Le silence. C’est la première chose que remarque Fred lorsqu’il reprend conscience. Aussi loin qu’il se souvienne, il ne l’a jamais vraiment connu. Les cris d’enfants à la maison, les explosions de leurs inventions à George et lui, les soupirs exaspérés de leur mère. Et puis à Poudlard, le mot « silence » n’existe pas. Même dans un couloir désert, il y a toujours un tableau pour vous faire la morale, pour vous faire remarquer que minuit n’est pas une heure pour se balader dans le château avec une carte à la main…
Fred n’a jamais aimé le silence d’ailleurs, il a toujours fui la bibliothèque, et fixait désespérément l’horloge de la classe lors des examens. Il écoutait le grattement des plumes sur le parchemin, le tintement délicat que produisait leur rencontre avec le verre de l’encrier.
Lentement, il se lève. C’est très étrange, il se sent si léger… Il se souvient d’une douleur vive, d’un cri, mais d’où cela lui vient-il ? Où était-il quelques minutes plus tôt ? Pourquoi n’a-t-il plus mal ? Il lui semble saisir quelques bribes de souvenirs mais dès qu’il essaie de s’y raccrocher elles lui échappent comme de la fumée. Comme un rêve que l’on essaie de se rappeler au réveil mais qui semble prendre un malin plaisir à s’estomper.
Ce qui l’entoure est indéfinissable. C’est impalpable, comme irréel, pourtant il ne tombe pas. C’est donc qu’il doit bien marcher sur quelque chose. Pas d’odeur, pas de mouvement. Et ce silence, bon sang.
— Il y a quelqu’un ?
Rien ne lui répond, pas même un écho. Sur quoi le son pourrait-il rebondir, de toute façon ? Il n’y a rien.
Alors Fred se met à marcher, droit devant lui. Il va bien finir par trouver quelque chose, il ne peut pas n’y avoir que du vide. Pourtant, à mesure qu’il avance, force est de constater que rien ne change. Rien ne semble exister, à part lui. Comme un non-être…
Cette pensée faire ressurgir un souvenir, de manière fulgurante. Il se revoit, âgé de 15 ans, dissimulé non loin de la tour des Serdaigle, George à ses côtés. Il revoit Percy, et se trouve brutalement envahi d’une immense tristesse à cette pensée, sans comprendre pourquoi. Son frère aîné est en compagnie d’une jeune fille, et Fred ne parvient pas à se rappeler de son nom. La scène est floue, mais une phrase résonne dans sa mémoire, elle vient de l’aigle qui surplombe la porte de la salle commune.
« Où vont les objets perdus ? »
Le nom de la fille lui est inconnu, mais sa voix lui revient, claire comme de l’eau de roche, et la réponse qu’elle donne à l’aigle. « Dans le non-être. »
Le non-être. Il regarde autour de lui. Dans ce monde étrange où il déambule sans ressentir ni faim ni fatigue, il n’y a que lui. Et « lui », qu’est-ce que cela veut dire ? Est-il réellement là ? Pourquoi se sent-il si léger, si vide ? Comme s’il n’existait plus, comme s’il s’effaçait… comme s’il n’était plus.
Alors Fred comprend. La vérité le frappe de plein fouet. Il sait pourquoi il est là.
L’objet perdu, c’est lui.
Et ce silence si pesant, si lourd et envahissant. Ce cri silencieux dans l’infini, ce voile qui tombe dans un fracas assourdissant, et pourtant sans un bruit.
Ce sont les trompettes de la mort.