’était l’une de ces nuits où il ne dormirait pas de toute façon. Et guerre ou pas guerre, il avait toujours le balai à passer, les vitres à laver et le linge à étendre.
Il finit par ranger sa chambre où une pile de linge traînait au sol. Il n’avait pas toujours la force de ranger après une mission de l’Ordre. Et comme Emy n’était pas toujours là, il lui arrivait de perdre cette rigueur qu’il s’était imposé. Avant, c’était Lyra qui avait du mal à ranger. Elle comme Sirius était bordélique, Remus passait souvent derrière elle. Au fil des années, elle s’était améliorée, mais à la fin, c’était revenu, la venue d’un bébé chamboulait un peu les habitudes.
Il vérifia que son alliance était toujours sur sa table de nuit. Il ne sortait pas avec Dora, mais il ne la portait plus. Évidemment qu’Emy avait remarqué. Evidemment qu’elle allait se poser des questions. Pourquoi avait-il menti ? Serait-elle contre sa relation avec Dora ?
Encore une fois, elle était si fermée ces derniers temps, il n’arrivait pas à savoir si ça la dérangerait. Et Lyra alors ?
Une vague d'émotions le submergea. Cela le prit au dépourvu, ça faisait longtemps qu’il n’avait pas pleuré sa mort. Il n’y avait pas qu’elle. James et Lily… Elle aurait été de bon conseils, l’aurait aidé à y voir plus clair. Lui, il aurait dit d’écouter son coeur. Typique James.
Il sécha ses larmes en entendant du bruit dans la chambre d’Emy, quelques secondes après, elle en sortit et partit vers la cuisine. Il la suivit et déposa sa bague sur la table.
— Cauchemars ?
— Oui, dit-elle en buvant un verre d’eau. Et toi ?
— Je ne parvenais pas à dormir.
Il poussa la bague vers elle.
— Elle est à toi si tu veux.
Elle la prit, défit son collier et la passa dans la chaîne.
— Merci.
Il devrait peut-être lui demander pourquoi elle gardait ce collier que sa mère détestait. Il devrait peut-être aussi lui demander pourquoi elle gardait tout ce qui avait appartenu à Lyra religieusement. Mais c’était comme tout le reste. Un lien avec son passé, qui elle était. Alors elle gardait tout, et lui ne disait rien.
Il pensa à la surprise qu’il lui préparait. Oui, ça lui plairait.
— Tu pourras m’emmener chez les Weasley ?
— Bien sûr.
— C’est cool, demain, on va fêter notre anniversaire ensemble avec Harry. C’est une première.
Pas tout à fait, mais ce n’était pas nécessaire de le lui rappeler.
Elle lui fit un sourire et ses inquiétudes se dissipèrent. Sa fille était forte, tout ira bien.
*****
L’opération retour en France était un succès. Emy, comme lui, était plus détendue, plus souriante, reprenant peu à peu des forces après cette dure épreuve.
Les revoir ensemble avec Louise le ramena dix ans en arrière. Elles avaient grandi, mais alors qu’elles avaient seize ans cet été, leurs activités favorites étaient toujours de se baigner, faire des châteaux de sable et manger des gâteaux au chocolat.
Il avait proposé un dîner avec Hippolyte. Proposition acceptée bien sûr.
Il s’était remarié, lui le coureur de jupons avait trouvé l’amour. Il avait même un fils avec elle. De quoi faire réfléchir…
Jonathan aussi était heureux de ses retrouvailles, son sourire ne le quittait pas, et dès que Remus entendait le rire des filles résonner, il sentait son cœur se gonfler d’un doux bonheur. Il le connaissait, c’était ce bonheur doux-amer. Il fallait apprendre à l’apprécier.
— You seem happy, dit-il à Hippolyte quand ils se retrouvèrent seuls à la terrasse, un verre de vin à la main.
** Tu sembles heureux. **
Ça lui avait manqué ces moments-là.
— Believe it or not, I am. As crazy as it sound, I found happiness.
** Crois-le où non, je le suis. Aussi fou que cela le semble, j’ai trouvé le bonheur. **
— I’m happy for you.
** Je suis content pour toi. **
— Thanks man.
** Merci. **
— How did you meet ?
** Comment vous vous êtes rencontrés ? **
Il lui parla de Claire, sa femme, puis d’Elliot, leur fils. Il lui décria un quotidien simple, rempli de petits bonheurs qui font de la vie une si merveilleuse chose.
— I had Louise young, she was very active and everything, couldn’t stay still a minute. But Elliot, gosh, I’m getting older, I can’t spend an entire afternoon running with him in the backyard anymore.
** J’ai eu Louise jeune, elle était très dynamique, impossible de rester en place une minute. Mais Elliot, oh la la, je deviens vieux, je ne peux plus passer une après-midi entière à courir dans le jardin. **
— Football ?
— Yeah. He’s a boy, all his friends are into it. Dunno if it’s also a thing in England.
** Oui, c’est un garçon, et tous ses amis aiment aussi. Je ne sais pas si c’est aussi un truc important en Angleterre. **
— Yes a bit yes.
** Oui, un peu. **
Il se rappelait y avoir joué un peu étant petit. Mais ce n’était pas trop son truc. Il préférait lire. Et puis, avec sa morsure, il évitait les situations trop mouvementées.
— Did Claire and Louise got along together well ?
** Est-ce que Claire et Louise s’entendent bien ? **
— Actually yes. Of course she was a little surprised, she knew I had adventures I think. But I never presented her anyone.
** Oui. Bien sûr, elle était un peu surprise, elle savait que j’avais des aventures, je pense. Mais je ne lui avais présenté personne. **
— Yeah I remember.
** Oui, je m’en rappelle. **
— When she moved in, we had a time to adapt. But Claire always told her she wasn’t her mum, we didn’t want to mix everything. Louise is my daughter.
** Quand elle a déménagé, on a eu un temps d’adaptation. Mais Claire lui a toujours dit qu’elle n’était pas sa mère, on ne voulait pas mélanger les rôles. Louise est ma fille. **
— And with Elliot ?
** Et avec Elliot ? **
— Oh, they love each other.
** Oh, ils s’adorent. **
Un instant, l’alcool aidant, il laissa son esprit divaguer. S’il refondait une famille… Avait de nouveaux enfants, un garçon par exemple avec qui jouer au foot dans le jardin…
Quelle idée idiote.
— What about you ? Do you have anyone ?
** Et toi ? Tu as quelqu’un ? **
— I took off my ring last month, so you see, I’m very slow.
** J'ai enlevé mon alliance le mois dernier, tu vois, je suis lent. **
— You’re wife died. Take all the time you need. What about Carole ? Did you come to see her ?
** Ta femme est décédée. Prends tout le temps qu’il te faut. Et Carole ? Tu es revenu la voir ? **
— She’s still here ?
** Elle est toujours là ? **
— Yep. Still at school.
** Oui, toujours à l’école. **
Carole était sympa. Leurs moments ensembles étaient agréables. Mais pas comme avec Dora. Non, rien à voir.
— I’ve seen someone. Broke up with her, I couldn’t do it. The all relationship and all… No, that’s not for me.
** J’ai vu quelqu’un. Mais j’ai rompu, je ne pouvais continuer. Être en couple… Ce n’est pas pour moi. **
— Why not ?
** Pourquoi ? **
La moitié des raisons, il ne pouvait pas lui dire.
— She’s twelve years younger.
** Elle a douze ans de moins. **
Hippolyte lui fit un sourire malicieux et ils éclatèrent de rire.
— I won’t say good job, but just so you know I don’t think less of you.
** Je ne dirai pas bon travail, mais je n’en pense pas moins. **
— Am I supposed to say thank you ?
** Je suis supposé dire merci ? **
— Men, what’s the problem ?
** Quel est le problème ? **
— She’s Lyra little cousin.
** C’est la petite cousine de Lyra. **
— And so ? Do you know her parents ?
** Et ? Tu connais tes parents ? **
— A bit yes.
** Un peu, oui. **
— What would they think ?
** Que penseraient-ils ? **
Remus était sûr qu’ils n’approuveraient pas.
— They wouldn’t approve.
** Ils n’approuveraient pas. **
— You’re sure of yourself ?
** Tu est sûr ? **
— Yes.
** Oui. **
Hippolyte lui dit une tape sur l’épaule. James aussi faisait ça. Le nombre de fois où il l’avait fait. Comme pour dire « je ne vais pas te contredire, tu as besoin d’arriver à la même conclusion que moi par toi-même ».
Remus n’avait pas tort. Il avait pris la bonne décision. Il en était sûr.