Quelques jours avant la rentrée de septembre, après le procès de Harry pour avoir utilisé le charme du Patronus contre les Détraqueurs.
“C’est vraiment passionnant.”
Ron poussa un profond soupir, alors qu’Hermione s’installait devant Arthur Weasley, ses grands yeux bruns scintillants d’intérêt.
“Je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à maintenant, acquiesça Arthur avec enthousiasme, mais j’avoue que si c’est le cas, peut-être que cela intéresserait le Ministère de la Magie.
-Vous ne pensez pas qu’ils seraient déjà au courant ? intervint Harry depuis l’autre bout de la table.
Le quartier général de l’Ordre du Phénix était vide de ses occupants, à cette heure tardive de la nuit, et seuls la famille Weasley, Sirius Black et Harry Potter logeaient au 12, Square Grimmaurd.
“Peut-être, admit le vieux rouquin. Mais j’en aurais sûrement entendu parler, ne serait-ce qu’une fois.”
Hermione pinça les lèvres, en pleine réflexion.
“Après, fit Ron en haussant les épaules, ce n’est pas comme si les moldus n’étaient pas fascinés par la magie. Ils seraient capables de s'auto-persuader qu’ils sont des sorciers.
-On ne parle pas des voyants et autres arnaqueurs, Ronald, répliqua la jeune fille.
-Oui, là c’est une autre histoire, reprit le patriarche. Ces moldus sont réellement capables de voir l’avenir et de tirer les cartes, en entraînant seulement leur esprit, c’est… tout bonnement stupéfiant.”
Harry fronça les sourcils, alors qu’il se penchait vers la discussion.
“Mais ça a été prouvé ? demanda-t-il, honnêtement curieux.
-Oui, répondit Hermione. C’est ça le plus étrange.”
Plusieurs jours plus tard, dans la banlieue londonienne.
Un jeune homme mince, grand, aux cheveux noirs ondulés attachés en un chignon négligé, ses yeux bleus pâles fixés sur la lettre qu’il tenait sous son long nez droit, fronçait les sourcils en parcourant l’écriture de ses parents.
Un manque d’argent, encore et toujours. Parfois, il se demandait s’ils s’attendaient à ce qu’il leur envoie des paniers repas. La pensée le fit sourire : il imaginait la grimace de sa mère à l’idée de recevoir de la pitié de son propre fils. Mais irrémédiablement, c’est ce qu’il ressentait, car il ne se passait pas deux semaines sans qu’un courrier rempli de plaintes ne vienne séjourner sur sa table basse bringuebalante.
“Gray, Louis ! appela la voix du professeur de sciences.
-Présent, lança-t-il en glissant la missive dans sa sacoche.
Avec un soupir résigné, il sortit un Bic et son carnet de notes.
Le cours de sciences était le dernier de cette journée pluvieuse de septembre, et ce fut avec un certain soulagement que Louis sortit de l’université. Il pressa le pas sous la pluie battante, le parapluie presque vissé sur le crâne tant il détestait avoir ses cheveux humides, et arriva en quelques minutes à son petit logement au dernier étage d’un immeuble décrépi. Sa porte d’entrée claqua derrière lui, alors qu’il lançait son sauveur en toile noire dans un coin du hall, voué à l’abandon jusqu’au lendemain matin.
Il défit ses chaussures de ville avec un certain empressement puis, avec un soupir de satisfaction, il se laissa tomber sur le grand lit double qui trônait dans la pièce unique qui lui servait de chambre, cuisine et salon.
Ce soir, il ferait un rituel, songea-t-il en fixant le plafond blanc duquel la peinture commençait à s’effriter. Il en avait déjà fait auparavant, mais jamais pour quelque chose d’aussi précis que l’argent. Au fond de lui, son instinct lui soufflait de ne pas souhaiter de bien matériel, car ce genre de souhait était superflu. Mais aujourd’hui, il pensait au bien de ses parents. Il n’avait pas besoin d’un rituel pour de l’argent -il se débrouillait plutôt bien avec ce qu’il avait mis de côté ces dernières années-, mais sa famille, elle, pouvait vraiment en avoir besoin. Et Louis était loin d’être un jeune homme égoïste : s’il pouvait aider, il le ferait.
Néanmoins, s’il voulait être efficace, il devait se préparer, tant mentalement que physiquement. Cela signifiait donc, un repas bien chaud et une longue séance de méditation. Il aurait besoin de toute sa concentration, et sa pierre en sélénite ne serait pas de trop.
Une fois vêtu de sa tenue cérémonielle, une longue robe noire cintrée à la taille sur un pantalon en tissu léger, il s’installa devant le petit autel qu’il avait mis en place sur la table de la cuisine. Le costume n’avait pas d’utilité réelle, pensa-t-il en passant ses mains sur la surface rugueuse, mais il l’aidait à s’imprégner de l’énergie qu’il tentait de manipuler. Énergie qui, grimaça-t-il en se retournant, n’avait pas sa légèreté habituelle. Il se leva avec lassitude, parcourant des yeux la petite pièce de vie. De tous les endroits, les défunts et les entités passaient leur temps à lui rendre visite, à croire qu’il tenait un salon de thé. Il leva ses deux mains devant lui, et s’avança avec précaution. L’air glissait entre ses longs doigts pâles, léger et frais, jusqu’à ce que Louis sente cette sensation : quelque chose de lourd, épais, chaud et électrique appuyait sur ses mains. Il parcourut la silhouette qu’il devinait avec lenteur, déterminant exactement son emplacement, ses mouvements, sa stature, et surtout, s’il devait la craindre ou la congédier gentiment. Bien que Louis sache qu’il ne fallait pas se fier aux apparences paisibles de certaines entités, il y avait des détails chez les défunts que même l’esprit le plus malicieux du bas astral ne pouvait imiter. Les esprits inhumains étaient chaotiques, leur forme constamment en mouvement, même lorsqu’ils se cachaient, ils étaient semblables aux flammes d’un puissant brasier. Un homme, comme celui qui faisait face à Louis, était fait d’une énergie stable, lisse, et bien que le jeune homme puisse sentir les émotions se déchaîner -colère, peur, angoisse, confusion-, ces émotions restaient ancrées dans la forme humanoïde.
Il se racla la gorge, inspira profondément, concentrant l’entièreté de ses pensées sur l’entité.
“Bonjour, murmura-t-il.
Il attendit quelques secondes, mais le défunt ne sembla pas faire cas de sa présence. Louis soupira. Parfois, certains morts étaient ouverts au contact, et c’était rapide de les faire partir. Néanmoins, bien qu’il sache qu’il serait fatigué après un tel mode de communication, il ferma les yeux.
Son esprit était noir, ses pensées reléguées à l’arrière, et tout son être était barricadé derrière de lourdes portes cadenassées. Le défunt ne fut pas difficile à inviter : c’était un homme d’âge mûr, décédé il y a de çà quelques heures dans un violent accident de la route, et son esprit cartésien était de ce fait extrêmement malléable. Louis le poussa à entrer dans son propre esprit puis, une fois la forme angoissée immobile dans l’espace sombre, il reprit le dialogue.
“Bonjour.”
L’homme sursauta, au soulagement de Louis. Bien qu’il soit expérimenté, il avait toujours cette crainte qu’un jour, il fasse entrer quelque chose d’autre dans sa tête.
“Je suis Louis, comment vous appelez-vous ?
-Stefan.”
La voix désincarnée était hésitante.
“Stefan, savez-vous où vous êtes, ce qu’il s’est passé ?”
Une nouvelle vague d’effroi, de désespoir.
“Je suis mort.”
Louis déglutit.
“Oui. Avez-vous pu saluer vos proches une dernière fois avant de venir à moi ?”
L’angoisse laissa place à un sentiment de culpabilité, un sentiment habituel pour ceux qui laissaient une famille entière derrière eux.
“Oui, chuchota la voix. Vous allez m’envoyer au…” Il sembla chercher ses mots. “Au Ciel ?”
Louis se permit un sourire, bien que l’entité ne puisse pas le voir.
“Non, ce n’est pas à moi de le faire. Je vais vous rediriger vers une personne qui vous aidera et vous accompagnera.
-Un ange ?
-Un passeur d’âmes.
-Oh.”
Il était évident que Stefan ne connaissait pas les passeurs d’âmes, mais les explications de Louis semblaient faire effet. Il y avait une once de confiance, de curiosité qui reléguaient la précédente panique au second plan.
“Ce que je vais faire, c’est ouvrir une porte. Vous la passerez, puis vous vous dirigerez en suivant votre instinct. Vous serez amené vers un passeur d’âmes, qui vous prendra en charge.
-Je comprends.
-Bien, je vais ouvrir cette porte, préparez-vous.”
Il y eut une hésitation. Le défunt avait l’air de vouloir poser une question, et Louis l’enjoigna à le faire en cessant ses mouvements.
“Qu’êtes-vous, si vous n’êtes pas un passeur d’âmes ?
-Pour être honnête avec vous, Stefan, je ne sais pas.” Louis eut un rire amusé. “Parfois, les défunts se présentent chez moi, perdus et paniqués, alors j’essaie de les aider du mieux que je peux.
-Je ne savais même pas que j’étais chez vous…
-C’est normal, votre esprit est à la recherche d’une aide, et j’étais le plus proche. Il n’y a pas de mal à ça.
-Il n’empêche que je dois monopoliser votre soirée avec mes soucis de fantôme, plaisanta Stefan.
Louis sourit, une pointe de tristesse dans son expression invisible de l’entité. Il faillit confier à l’homme que s’il ne s’occupait pas de lui, il resterait coincé dans son salon durant l’éternité, mais ce n’était pas une chose agréable à entendre.
“Ne vous inquiétez pas, se contenta-t-il de répondre. Aider les gens n’est jamais une perte de temps.”
Il vit la forme du fantôme scintiller de reconnaissance. Même décédé, un humain était toujours capable d’amour, songea Louis alors qu’il ouvrait la porte lumineuse.
Le fantôme se dirigea prudemment vers le passage, et alors qu’il passait le porche, il lança un honnête et chaleureux :
“Merci !”
Puis son esprit redevint silencieux. Avec un long soupir épuisé, Louis rouvrit les yeux sur son studio miteux et étroit. Il frissonna de froid, et son esprit était engourdi. Les mains tremblantes, il saisit une large bougie blanche et l’alluma.
Quelques minutes plus tard, la chaleur et la pureté de la flamme l’avait entièrement réchauffé, et bien qu’il zieuta son lit avec envie, il avait un rituel à effectuer qui ne pourrait pas attendre le lendemain.
Il prit le temps de nettoyer correctement la pièce des énergies parasites, puis la protégea, comme à son habitude. Il installa au sol une large couverture d’un rouge profond bordé d’or, y déposa un plateau simple en argent puis disposa les différentes pierres, plumes, plantes séchées dont il aurait besoin, ainsi qu’un petit flacon dans lequel il enfermerait ses intentions pour sa famille.
Il s’installa confortablement en tailleur, posa sa bougie blanche en sécurité -loin du tapis, au cas où un incendie serait l’invité surprise de la soirée- et ferma ses paupières. Il prit une profonde inspiration, et débuta une méditation qui lui permettrait d’atteindre un niveau de concentration nécessaire pour le rituel.
Cela faisait maintenant une dizaine de minutes qu’il s’était déconnecté de son corps, quand il entendit un grand souffle sur sa droite. Louis fronça les sourcils, intrigué. C’était étrange, surtout qu’à présent le son s’intensifiait. Il ouvrit les yeux avec précaution, et aperçut alors une sorte de porte ronde, semblable à celles qu’il invoquait pour libérer les défunts. Il pencha la tête, perplexe : il se doutait qu’il était en plein voyage astral, son esprit s’évadant de son corps matériel pour explorer d’autres horizons, mais il n’avait jamais expérimenté quelque chose d’aussi réel. Néanmoins, Louis était un jeune homme extrêmement curieux. Il se leva, enjamba la bougie qui s’était d’ailleurs éteinte, remarqua-t-il avec un haussement de sourcils, puis fit face au portail. Il ne pouvait pas voir ce qu’il se passait de l’autre côté, mais ses sens affutés ne détectaient rien de malfaisant.
Ainsi, il s’enfonça dans la barrière d’énergie, avant de… tomber à quatre pattes sur un sol de pierre froide.
Il redressa la tête, apercevant une imposante table en bois, et sur sa gauche, une série de marches menaient à un grand bureau luxueux. Tout autour, des tableaux étaient accrochés, représentant des hommes et des femmes en plein sommeil.
Vraiment étrange, songea Louis en se remettant sur ses pieds. C’était trop palpable, trop concret. Quelque chose clochait. Il ne flottait pas dans les airs, et son corps était plus présent que jamais. Son sang battait à ses oreilles, son souffle s’accélérait. Qu’avait-il fait ? Il tenta de se pincer, plusieurs fois. Mais rien n’y fit, et en bonus, la peau de sa main gauche prit une jolie teinte rouge.
“Bonsoir ?”
Louis lâcha un cri lorsqu’il aperçut un vieil homme, vêtu d’une robe et portant une barbe aussi longue que le Magicien Gris de sa trilogie fantastique préférée avec des nains et des elfes.
“Je…heu…, s’étrangla-t-il en reculant avant de s’écraser contre la bibliothèque.
La bibliothèque qu’il touchait, qu’il sentait entre ses mains.
“Ce n’est pas possible ! s’exclama-t-il finalement en saisissant à pleine main un livre laissé sur le rebord de l’étagère.
Ses yeux bleus s’attardèrent sur le titre, et son cœur rata un battement.
La sorcellerie à travers les âges : les baguettes et l’intention.
“Je ne sais pas ce que vous considérez comme impossible, mon garçon, mais s'il-vous-plaît, prenez place un instant.”
Le vieil homme indiquait les deux fauteuils autour d’une table basse, dans l’autre coin du bureau, et Louis, la main crispée sur le livre, écarquilla les yeux de surprise.
“C’est une…
-Une baguette.”
Le vieil homme leva le long bâton pâle devant lui, mais ses yeux perçants, ne clignant pas au-dessus de ses lunettes en demi-lune, étaient curieux, et loin d’être menaçants. Louis pouvait sentir la puissance émaner du vieillard, et cette baguette n’avait rien d’une branche taillée ordinaire. Il poussa un long soupir destiné à l’empêcher de paniquer plus qu’il ne le faisait déjà.
Faire le vide, protéger, éloigner. Fermer les portes, fermer le cadenas. Garder la clé, loin. Respirer.
Louis reposa méthodiquement l’ouvrage, et se dirigea vers le siège, suivi par l’homme à la barbe blanche.
“Je suis Albus Dumbledore, directeur de l’école de sorcellerie Poudlard.”
Cette simple phrase déclencha une vague d’interrogations, et il eut du mal à diriger ses pensées pour rester sur l’essentiel. Pourquoi, comment, par où repartir.
“Je m’appelle Louis Gray, je suis étudiant à Londres. Pourquoi suis-je arrivé ici ? Comment ? Avez-vous perturbé mon voyage astral ?”
Les sourcils d’Albus Dumbledore étaient montés haut sur son front ridé.
“Un moldu, chuchota-t-il, effaré.
-Un quoi ? répéta Louis en fronçant les sourcils.
Le directeur se pencha en avant, et plongea ses yeux bleus électriques dans ceux, presque gris de Louis. Le jeune homme ressentit alors une poussée dans son esprit, qui le fit sourire, bien que la situation soit plus que critique. Personne n’entrait dans sa tête sans qu’il ne l’invite.
“Ce n’est pas très courtois, de fouiller l’esprit d’un inconnu, fit-il poliment remarquer.
Dumbledore l’observa avec une véritable surprise dans le regard, puis un sourire amusé étira ses lèvres.
“Bien, je m’excuse.”
Louis hocha la tête, acceptant le mot.
“Donc, qu’est-ce qu’un moldu ? Pouvez-vous m’expliquer ce qu’il se passe ?”
Le ton de Louis avait radicalement changé, et bien qu’il se maîtrisait, sa peur refaisait surface.
“Je pense qu’il serait plus simple que je vous montre, répondit le directeur de Poudlard en pointant sa baguette sur Louis.
-Que faites-vous ? demanda le jeune homme, mal à l’aise.
-Rien de néfaste, je vous assure.”
Dumbledore se concentra, puis prononça avec une voix plus grave :
“Memorias in te.”
Louis vit alors un flash blanc jaillir de la baguette et converger droit vers son front. Puis, une dizaine de secondes plus tard, il s’écroula du fauteuil.
La sorcellerie.
La sorcellerie existait.
Louis haletait. Il avait l’impression que son cœur allait lâcher.
Il revoyait les images que le directeur lui avait montré : les balais volants, les potions, les duels de magie, les créatures… Il y avait tant de choses.
Ses yeux étaient humides.
Il laissa échapper un rire, un bruit qui sembla fou même à ses propres oreilles.
“M.Gray, vous allez bien ? s’inquiéta le vieux sorcier.
-Ça existe, balbutia-t-il. Ça existe.”