1er novembre 1981
Il n’arrivait pas à penser clairement. Ça allait vite, trop vite. Il apprenait tout d’un coup sans avoir le temps d’assimiler les informations. Lyra était morte, c’était une information à laquelle il se raccrochait. Toutes les autres gravitaient autour.
Lyra était morte.
Il ne la reverrait plus, ne l’embrasserait plus, ne la serrerait plus contre lui, n’entendrait plus son rire ou ne sentirait plus son odeur. Ses baisers, ses longs cheveux noirs, ses mains blanches, son petit tatouage en forme de lune…
Tout.
Il ne la reverrait plus.
— Monsieur Lupin ?
Il s’était perdu dans ses pensées. McLowe, l’auror qui l’avait interrogé un peu plus tôt, lui fit un sourire compatissant.
— J’ai réussi à vous obtenir cinq minutes avec Black. Son transfert n’est pas encore prêt, mais ce soir, il dormira à Azkaban. Des gardiens assureront votre protection. Vous êtes sûr de toujours vouloir faire cela ?
Il hocha la tête.
— Vous voulez un café ? Un thé en attendant ?
Il secoua la tête. Emy toujours contre lui avait cessé de pleurer. Lui, il avait repris le contrôle de la Bête, il sentait le pouls de sa fille battre contre lui, cela l’aidait à se concentrer pour ne pas perdre pied.
— Cependant, votre fille ne pourra pas vous accompagner. Le Bureau ne veut pas avoir la responsabilité d’un bébé, et elle ne pourra pas se défendre dans le cas où Black attaquerait. Seul vous, un sorcier adulte pouvez le voir.
— Sirius n’attaquerait pas Emy…
McLowe en doutait, mais ne fit pas d’objection. Remus Lupin était un sorcier adulte et majeur. Il ne comprenait pas pourquoi il tenait tant à voir ce traître. Mais qu’importe, si cela pouvait l’aider à surmonter ce drame, alors il allait l’aider. Son supérieur, Thomas Bowler avait d’abord refusé cette rencontre. Comme tout le monde, il était sous le choc. Black était étudiant pour être auror. Cela ne l’avait pas empêché de trahir son meilleur ami et sa sœur.
Une belle histoire de merde.
Bill McLowe avait une femme et deux fils de neuf et onze ans. Il n’osait pas imaginer les perdre. L’homme qu’il avait en face de lui faisait pitié malgré lui. En une nuit, il avait tout perdu. Comment se remettre de ça ? En faisant face au traître ?
— Je reviendrai vous chercher quand Black sera en cellule.
Remus ne répondit pas. Laisser Emy l’embêtait un peu, et il ne faisait confiance à personne pour la garder. Mais il voulait tout de même voir Sirius. Lui parler, comprendre ce sur quoi son cerveau cherchait désespérément une explication logique à tout ça. Parce que ce n’était pas possible. Non. C’était impossible.
— Lupin ?
Maugrey arrivait en clopinant. Il avait plusieurs bandages dont un énorme sur le visage ainsi qu’un air fatigué de quelqu’un qui n’a pas dormi en plus de vingt-quatre heures. Un peu comme tous les aurors que Remus avait croisés jusque là.
— On m’a dit que tu voulais voir Black.
Remus acquiesça d’un hochement de tête. Il économisait ses forces pour ce qu’il allait suivre.
— Pourquoi ?
— C’est vrai qu’il n’aura pas de procès ?
— Remus… commença Maugrey en s’asseyant sur la chaise à côté de lui. Il est coupable.
— Ce n’est pas possible.
— Je comprends que ce soit difficile à admettre, mais…
— Il a le droit à un procès, coupa Remus.
Maugrey pinça les lèvres. De toute évidence, il ne voulait rien entendre.
— Remus Lupin ? Veuillez me suivre, je vous prie.
L’auror qui venait d’arriver affichait le même air fatigué que Maugrey. Remus se leva, Emy toujours dans ses bras.
— Sans l’enfant.
— Je ne veux pas me séparer d’elle.
— Je peux la prendre Remus, proposa Maugrey.
Il n’y connaissait rien aux enfants, encore moins aux bébés, mais ce jeune homme lui faisait de la peine. Ce n’était qu’un gamin. Sacré gâchis…
Sitôt que Remus avait lâché Emy, la laissant dans les bras de Maugrey, elle se mit à pleurer. Cela lui fendit le cœur, il déposa un baiser sur son front.
— Je suis désolé, murmura t-il. Je reviens vite, je te le promets.
Il partit sous les pleurs de sa fille. C’est le cœur à l’envers qu’il arriva dans une pièce vide à l’exception d’une table et de deux chaises. L’auror lui dit signe de s’asseoir puis lui dit d’attendre. Ce ne fut pas long, il n’eut pas le temps de cogiter trop longtemps, trois sorciers amenèrent Sirius qui était enchaîné et menacé de baguettes. On le fit s’asseoir, puis ils reculèrent, mais restèrent dans la pièce.
Remus s’en moquait, seul comptait la vérité. Il regardait celui qui avait été l’un de ses meilleurs amis. Ou qui l’était encore ? Il ne savait plus. Pas vraiment. Tout le monde lui répétait qu’il était coupable, il n’y avait pas d’autres explications. Mais il ne pouvait pas le croire.
Sirius n’était plus le jeune homme pétillant de malice et de joie. De larges cernes noirs s’étalaient sous ses yeux. Ses cheveux tombaient devant son visage. Il était pâle, très pâle. Et il semblait ailleurs aussi.
La tête fixée vers le bas, il regardait la table en se balançant de gauche à droite. Remus attendit un peu. Par où commencer ? Il finit par se racler la gorge et l’appeler.
— Sirius ?
Il attendit et crut d’abord qu’il ne l’avait pas entendu. Mais il finit par relever la tête et planta ses yeux gris dans les siens.
Les mêmes que Lyra.
Cela lui fit mal. La douleur qui était presque devenue sourde se raviva, les larmes avec. Il se racla la gorge pour chasser la boule de noeud dans son ventre. Sans grand succès.
— Comment va Emy ?
Il ne s’attendait pas à cette question. Cela le déstabilisa.
— Mal, je suppose, reprit Sirius sans attendre de réponse.
Il eut un sourire triste.
— Elle a tout vu. Putain, il aurait pu choisir de la tuer avant Harry. C’est étonnant. Il devait vouloir en finir au plus vite. Il avait perdu patience. Lyra a résisté longtemps, ça a dû le retarder. Merde alors…
— Ne dis pas son nom, coupa Remus le souffle court.
À nouveau, les yeux gris se plantèrent dans les siens.
— Ne dis pas son nom tant que tu ne m’auras pas dit que tu ne les as pas trahis.
Sirius resta silencieux.
— Dis-moi que c’est plus compliqué que ça en a l’air. Que je me trompe. Que tu ne les as pas trahis. Je ne peux pas croire que tu l’aies fait. Dis-moi le contraire, que…
— C’est ma faute Remus. C’est entièrement ma faute.
La Bête faisait rage, Remus sentit ses mains trembler, il les posa à plat sur la table. Reprendre le contrôle. Respirer. Respirer encore.
— Ce n’est pas possible, tu n’aurais jamais pu faire ça.
Sirius se mit à pleurer, tout en continuant de tanguer.
— Tout est ma faute… Ils sont morts par ma faute…
Remus réalisa que ça ne servait à rien d’insister. Sirius répétait ces dernières phrases en boucle, plus rien ne semblait l’atteindre. Il devait lui faire ses adieux, à lui, à son ami. Mais aussi à son adolescence, ses amis, les Maraudeurs, Lyra… Leur bonheur à eux… C’était fini tout ça.
Remus se leva et quitta la pièce.
Derrière lui, un homme coupable.