Juin 1977
Comment être aussi heureux quand le monde autour s’écroule ?
Remus n’avait pas la réponse. Mais la vérité était qu’avec le temps, la guerre, les chagrins, la mort, il avait décidé de chérir ce que la vie avait à lui donner.
Avec Dora, il se sentait léger. C’était un sentiment qu’il n’avait pas eu depuis longtemps. Bien sûr il avait été content, heureux parfois, mais sitôt que la guerre était revenue, le nuage noir avec et c’était difficile de sourire. De vraiment sourire.
Il lui arrivait encore de se réveiller la nuit à cause de cauchemars. Mais maintenant il n’était plus seul, Dora était là, elle le prenait dans ses bras, posait sa tête contre la sienne, la chaleur de son corps lui rappelait qu’il était réveillé, que c’était la vraie vie et qu’il était en vie et aimé.
Un matin, il lui tendit un journal avec plein d’annonces d’appartement entourées en rouge. Elle les regarda une à une, un sourire aux lèvres. Nue, seulement protégée d’un drap, les cheveux en bataille, il se retenait de ne pas lui sauter dessus pour la couvrir de baisers.
Il fallait absolument qu’ils trouvent un appartement.
Celui de Dora était bien, mais c’était son premier appartement, celui qu’elle avait depuis qu’elle était étudiante. C’était un bazar monstre, sur sa table, on pouvait toujours trouver des copies de première année d’auror, et un tas de t-shirt à l’effigie de groupes de rock différents traînaient un peu partout.
C’était surtout petit et Remus ne voulait plus squatter chez elle. Ils avaient convenu de ne pas aller chez lui, parce qu’ils voulaient leur chez eux. Alors autant le trouver le chez eux.
Cela voulait dire ne pas céder à la tentation.
— C’est bien, dit Dora en reposant le journal.
— C’est bien ? répéta t-il.
— Oui, dit-elle en faisant glisser le drap pour dévoiler ses seins.
— Et hum… commença t-il, tentant de reprendre ses esprits.
— Tu parlais de mariage l’autre jour…
Son sourire espiègle montrait qu’elle savait à quoi elle jouait. Il décida de prendre le journal, s’allongea sur le ventre, lui tournant le dos.
— Oui, ça a pu m’échapper oui…
Elle s’allongea à côté de lui, allongée sur le dos toutefois.
— Tu vas avoir froid…
— Viens me réchauffer…
— Tu parlais enfant, je parlais mariage.
— Merci d’être impliqué dans notre couple.
— Je peux te le montrer d’une autre manière…
Elle rigola ce qui le fit sourire. Ça lui avait manqué de passer du temps au lit à ne rien faire. Il s’efforça de chasser cette pensée pour profiter de l’instant présent. Quand Dora glissa ses bras autour de lui pour l’attirer contre elle alors qu’ils s'embrassaient, il chassa totalement le passé.
C’était le présent, le temps de l’amour.
•••
Les temps de guerre sont rudes, le contraste avec les moldus n’était pas facile à supporter. Plus d’une fois, Remus se sentait partagé, comme si l’un des deux mondes n’était pas réel.
— Et comme vous pouvez le voir, les fenêtres ont une double isolation, dit le monsieur de l’agence avec un grand sourire commercial.
Par exemple, il était en train de parler de double vitrage alors qu’il y a deux semaines, le grand Dumbledore était tué de la main de Severus Rogue.
Ça donnait de quoi réfléchir…
Ils prirent le temps de tout regarder, de se projeter, de vérifier que tout était fonctionnel, mais c’était déjà un oui pour eux. À ce prix là, dans ce quartier, c’était idéal. Cet appartement n’était qu’à vingt minutes à pied de là où il habitait. Et comme il comptait le garder pour Emy (c’était le sien après tout), il se disait que c’était une occasion à ne pas manquer.
— J’aime trop, lui dit Dora avec un grand sourire pétillant.
— Tu te projettes ? lui demanda-t-il.
— Carrément, fit-elle alors que l’agent immobilier préparait les papiers.
Elle l'entraîne dans la cuisine.
— Là, je nous vois bien cuisiner… Là-bas, je nous vois bien parler après une journée… Dans la chambre, je nous vois bien…
Il rougit en posant sa main sur la sienne.
— On va s’arrêter là peut-être.
Ça la fit rire et il adora qu’elle se moquait de parler de sexe devant un inconnu. Ils signèrent les papiers, récupérèrent les clés et c’était fini. Cet appartement était chez eux maintenant.
— Et maintenant ? demanda-t-elle.
— On commence les cartons. Et… Tu en as beaucoup à faire.
Il rigola en voyant son air outré.
— Comment oses-tu ? C’est faux en plus, je vais jeter les trois quarts de ce que j’ai.
— Ah oui ? Même ton courrier d’il y a un an ? On ne sait jamais, ça peut servir.
Ils se chamaillèrent un peu, puis il captura ses mains et l’attira à lui pour lui voler un baiser. Elle se mit sur la pointe des pieds, prolongeant son baiser. Les mains glissèrent sous les t-shirts et c’est un klaxon dans la rue qui les ramena à la réalité.
— Tu viens dormir chez moi ce soir ?
— Je vais passer au Terrier avant, voir où Emy est.
— Sûrement avec Hermione, elles ne se quittent plus.
— Ouais…
Il rassembla les papiers et l’attendit sur le pas de la porte, mais elle ne semblait pas décidée à bouger.
— Quoi ?
— Elle t’a reparlé de son projet ?
— Non. On y va ?
Avec soulagement, il la vit accepter de le suivre et ils commencèrent à marcher vers l’appartement. Il avait l’impression d’être un an plus tôt, quand il avait ses missions avec Dora, qu’ils se tournaient autour sans trop rien dire. Un an. Déjà. Ça semblait être une éternité et à la fois rien du tout.
Un an.
Sirius qui tombe à travers l’arche. Emy à l’hôpital, son teint cadavérique, tout le sang, son corps qui devenait de plus en plus froid, Harry en larmes… À l’époque, naïvement, il s’était dit qu’il gérait la situation, qu’il était encore au contrôle, que sa fille avait frôlé la mort, mais que ce n’était pas pour maintenant.
Aujourd’hui, Dumbledore était mort, plus rien était pareil. C’était maintenant fini. La situation l’avait dépassé, elle allait partir et peut-être qu’il ne la reverrait jamais. Molly lui en avait parlé plusieurs fois, à chaque fois, elle était pleine d’inquiétude, et lui, il ne savait pas quoi lui répondre. Il voulait dire que ça allait aller, mais il répétait ça juste pour prouver qu’il avait confiance en sa fille.
En réalité, il était terrorisé.
— Parle-moi Remus… dit Dora en glissant sa main dans la sienne.
Il retourna sur terre, il était dans la rue, Dora était à côté de lui, sa fille était encore à Londres, en sécurité.
— Pardon…
— Je sais que ce n’est pas facile avec leur projet.
— Je ne sais pas comment en parler.
— Essaye. Je suis là pour t’aider.
Il sourit et l’embrassa doucement.
— Merci.
— Alors ?
— Alors Arthur est venu me parler l’autre jour.
— Arthur ? Je savais que Molly était inquiète et en parlait beaucoup, mais lui il paraît serein.
— Oui, quand c’était elle, c’était plus facile, je veux dire, elle s’inquiète beaucoup et le montre beaucoup.
Qu’Arthur soit venu le voir accentuait la peur.
— Qu’a t-il dit ?
— Si j’en savais plus qu’eux, j’ai dit que non, ce qui est vrai, je n’ai aucune idée de ce qu’ils veulent faire. Et puis après, il m’a partagé son inquiétude. Il m’a parlé de Ron, de comment ce n’était pas évident pour lui de se connecter avec son fils quand il était petit. Il avait déjà eu d’autres fils, il se faisait plus vieux, les jumeaux prenaient beaucoup de temps et d’énergie… Il m’a touché, à la fin, il avait les larmes aux yeux.
Cette mise à nu l’avait déstabilisé.
— Il était presque à regretter de ne pas avoir fait les choses autrement, comme si… Comme s’ils ne reviendraient pas.
Elle l’arrêta et posa une main sur sa joue.
— Tu te demandes si tu as bien fait d’approuver sa décision.
— Je ne sais pas si j’ai vraiment approuvé, corrigea t-il. Ou accepté.
— Tu ne vas pas à l’encontre de sa décision, c’est énorme Remus.
— Oui, mais et si je devrais? Et si je devrais m’énerver, lui dire que c’est insensé, qu’elle est trop jeune ou…
— Remus, elle le fera quand même. Elle n’a pas besoin que tu doutes d’elles, mais que tu la soutiennes. C’est…
Il savait ce qu’elle allait dire.
— Harry était destiné à ça. Et leur destin était lié depuis toujours…
— Depuis le premier jour.
— Oui, dit-elle en l’embrassant tendrement.
Il avait besoin d’entendre ça.
— C’est normal que Molly et Arthur se posent des questions, on se les pose tous. Et c’est normal qu’ils ne se posent pas les mêmes questions, ils ont eu sept enfants qu’ils ont élevés à deux. Tu as élevé seul ta fille à vingt ans.
— Justement, est-ce qu’ils voient quelque chose que je ne vois pas ?
Elle se recula un peu, sa main toujours sur sa joue.
— Je ne sais pas Remus.
Il posa sa main sur la sienne. Elle avait raison sur tellement de points, et il ne se sentait pas ultra serein, mais il se sentait mieux. Alors, profitant de ce petit moment de paix, il tenta d’apprécier le moment. Dora était là, tout contre lui, sa fille était à la maison, en sécurité. C’était l’été, et même s’il portait un t-shirt à manches longues, il sentait le soleil réchauffer sa peau. Au loin, du jazz retentissait dans un bar, des gens tapaient des mains en dansant.
Là, maintenant, tout allait bien.
— Merci Dora.
Elle lui sourit alors qu’il déposait un baiser sur ses lèvres.
— Et si on lui annonçait la bonne nouvelle ?
Ils repartirent, main dans la main. L’inquiétude ne partirait jamais vraiment tant que la guerre ne serait pas finie. C’était un fait difficile à accepter, mais il vivait avec depuis si longtemps, qu’il avait appris à le supporter. Il devrait faire attention à Dora, qu’il ne lui en mette pas trop sur ses épaules. Il appréciait qu’elle l’aide avec Emy, mais ils avaient fixé qu’elle ne serait pas une belle-mère pour elle, enfin, qu’elle ne soit pas chargée de son éducation, c’était une fine balance à trouver, et il était certain que sitôt qu’ils l’auraient, tout irait mieux.
Il ouvrit la porte de l’appartement et afficha son plus grand sourire.
— Bonsoir, comment se passent les préparatifs ?
Emy et Hermione vinrent à leur rencontre, toutes les deux baguettes à la main.
— De quelle couleur étaient mes collants quand j’étais petite ?
— Multicolors.
— Ceux avec les grosses rayures ? demande Hermione.
— Oui ! s’exclame Emy avec un sourire.
— Oh j’avais les mêmes !
En les voyant rire toutes les deux, Remus ne laissa pas le pincement au cœur l’atteindre. Dora était là, à ses côtés, ils allaient vivre ensemble, sa fille était à la maison, en sécurité.
Pour l’instant.