Septembre - Décembre 1996
Vivre dans la forêt ne lui avait pas manqué. Mais étonnement, être dans une meute, une fois qu’il y était de nouveau, oui, il se rendait compte que ça lui avait manqué.
Ce sentiment de faire partie d’un tout était pratiquement impossible à décrire, et pourtant, il avait essayé à l’époque d’en parler à Lyra. C’était au-delà d’un groupe, d’un sentiment d’appartenance. Biologiquement, au fond de lui, son corps lui hurlait que c’était là qu’il devait être.
Albric l’accueillit comme un frère. Il ne lui demanda pas ce qu’il était devenu ces dernières années, la vie en dehors de la meute importait peu. Il lui donna un couchage dans le gros chalet qu’ils partageaient tous et ce fut tout.
Cette fois-ci, il était préparé à la misère, la saleté, la brutalité de leur vie. Les loups vivaient comme des sauvages, le plus fort gagnait. Aussi simple que ça. Du fait qu’il était un sorcier, personne ne vint se confronter à Remus. Il préférait les choses comme ça, c’était plus simple.
Au-delà d’observer les choses autour de lui dans le but de se faire accepter avant de proposer le plan de Dumbledore, il avait plein de temps pour cogiter sur sa vie. Revenir dans une meute lui faisait penser aux maraudeurs bien sûr. James aurait été un super auror, il aurait défendu la veuve et l’orphelin, Sirius à ses côtés, une cigarette au coin de la bouche et trois conquêtes à la fois qui l’attendait chez lui. Il dirait des bêtises du genre « tu pues Lunard » et c’est vrai qu’il puait, il n’avait pas de douche ici. James et Lily auraient eu d’autres enfants, c’était certain. Elle avait la fibre maternelle, son air si paisible et heureux le jour où Harry était né… Toute sa grossesse, quand il y pensait, elle était heureuse, ils voulaient une grande maison, des enfants et pourquoi pas un chien avec qui faire du jogging le dimanche matin. Puis un barbecue dans l’après-midi avec leurs voisins dans leur jardin de pavillon de banlieue londonienne.
Il ne s’imaginait pas sa vie à lui si Lyra avait vécu. Trop douloureux, inutile. C’était quelque chose qu’il s’était toujours interdit. Et pendant longtemps, elle était dans son esprit, comme ça, de loin, comme un bon souvenir qu’on garde près du cœur sans pour autant trop se pencher dessus. Mais depuis qu’il était de retour ici, elle revenait régulièrement dans son esprit. Paf, comme ça, sans prévenir. Il la chassait à chaque fois. Il ne pouvait pas y penser. Pas quand il y avait quelqu’un d’autre. Il ne savait pas ce que cela signifiait. Oui, avec Dora, il pourrait imaginer avoir d’autres enfants et ce putain de pavillon en banlieue.
Il pensait aussi beaucoup à sa fille. Emy serait une alpha. Il le sentait lors des pleines lunes qu’ils passaient ensemble, le loup la laissait prendre les devants, pas juste parce que c’était sa fille. L’épisode avec Ombrage l’année dernière, ou sa manière d’avoir tenu tête aux mangemorts, indiquait qu’elle était une alpha. Il n’aimait pas trop cette idée. Elle ne savait pas vivre comme une louve. Si elle croisait un loup, sa plus grande peur serait qu’elle ne sache pas faire profil bas.
Et un loup peut se battre pour tuer.
Lors du premier repas, il pensait à ça en voyant les personnes se servir. Albric en premier, puis ses bêtas, dont Remus. Il avait fini de manger quand les omégas purent se servir. Parmi eux une femme enceinte.
C’était la première fois qu’il en voyait une dans une meute. Elle devait être dans ses premiers mois, deux, peut-être trois. Tout le monde était si squelettique qu’on ne pouvait pas ne pas le remarquer.
— Je sais, dit Albric en suivant son regard. Elle va mourir.
— Pas nécessairement.
— Je ne me rappelais pas que tu étais un idiot.
— Je n’en suis pas un. Cette femme peut être accompagnée, des médicomages peuvent…
— Aucun médicomage sait traiter les loups.
Albric savait-il ne serait-ce qu’une seule chose de sa vie dans la société, dans le monde réel ?
— J’ai une fille.
Il releva la tête, il avait piqué sa curiosité.
— Sa mère n’était pas une loup-garou, mais ma fille en est une. Crois-moi Albric, cette femme n’est pas condamnée.
Il attendit le cœur battant qu’Albric réponde. Celui-ci resta silencieux un long moment, les yeux posés sur sa meute.
— Je veux bien croire les conneries que Dumbledore veut nous faire croire. On a besoin d’espoirs Remus. Nous restons en partie humains. Mais regarde autour de toi, as-tu vu une évolution de notre situation depuis que tu es venu il y a quinze ans ?
Non.
— Je ne sais pas qui était ta femelle, mais cette louve va mourir, aucun mage acceptera de prendre le risque de la soigner. Elle a choisi de le garder, elle en paiera le prix. C’est comme ça que fonctionnent les choses.
— Tu te trompes, il y a…
Albric grogna et Remus comprit qu’il était allé trop loin. Il devait s’arrêter là.
Il partit prendre l’air. Albric avait raison. Leur situation était aussi désespérée que la dernière fois. Dumbledore avait peut-être soulagé leur quotidien quelque temps, mais la société n’avait pas évoluée. Ils étaient encore des parias.
Et peut-être avait-il aussi raison en disant que personne pouvait aider cette femme. Lyra était une sorcière, une Black, une Sang-Pur. Cette femme avait-elle encore une carte d’identité ?
Il soupira profondément.
Que devait-il faire ?
Pendant les semaines qui suivirent, il se fit oublier. Il se fondit dans la masse, écouta, prit des notes, ne jugea pas. Il apprit que la meute de Greyback leur avait pris trois des leurs lors d’un affrontement cet été. Il apprit que la meute se répartissait en plusieurs groupes : les chasseurs, les constructeurs, les défenseurs. Il apprit que leurs principales ressources venaient de la forêt et que sans elle, ils n’étaient rien. Il apprit que les loups étaient en colère, prêts au changement. Il apprit que la louve s’appelait Clea. Il apprit qu’elle approchait des trois mois.
Évidemment, il fit le lien avec Lyra, Emy était née à cinq mois, c’était une prématurée, c’était peut-être comme ça pour toutes les grossesses de loups-garous. Ou pas. Tout était si flou, on ne savait rien, rien sur les gens comme lui.
Peu à peu, il sentit une colère monter dans sa poitrine. Une colère si noire qu’il ne pouvait pas l’ignorer au bout d’un moment. Il accompagna les constructeurs, les aida à fabriquer ce nouveau chalet, savourant ses muscles tendus par l’effort, la fatigue qui le terrassait en fin de journée.
Il aurait aimé parler à sa fille, garder un lien avec le monde normal. Parce que là où il était, c’était tout sauf normal.
Dans ses moments de faiblesse, il aurait aimé transplaner pour rejoindre Dora. Et alors là…
L’interdit.
Dumbledore lui avait demandé de rester le plus longtemps possible avec eux. De se faire vraiment accepter afin de ne pas répéter les erreurs de la dernière fois. Cela fonctionna puisque Albric le présenta à deux autres meutes. Le message de l’Ordre se déployait.
Résistance.
On le contacta à la fin-octobre. Cela signifiait que quelque chose de grave s’était produit. Il rentra chez lui avant d’aller chez les Weasley histoire de ne pas arriver comme un sauvage. Ça faisait des semaines qu’il vivait dans la forêt. Il savait qu’il puait. Il garda la barbe, il retournerait dans la meute tout de suite après la réunion. Il ne fallait pas qu’il soit trop différent.
Cette douche fut la plus belle de sa vie. Oui, il n’avait pas honte de le dire.
Avant de repartir, il changea de t-shirt, puis il chercha de quoi ne pas perdre la tête. Une photo de 1981 ferait parfaitement l’affaire, il la rangea dans la poche poitrine de son blouson. Puis il jeta un dernier bref coup d'œil autour de lui et transplana.
Il ne pensait pas que la réunion concernerait directement Emilynn, on lui aurait dit si quelque chose était arrivé à sa fille. C’était important, mais pas grave. Cela pouvait être une grande avancée dans les plans de Dumbledore ou une nouvelle action à mettre en place.
« Pas de mauvaise nouvelle pitié. »
Tout le monde était là. Ça faisait beaucoup. Remus se mit à l’écart, bras croisés, adossé au mur. Après tant de temps seul avec ses pensées, tant de mots étaient de trop. George était avec son frère un peu plus loin, quand il le vit, il s’approcha.
— Emy va bien.
Une petite touche d’inquiétude s’envola. Enfin pas vraiment. Elle ne partait jamais entièrement. Depuis toujours, il avait cette peur qui ne le quittait jamais, que quelque chose lui arrive.
— Tu l’as vue ?
Sa voix était si rauque, il se racla la gorge.
— Oui, oui, aujourd’hui, c’était la sortie à Pré-au-lard.
Pré-au-lard mon œil, il n’était pas né de la dernière pluie.
— Elle arrive à jouer, son genou ne lui fait pas mal. Et elle a sept options alors elle travaille beaucoup.
Sept matières ? Il avait loupé beaucoup d’informations. Combien d’autres choses étaient arrivées dans la vie de sa fille sans qu’il soit au courant. Elle avait seize ans, et lui vivait dans les bois bordel.
— Merci George.
— Et toi ça va ?
— Ça va.
— Tu vis dans une meute ?
— Oui. Depuis septembre oui.
— D’où la barbe.
Il fit un sourire dans une tentative de dérider Remus. Il lui devait bien ça alors Remus tenta de lui rendre, mais c’était plutôt une grimace.
Il était vraiment asocial quand il revenait d’une meute.
— Pardon, je suis ailleurs après avoir été avec eux…
— C’est pas grave, je comprends.
On réclama le silence avant que Remus ait le temps de prendre de ses nouvelles. Puis on expliqua l’attaque qu’avait subie Katie Bell. Il se rappelait de cette gamine qui ne devait plus en être une. Il se rappelait de l’avoir eu en classe, il se rappelait qu’elle jouait avec Emy.
Il frissonna. Merde, ils n’avaient donc pas de limites.
La réunion se termina avec les mêmes questions que tout le monde se posait : qui ? Pourquoi ? Personne n’avait la réponse. Mais Dumbledore leur assura que leurs enfants étaient saufs et que Katie avait été prise en charge rapidement.
Remus vit Angelina pâlir tandis que Fred posait un bras autour de ses épaules.
Il quitta la maison et prit le chemin de la sortie. Il n’avait plus rien à faire ici. Plus il restait, moins il réussirait à repartir.
— Remus !
C’était elle. Bien sûr que c’était elle. On ne faisait pas partir des sentiments en quelques mois. Il devait avoir une tête affreuse, et elle, elle devait s’inquiéter. Il avait pourtant tenu toute la réunion sans la regarder. S’il s’arrêtait, il doutait de pouvoir repartir. Il lui dirait des choses qu’il regretterait, il l’embrasserait aussi, c’est sûr. Oui, il embrasserait ses lèvres si douces…
Une partie de lui mourait d’envie de lui parler. De rester, d’écouter sa voix, de voir son rire, de sentir son odeur.
L’autre lui criait de fuir.
Il écouta l’autre.