Il n’y avait que Mina et Evan Wallergan qui pouvaient vouloir fêter un tel événement.
Henry Wallergan, l’aîné de la fratrie, avait des obus meurtriers et des cadavres qui pourrissaient, véritable festin pour les petits charognards, sous ses paupières.
Ils avaient acheté des fusées de feux d’artifices à la demande de Mina. De quoi colorer le ciel d’autres étoiles plus atteignables... Evan avait pâlit mais l’avait laissé faire. Henry s’était déjà mis à appréhender le moment où les couleurs éclateraient dans le ciel. Où il entendrait la détonation qui lui en rappelait d’autres, assassines et brutales.
Henry s’était fait à l’idée qu’il mourrait sur le son d’une explosion. Un boum pour arrêter le battement de son cœur.
Les détonations entre autres, le bruit soudain d’une porte qui se fermait à cause d’un courant d’air, l’odeur de la poudre, celle du tabac et de l’alcool, le ramenaient dans les tranchées pleines de boue et de fantômes. La guerre était comme jalouse chaque fois qu’il l’oubliait plus de quelques heures. Elle revenait, à petit pas de velours et elle lui murmurait à l’oreille qu’il ne serait jamais tranquille. Il se laissait glisser dans ses bras, très souvent, parce qu’à quoi bon lutter ?
Les seules fois où elle le laissait tranquille, c’était lorsqu’il la noyait dans l’alcool.
Henry Wallergan se souvenait de la guerre comme s’il était toujours en train de la faire. Il se souvenait s’être rasé au gros rouge par manque d'eau ; de la hantise de perdre son quart de gnôle, qu'il emportait partout avec lui, même s'il étincelait au soleil et risque d'alerter l'ennemi. C’était un mal indispensable à qui voulait surmonter l’horreur de la bataille et il le portait constamment en lui. Il fermait toujours et encore les paupières. Il voyait quand même.
Henry voyait boyaux, yeux asymétriques. Il était perdu dans ses cauchemars, ses souvenirs.
Chaque matin, il buvait ses gorgées et s’empoisonnait.
Mina était une jeune femme et une sorcière remarquable. Elle avait amputé, elle avait fait saigner pour soigner, elle avait aidé, elle avait secouru et aujourd’hui encore, elle continuait. Evan, lui, leur tout petit frère, était tombé amoureux de l’été, du soleil et des citrons, d’une femme appelée Helen, qu’il courtisait. Ça avait beaucoup fait rire Henry, lorsque son cadet était venu lui demander des conseils…
Les femmes… Il n’y connaissait rien. Il n’avait pas eu le temps de vivre une seule romance dans sa vie, avant de partir pour la guerre et lorsqu’il en était revenu sa tête était bien trop pleine pour y songer.
Pourtant, un visage se dessina dans sa tête. Une femme Black. Trop belle, trop jeune, trop malveillante parfois, mais diablement fascinante et libre comme le vent.
Lycoris Black et lui s'étaient rencontrés à l'Allée des Embrumes, alors qu'il cherchait une potion de sommeil plus efficace que celle qu'il prenait déjà. Elle lui avait fait un sourire, qui n'avait rien d'innocent et avait caressé sa main en passant près de lui.
Il avait rougit, avant de se reprendre et de retourner se saouler au Chaudron Baveur.
Henry soupira en se levant ce matin-là. Il fit sa toilette et s’habilla avant de s’emparer de sa baguette, posée sur la commode. Il prit son café, mêlé d’autre chose d’un peu plus fort. Evan était déjà attablé, rasé de près, beau, sans poche sous les yeux, l’air heureux. Il sifflait.
Il sifflait.
– Aujourd’hui est un bon jour ! fit-il, enthousiaste. C’est un beau mardi.
Leur mère entra à son tour, talonnée par leurs deux elfes de maison qui s’attelaient déjà à préparer le somptueux repas pour la fête de ce soir. L’un d’eux leur apporta un exemplaire de la Gazette et lorsque ses yeux se posèrent sur la date du 11 novembre 1919, Henry ferma les paupières.
La fête…
Il n’y aurait que les Hartley, Helen peut-être et eux. Assurément les mille fantômes aux membres éparpillés entre deux tranchées ennemies.
On avait vu des fêtes bien plus fastueuses !
Il grogna dans sa barbe et répondit légèrement à l’étreinte de sa mère.
– Mes beaux garçons ! Oh mais quelle est donc cette odeur ?
« Le café et l’alcool maman », répondit-il dans sa tête.
– Quelle odeur ? fit innocemment Evan en lançant à Henry un regard inquiet.
Il ignora tout ça.
Il faisait incroyablement beau pour un 11 novembre et Henry aurait pu l’approuver si le sifflement de son frère n’avait pas été insupportable. Evan reposa son gobelet sur la table de la cuisine et l’ancien soldat sursauta. Il se leva d’un bond, s’empara de son manteau et parti en direction du Ministère de la Magie.
Il avait été embauché au service de détournement de l’artisanat moldu. Ça payait bien et son travail était intéressant. Il l’aurait apprécié davantage s’il n’avait pas fait cette guerre.
Il aurait tout mieux apprécié s’il n’était jamais parti et s’il ne s’était jamais battu.
Il détestait s’apitoyer, se plaindre et paraître faible. Henry était un Wallergan, l’aîné, le roc, celui vers qui on se tournait, à qui on demandait des conseils sur les femmes, lui qui n’en avait jamais touchée une seule, celui qu’on ne soupçonnait pas de boire en secret, parce qu’il était parfait, si fort et solide, si responsable et mature.
Il rentra tôt.
Il resta un moment tout en haut de la colline. De là où il était, il avait une vue imprenable sur les manoirs des Hartley et des Wallergan qui se faisaient face. Un peu plus loin, il y avait ceux des Dawn, des sorciers austères et froids. Ils travaillaient tous dans la justice magique et respectaient les lois avec une rigueur stricte et sèche.
Abundans cautela non nocet. L’excès de prudence ne peut nuire. Leur devise familiale.
Que des conneries.
Henry repéra sa sœur, Mina, dans le jardin. Elle cueillait des fleurs. Enfin, elle faisait mine de cueillir des fleurs… Il était compliqué de cueillir quoi que ce soit en plein novembre et la curiosité de sa sœur le fit sourire. Elle surveillait en fait son amie Helen et leur petit frère, qui se tenaient timidement les mains, assis tous deux sur la balançoire.
Evan était en train de construire sa vie, loin d’eux. Il s’éloignait, alors qu’Henry avait tout fait pour que son petit-frère, son tout petit frère, soit à l’abri de tous les dangers. Il allait partir, poursuivre ses études de médecine, probablement se marier avec Helen, avoir une belle maison qui sentirait l’été, le soleil et le citron, avoir des bambins, et être heureux.
Mais comment faisait-il ?
Mina avait toujours eu un sixième sens pour repérer ses deux frères. Aussi, quand elle tourna la tête vers lui et lui fit de grands signes, cela ne le surprit pas. Il y répondit avec une joie à peine feinte bien que ce sentiment n’ait eu que des origines illusoires ou artificielles.
Il descendit finalement la colline et pénétra dans le domaine des Wallergan, son refuge. La fin de l’après-midi n’avait pas encore tout à fait sonné et sa mère était toujours en cuisine, à préparer un repas digne d’un roi. Dans le petit salon, il entendit son père en train de discuter avec les Hartley. Roth avait les mêmes yeux bleus que John, son frère.
Pourquoi n’est-il pas parti avec lui ? s’était toujours demandé Henry. Pourquoi ne l’a-t-il pas empêché de s’engager ?
John Hartley était mort sous les yeux d’Evan et voir mourir le frère de quelqu’un d’autre, d’une personne qu’il connaissait et avec qui il avait étudié à Poudlard, avait plongé Henry dans un cauchemar duquel il n’était pas encore réveillé.
– Ah Henry ! Tu prendras bien quelque chose avec nous mon garçon ! lui proposa son père.
Le fils n’eut pas le cœur de refuser.
En fait, il ne refusait jamais ce qui se buvait. Sinon, ses mains tremblaient et son cœur se contractait.
Et alors qu’ils s’apprêtaient tous à trinquer en l’honneur de l’armistice, à faire la fête sans fête parce que les coeurs battants encore n’y étaient pas vraiment, en cette première année de paix, la police magique défonça la porte de la maison sous les cris d’Evan et Mina, qui protestaient.
***
18h01
– Article 5 de la loi d’urgence pour la protection du secret de la magie en temps de guerre moldue : tout sorcier ne respectant pas les articles susvisés à la-dite loi, se verront être interrogés par la police magique et devront répondre de leurs actes devant un tribunal ad hoc.
Archilleus Dawn avait une tête de con et des mots qui l'étaient encore plus.
On entendait la plume à papote griffonner sur le parchemin, prenant en note chaque mot chaque geste prononcé ou exécuté dans cette pièce.
– Dois-je peut-être vous rappeler les articles susvisés ?
– Cela serait en effet fort plaisant ! répondit Henry avec un sourire forcé et hypocrite.
Archilleus Dawn devait avoir son âge. Il était beau garçon et toutes les sorcières de bonnes familles faisaient la queue pour obtenir ses faveurs. Lorsque Mina avait été l’une d’entre elle, il l’avait tout de suite raisonné.
– Article 1 de la loi d’urgence pour la protection du secret de la magie en temps de guerre moldue : il est formellement interdit aux sorciers de prêter assistance à l’effort de guerre, quelle qu’en soit la nature.
– En voilà une loi fort limpide !
– Article 2 de la loi d’urgence pour la protection du secret de la magie en temps de guerre moldue : il est formellement interdit aux sorciers de s’engager dans la guerre. Tous les moyens permettant aux sorciers d’éviter la mobilisation seront autorisés.
– Des mots si clairs …
– Article 3 de la loi d’urg…
– Sommes-nous obligés d’entendre à chaque fois l’intitulé exact de cette loi ?
– Oui, rétorqua sèchement l’agent.
– Bien. Comme il est doux de l’entendre. Un enchantement pour les oreilles.
Henry termina son verre d’une traite. Il tenta de tendre l’oreille pour écouter ce qu’il se passait dans la pièce d’à côté, où on avait emmené Evan.
– Vous n’êtes donc pas sans ignorer que notre Premier Ministre de la magie a promulgué une loi d’urgence…
– Pour la protection du secret de la magie en temps de guerre moldue ? Il me semble avoir en effet entendu quelques échos à son propos…
Henry n’était pas une personne habile dans l’art de la moquerie. Il n’était pas insolent et ne l’avait jamais été jusqu’à maintenant, alors même qu’il en relevait de sa liberté et de celle de son frère. Il leva son verre et le pencha, pour voir s’il restait une dernière goutte.
Rien qu’une seule.
– Que nous vaut donc le plaisir de votre venue ? demanda simplement l’aîné des Wallergan.
– Votre absence du 19 décembre 1916 au 14 août 1918.
Henry inspira calmement.
Son frère et lui n’avaient pas survécu à l’horreur pour être enfermés et se faire traîner en justice pour cette putain de chienne de guerre.
Il allait devoir les sortir de là et accomplir jusqu’au bout ce chemin de retour vers la maison qu’ils avaient emprunté en rentrant de la guerre.
Il fallait la laisser derrière eux.
A sa juste place.
***
18h10
– Evan est Cracmol.
– Tout le monde le sait, déclara sombrement Archilleus Dawn.
– Il n’aurait pu s’engager dans une telle guerre. Je m’y serais formellement opposé, comme le reste de la famille. Cette idée ne lui serait même jamais venue à l’esprit. Evan est quelqu’un de fragile …
Henry n’en pensait pas un seul mot.
Son frère était la personne la plus forte qu’il connaissait. La plus droite, la plus noble et la plus gentille. Il était un homme mille fois meilleur qu’il ne le serait jamais.
« Je vais m’engager. Et cette fois, je ne vous écouterai pas me dire encore une fois que j’y risque la vie, et si l’un de vous ose lever sa baguette sur moi, je la lui casse en deux dès le lendemain » avait dit son frère, lorsque Henry avait tenté de le dissuader de s’engager et de se rendre sur le front. Mais Evan n’avait écouté ni Mina, ni lui, comme d’habitude. Il était parti, alors ils étaient partis tous les trois, enfreignant consciemment cette loi de merde.
Henry renifla en souhaitant camoufler son rire. Fût un temps où il ne supportait pas d’entendre la moindre vulgarité. Aujourd’hui, il sortait de sa bouche des « putains », des « merdes » et des guerres.
– Non, non… Jamais nous ne serions partis. Cette guerre était une véritable boucherie et nous le savions tous. Qui irait foutre ses pieds dans un tel enfer ? continua Henry.
– Votre frère était ami avec John Hartley.
Pauvre John…
– John faisait partie de ces sorciers qui ont de nobles valeurs et qui se fichaient bien qu’Evan soit un Cracmol. C’était un homme bien et nous le pleurons encore.
Henry devait doser les vérités pour mieux mentir.
Dès qu’ils étaient rentrés du front, il s’était attendus à avoir la visite des gens du Ministère.
Pourquoi venaient-ils seulement maintenant ?
– Cet homme a mis en danger le secret magique.
– Mais il a sauvé des vies.
– Qu’en savez-vous ?
– Il s’est engagé pour son pays, pour les moldus. C’était quelqu’un de bien et de courageux. J’aurais aimé avoir ces mêmes qualités.
– Il a sûrement compromis une bonne centaine de loi sur la protection du secret magique.
– Ne croyez-vous pas que cela est préférable parfois, d’enfreindre une loi et de sauver des vies, plutôt que de la respecter et de par notre inaction, laisser souffrir des innocents ?
Les prunelles brunes d’Archiellus Dawn se firent noir comme le sang séché.
Abundans cautela non nocet. L’excès de prudence ne peut nuire.
Que d’immenses conneries.
– Comme je vous le disais, je n’avais pas les qualités de John et Evan est bien trop fragile.
C’était pourtant lui, qui avait entraîné toute la fratrie dans cette guerre. Henry l’avait suivi pour le protéger. Il n’avait jamais fermé l’oeil plus de deux heures par nuits, s’assurant qu’Evan ne se mettrait pas encore plus en danger. Une fois débarqués en France par portoloin clandestin, Mina était partie dans un hôpital et Henry et Evan, avaient intégré la compagnie d’un bataillon situé dans la Somme.
Lors de leur première bataille, les corps tombaient si vite à ses côtés, que le sorcier s’était demandé pourquoi lui était encore debout.
La magie.
Les protegos sur ses vêtements.
Et Evan agissait, sauvait des vies, pinçait des nez pour faire descendre dans des gorges anonymes des fioles entières de potions pour les maintenir dans ce monde-ci. Evan, cracmol, sans magie, mais avec tant de courage et d’espoir. Henry était resté planté comme un abruti au milieu du chaos, bousculé, hypnotisé par le staccato des mitraillettes et les dessins sinueux du sang en train de couler sur le sol.
C’était sordidement, morbidement beau.
– Je suis un lâche qui croit en son courage, Dawn. La guerre, ce n’est pas pour moi, renchérit l’ancien soldat.
***
18h18
Ils n’avaient même pas interrogé Mina.
Ou même Helen, qui avait aussi été infirmière.
L’idée même que deux femmes, deux sorcières, aient pu s’engager devait leur être inconcevable, à ces connards du Ministère.
– Vous vous apprêtiez à fêter quelque chose ? demanda Archilleus Dawn.
– La fin de la guerre. L’armistice, avoua Henry. Nous avons pensé que cela ferait plaisir aux Hartley, qui viennent de perdre leur fils. Il s’est battu pour cette paix…
L’agent pinça ses lèvres.
– Je crois que nous avons été dans la même promotion à Poudlard…, se rappela enfin l’aîné des Wallergan.
Oui maintenant, ça lui revenait…
– Vous étiez à Gryffondor.
– Hummm… Il m’arrive de penser que j’aurais davantage eu ma place à Serdaigle, comme vous.
– J’étais à Serpentard.
– Ah ! fit Henry en décollant les doigts de son verre qu’il ne lâchait pas. John était à Serpentard également.
– Donc ces retrouvailles n’étaient que pour apaiser le chagrin de vos voisins ?
– Il s’agit de nos amis, rectifia le jeune homme.
– Nous avons recueilli plusieurs témoignages de moldus qui relatent d’étranges événements sur le front et durant la guerre.
– Le front et la guerre ne sont certainement qu’une somme d’étranges événements, Monsieur.
Il lui fallait un autre verre.
Tout de suite.
Il tendit le bras pour se saisir de la bouteille, mais l’agent du Ministère la lui reprit avec poigne.
– Des hommes qui disparaissent en plein durant la bataille, des liquides versés sur des plaies qui se referment comme par miracle, des balles qui ricochent contre des soldats… Les témoignages commencent à nous devenir public et nous permettent de remonter aux auteurs de ces sortilèges et de leurs auteurs. Il convient de les punir d’avoir mis en péril le secret magique. Votre frère et vous avez disparu durant presque un an et demi. Où étiez-vous ?
Ils avaient probablement choisi la date du 11 novembre pour visiter les foyers, espérant peut-être surprendre des sorciers en train de fêter cette première année de paix, comme eux.
Un anniversaire bien noir qui les obligeait à se rappeler du pire.
Comment pouvait-on célébrer la mort ? Comment pouvait-on accepter de se souvenir des bras en train de voler, des jambes découpées, des visages fracassés, des hommes qu’ils avaient tués et massacrés, des tirs interminables, des mouches en train de faire leurs nids au sein des entrailles de leurs compagnons décédés, de ces nuits froides et boueuses, de ces odeurs de pourriture et de poudre…
Comment pouvait-on se rappeler la mort ?
– Monsieur Wallergan ?
– En cure. A Bath. Evan est de santé fragile et il tombe souvent malade. Nous avons pensé que l’air marin serait vivifiant, sursauta Henry en se rappelant qu’il devait répondre à la question.
– Vous accompagnez toujours votre frère ?
– Jamais l’un sans les autres, jamais moi sans nous, jamais un ou deux sans trois.
– Pardon ?
– Mina, Evan et moi. Nous nous sommes faits cette promesse lorsque nous étions enfants.
Ces jours lointains semblaient si innocents et parfaits maintenant qu’il y songeait. Ils n’étaient que des gosses qui ne pensaient qu’à jouer et à s’aimer.
Henry jeta un œil à sa baguette, posée loin de lui, près de l’agent du Ministère. Il la lui avait confisqué le temps de l’interrogatoire.
– Des gens peuvent attester de votre présence à Bath ?
– Très sûrement. Notre tante nous a hébergés.
Trois épouvantails enchantés, placés par moment à une fenêtre du salon ou dans le jardin. Leur tante était une femme malicieuse qui aimait se jouer des règles. Elle avait protégé ses neveux et sa nièce avec joie.
– Une autre personne, extérieure à la famille ?
– Malheureusement, nous recevions peu. Avec la santé d’Evan…
– Des sorciers qui auraient pu vous voir lors de vos sorties au grand air ? l’interrogea Archilleus Dawn avec un sourire mauvais.
– Evan est un cracmol Monsieur. Vous savez comme cela est difficile pour lui, comme pour nous, de sortir sans… sans quelques méchantes ou désagréables rencontres… Nous sommes toujours allés dans des endroits très peu fréquentés et principalement par des moldus.
***
18h23
Il était hors de question que son frère et lui soient jugés.
Ils n’avaient rien fait de mal.
Enfin… pas vraiment.
Après tout, ils avaient tué. Ils avaient mutilé. Ils avaient blessé.
Ils avaient survécu.
– Vous semblez malade. Tout va bien, Wallergan ?
– Parfaitement, je vous assure.
Il allait vomir. D’un instant à l’autre il allait vomir.
– Je crois que nous poursuivrons cette discussion au service de la justice magique, lui accorda l’agent, qui semblait être pris de pitié.
– Nous n’avons rien à cacher. Je peux répondre à toutes vos questions.
– Bien. Dans ce cas…
L’interrogatoire se poursuivit. On lui demanda plus précisément où ils étaient, à quoi ressemblaient leurs journées types. On lui posa ses questions sur la guerre, sur le front. Il fit semblant de ne pas avoir réponse à tout, indiquant qu’il s’était toutefois renseigné pour rester informé.
Henry ne sut pas vraiment ce qui acheva de convaincre l’agent en face de lui.
Peut-être la peur sur son visage chaque fois qu’il évoquait la guerre.
Le dégoût dans sa voix, pour la violence des hommes.
La haine de ses poings serrés pour tous ces morts qu’il affirmait avoir souhaité sauver.
Oui. Henry Wallergan aurait aimé en faire plus et agir, comme son frère l’avait fait. Evan avait donné de lui jusqu’à la dernière miette, jusqu’à sa dernière once d’énergie, pour venir en aide aux moldus qui en avaient besoin. Lui, n’en avait pas fait tant parce qu’un seul être humain, une seule survie l’intéressait : celle de son petit frère.
Et ce fût ce sentiment, ce besoin, cette mission qu’il mit en avant dans ses mensonges.
Ce fut probablement ça, qui les sauva tous les deux d’un procès.
– Je vous demanderai de signer ce document, fit enfin l’agent. Par cette signature, vous déclarez que cette disposition vous engage à la vérité et que votre témoignage n’est pas parjure.
Il signa sans se poser de question en acceptant la plume qu’on lui proposait. Il la remit dans la bouteille qu’Archilleus Dawn avait tenue loin de lui et partit de la cuisine, pour rejoindre sa famille dans le petit salon, surveillés par un autre agent.
La pendule affichait 18h26 lorsqu’Evan pénétra à son tour dans le salon, avec un autre agent qui déclara d’une voix forte :
– Ce n’est qu’un Cracmol… Bordel on a perdu notre temps ! Jamais il n’aurait survécu à tout ça ! Partons d’ici !
Il avait suffit de vingt-cinq minutes, pour les convaincre que les Wallergan n’étaient que des lâches et des faibles. La colère monta dans son cœur. Vingt-cinq minutes pour accomplir un mensonge d’envergure, sûrement plus important de sa vie, pour pouvoir rester libre et ne pas subir un procès.
Il voulait un peu de reconnaissance. Un peu de fierté. Un peu de… tout et surtout beaucoup de liqueur.
Fallait-il désormais être des personnes sans valeur pour ne pas être punis ? Fallait-il être heureux que l’on pense d’eux qu’ils étaient des lâches et des faibles ?
Il savait qu’il l’était et que sans son frère, il n’aurait jamais foutu les pieds en France.
Il avait honte de le penser. Il avait honte d’Archer Evermonde et de sa loi. Il avait honte de la magie.
L’aîné vit les larmes briller dans les prunelles de son frère et déposa une main rassurante sur son épaule.
Ne pleure pas, petit frère. Ni maintenant ni jamais. Pas devant eux et seulement pour toi, pensa-t-il.
Les agents partirent.
Probablement pour visiter d’autres suspects, d’autres soldats meurtriers qui avaient pourtant sauvé tant des leurs…
La nuit était tombée depuis un moment lorsque la porte de leur foyer se ferma sur Dawn et son compère.. Helen avait remplacé Henry au bras d’Evan. Mina était pâle et leur mère éclata en sanglot.
– J’aimerais que vous ne soyez jamais partis.
Henry aussi.
– J’aimerais que l’on ne soit pas davantage punis, enchaîna simplement son premier fils.
Ils étaient hantés. Mina, Evan, comme lui, comme tous ceux qui avaient fait cette guerre.
– Nous vivons, lui souffla Mina à l’oreille.
Pour elle, c’était le plus important.
Parfois, lui, il se demandait si ce n’était pas pire.
Puis il suffissait de poser le regard sur son frère et sa sœur pour se rappeler que son devoir était de les protéger, et qu’il n’avait jamais failli.
Mina, Evan et lui échangèrent un regard.
Il lut la fierté, la reconnaissance, l’amour, tout ce qu’il cherchait, sauf la liqueur.
Cela le réchauffa quand même.
Il n’avait besoin que de ça et de célébrer leurs vies à eux.
Alors il se reprit, se dirigea vers le bar de leur père, là où il rangeait les meilleurs alcools, et se servit.
Il leva son verre à ceux qui étaient tombés et à ceux qui étaient encore debout.
Il leva son verre à la guerre et à la paix qui fêtait ses un an.
Ce soir-là, ils ne chantèrent pas, ne dansèrent pas. Mais ils s’amusèrent. Ils rirent beaucoup. Légers et soulagés, mais toujours tristes et meurtris. Il faudrait du temps. Ils mangèrent aussi. Se remplissant le ventre de tout ce qu’ils aimaient, savourant chaque plat, léchant leurs lèvres pleines de sucre et de sel. Ils parlèrent. Des mots simples et sincères, des mots d’amour et d’amitié, des mots doux pour eux qui n’avaient vécu que dans la violence et dans son souvenir.
Henry décida que tout serait bon et beau, juste ce soir-là.
Juste assez pour chasser les fantômes le temps de quelques heures et se rappeler que la vie pouvait être belle car elle continuait pour ses proches et lui.