Dorcas se retrouve dans un statut particulier. Loin d'être un agent du Shield, parce qu'elle n'a gagné la confiance de personne, et surtout pas de Fury ni Anderson, elle n'est pas vraiment leur prisonnière non plus. Enfin, peut-être un peu.
Je garde un œil sur vous, Meadowes.
Et Fury a tenu cette promesse avec une application certaine. A commencer par la chambre aux lits superposés qu'ils partagent. Au confort spartiate, très militaire. Mais Dorcas s'y est fait. A avoir ce grand bonhomme têtu et impressionnant juste au-dessus d'elle. Ce grand bonhomme qui la réveille tous les matins. Et quand Dorcas en a eu marre de se cogner sur le montant du lit quand il lui saisit le bras et la secoue, Fury lui a offert un réveil. La jeune femme a résisté très fort à l'idée de le lui lancer au visage, et sa retenue tenait plus à sa politesse qu'à sa maîtrise d'elle-même.
Mais le pire, dans tout ça, c'est que Dorcas a tous les jours l'impression de faillir à sa mission. Parce qu'elle n'apprend pas grand-chose. Pour avoir fait partie de l'Ordre du Phénix et avoir assuré des missions d'infiltration, où chaque groupe de sorciers, voire chaque sorcier, détenait des informations que d'autres n'avaient pas, elle ne fait que constater que le niveau de secret au Shield est bien plus important.
Un niveau qu'elle n'est pas certaine de pouvoir atteindre un jour.
Tous les lundis, pour démarrer la semaine, l'équipe de Nick Fury se réunit afin de s'entraîner. Si cela rappelle à Dorcas les sessions avec Alastor et les combattants les plus chevronnés de l'Ordre du Phénix, c'est beaucoup plus physique au Shield. Course d'endurance et sprint, boxe, arts martiaux d'Extrême-Orient dont elle n'a pas retenu le nom. Et c'est sans compter cette curieuse gymnastique à laquelle s'adonnent les membres du Shield, qui enchaînent abdominaux, pompes, squats et un tas d'autres exercices qui relèvent plus de la torture que du sport. Et quand elle surprend le regard moqueur de Fury, Dorcas puise dans ses ressources pour faire encore mieux parce qu'il est hors de question qu'elle faillisse.
Dorcas regrette ses entraînements de Quidditch, et ceux d'Alastor. Depuis qu'elle a été blessée lors de la bataille dans le ciel, elle se rend compte qu'elle a beaucoup perdu. En vitesse, en réflexes, en musculature. Et si parfois, elle peine, et se tient le flanc en grimaçant de douleur, tout en reprenant son souffle, elle ne peut que s'enorgueillir du regard empreint de respect de Fury. Alors, elle se redresse, et fait la fière. Elle fait semblant de ne pas avoir les muscles sollicités trop tôt, qui tirent, parce que la cicatrisation n'est pas tout à fait terminée. Elle fait semblant de ne pas avoir l'impression d'avoir un corps affaibli, qui la trahit alors qu'elle a besoin de lui. Elle fait semblant de rivaliser avec eux au point de se rendre indispensable, alors que tout ce qu'elle sent, c'est qu'elle est inutile. Pour le Macusa, et donc pour son statut de réfugiée politique. Pour le Shield qui continue de la surveiller comme l'intruse qu'elle est. Pour l'Ordre du Phénix qui continue de se battre en la croyant morte. Elle a l'impression de trahir tout le monde, elle comprise.
Dorcas se redresse, éponge la sueur de son visage et de son cou avec une serviette que lui a lancé Fury d'un geste nonchalant et goguenard, alors qu'il est frais comme un gardon, comme s'il ne venait pas de courir dix kilomètres sur un tapis de course. Merlin qu'elle le déteste et voudrait lui faire ravaler son air satisfait avec un sort bien senti ! Mais elle ne peut pas se dévoiler plus qu'elle ne l'a déjà fait.
Parce que Dorcas a découvert, en côtoyant French, trop heureux de trouver une oreille attentive à ses explication scientifiques, à ses démonstrations de machines d'Howard Stark lui-même, ce qu'étaient les enregistrements vidéo. Et les Oubliators ont du lancer de solides sortilèges de confusion aux membres de l'équipe du Shield qui étaient devant le Macusa à les regarder, alors qu'ils n'auraient pas du les voir, parce que personne n'a parlé de ce qu'ils ont découvert il y a maintenant trois semaines.
French reste toujours en arrière, ce n'est pas un homme de terrain, comme Fury. Dorcas a remarqué qu'au début, Fury ne voulait pas la laisser derrière, sans la quitter des yeux, mais, et cela Dorcas ne l'a jamais su, Fury a reçu l'ordre d'Anderson lui-même de confier la jeune femme au scientifique.
- Ah, Dorcas, venez, venez, installez-vous !
French pousse vers la jeune femme une de ces chaises réglages en hauteur et l'invite à s'y asseoir. Elle promène un regard curieux vers tous les instruments, toutes les machines qui sont devant le scientifique. Evidemment, elle ne connaît pas le nom et encore moins l'utilisation de la plupart. Stratégiquement, elle laisse toujours French parler de ce qu'il fait, ce qu'il adore, et cela se voit, et comme Dorcas est douée pour écouter, et enregistrer des tas d'informations, elle fait passer son ignorance pour de la curiosité et s'abreuve de tout ce qu'il lui raconte.
Le scientifique a devant lui ce qui ressemble à des multiplettes, mais Dorcas fait la moue, déçue.
- Vous regardez quoi ?
French lui adresse un sourire chaleureux, sincère, bien loin de ceux, lointains et pleins de morgue, de Fury. C'est comme celui d'un enfant ravi de partager ses trouvailles avec une personne attentive.
- Nous travaillons sur un nouveau type de poudre, pour les balles d'armes de poing. Une poudre qui va neutraliser la cible, traverser le kevlar, mais sans la tuer, pour que la personne soit capable d'être interrogée, ensuite, par les agents.
French lui fait signe de s'approcher de la multiplette fixe. Dorcas prend sa place, se penche au niveau des oculaires, y place ses yeux, cligne un instant des paupières avant de les plisser et d'expirer un oh de surprise.
- Oui, vous voyez ? Ce n'est pas que de la poudre, elle est enfermée dans ces billes d'un matériau qui rappelle le caoutchouc, mais je vous passe son nom, ce qui fera des balles non des projectiles perforants, mais leur donnera l'effet d'un solide crochet du droit.
Les mains de Dorcas se ferment autour des oculaires et elle se recule, clignant des yeux sur l'image floue. Elle se tourne vers French, comme prise en faute.
- Heu... Je... L'image a bougé !
Les mains de French rapprochent les multiplettes de lui et il tourne les mollettes des oculaires que Dorcas a déréglé sans le savoir.
- C'est rien, c'est comme neuf !
La jeune femme pense aux autres multiplettes, que les agents du Shield avaient utilisé il y a quelques jours devant le Macusa, lorsqu'ils avaient vu le bâtiment, pourtant protégé par une batterie de sortilèges. Elle fronce les sourcils, joue le rôle de la ravissante idiote, choisissant avec soin ses mots.
- Et celles pour voir de loin ? Vous ne voudriez pas m'en montrer ?
- Les jumelles ?
French, perché sur sa chaise de laboratoire roulante, se laisse glisser sur le sol jusqu'au mur où il pianote sur un clavier, ouvre deux portes coulissantes et dévoile une douzaine de paires de multiplettes. Le regard de Dorcas se pose immédiatement sur celles qui sont kaki, et son coeur bat la mesure de son espoir. Elle apaise immédiatement sa respiration qui s'est accélérée, prend quelques secondes pour se reprendre, mais déjà French, qui n'a rien remarqué de son émoi, sort une paire de jumelles de l'armoire.
- Celles-ci sont à vision nocturne, et quand vous poussez ce bouton, cela déclenche la caméra thermique qui va repérer en tâches rouges, oranges, tout ce qui est vivant aux alentours. Regardez...
French éteint les lumières et se tient avec un grand sourire, les bras écartés, face à Dorcas qui le voit en blanc sur noir puis, quand elle appuie sur le bouton, en tâches de chaleur sur un fond sombre. Elle retient son souffle, éloigne les jumelles de ses yeux et laisse son regard dériver vers l'armoire restée ouverte.
- Et les jumelles kaki, elles ont une autre fonction ?
- Oui, s'exclame le scientifique qui jure après s'être cogné le genou, puis allume la lumière.
Ils clignent un instant des yeux, éblouis par la vive lueur des néons, avant que French n'éclate de rire devant l'air de Dorcas qui esquisse un sourire en lui tendant les jumelles noires qu'il s'empresse d'échanger contre une des autres paires.
- Celles-ci permettent de voir au travers des bâtiments et sont à détecteur de mouvements.
Dorcas acquiesce, enregistrant l'information. Encore une chose qu'elle devra transmettre au Macusa ce soir à 20h. Jusqu'à présent, jamais elle n'a failli à ce rendez-vous, et elle n'a encore jamais vu le bout d'une oreille d'elfe de maison. Mais elle a l'impression de ne leur donner que des informations sur les technologies moldues, qu'elle est bien en peine de comprendre, d'ailleurs. Le Secret Magique les a si bien protégés des Moldus que les sorciers qui ne vivent pas auprès d'eux, sont complètement perdus. Encore que, de ce qu'elle a vu des agents du Macusa, ils semblent plus se mêler aux Moldus, voire les épouser, depuis l'abolition de la loi Rappaport presque vingt ans plus tôt.
French lui tend la paire de jumelles kaki, et Dorcas les lui prend, maintenant qu'elle n'est plus perdue dans ses pensées. Il lui en explique le fonctionnement, la laisse manipuler les boutons, et la jeune sorcière se fige quand devant ses yeux défilent la partie sorcière du Woolworth Building. Elle lève ses yeux vers le scientifique qui la regarde de l'air ravi d'un gamin qui a trouvé un ami à qui prêter ses jouets, et elle se met à tourner la tête autour d'elle, fixant les coins du plafond.
- Vous avez entendu, French ?
Le scientifique l'imite, tend l'oreille, regarde le plafond. Il ne remarque pas Dorcas tourner le dos à une des caméras, et ne l'entend pas murmurer cutis liberet*. French secoue la tête, essayant de chasser le vertige qui le saisit, avant de basculer en avant et d'être attrapé par Dorcas qui accompagne sa chute et l'allonge au sol.
- Oh merde !
Dorcas fait semblant de se soucier de la santé de French, touché par un sortilège de confusion un peu trop fort, duplique les multiplettes qu'elle a dans la main, réduit l'originale qu'elle met dans sa poche, et pose l'autre au sol, avant de rengainer sa baguette dans son holster, murmurer cutis claudat *et grimacer en sentant sa peau absorber holster et baguette, ce qui ressemblerait à un simple tatouage à quiconque la verrait en culotte.
Dorcas se penche de nouveau sur French et l'allonge sur le côté quand il est pris de hauts le coeur, puis sort du labo précipitamment avant d'appeler au secours dans les couloirs. Rapidement, deux agents et Fury la rejoignent et s'occupent du scientifique.
Sous le regard d'aigle de Fury, Dorcas essaie de faire passer sa culpabilité pour de l'inquiétude, soulagée de sentir la paire de multiplettes dans le fond de sa poche.
Après le malaise du scientifique qui s'est vite remis du sort de confusion, Dorcas est sûre que les agents du Shield n'ont absolument aucune idée de ce qu'il s'est passé. Assise seule à une table de la cafétéria, la jeune femme commence à manger mais s'arrête de mâchonner quand Fury pose avec peu de discrétion son plateau face au sien, et s'assied en face d'elle.
- French va bien, l'informe-t-il d'une voix bourrue.
Dorcas acquiesce et continue à manger, attendant la suite, parce que Fury a une idée derrière la tête, elle en parierait sa baguette.
- C'est quoi le bruit que vous avez entendu ?
La jeune sorcière fronce les sourcils.
- Quelque chose comme une chute, je crois. Mais je n'ai pas su d'où ça venait, le laboratoire est grand, ça résonne.
Fury hoche de la tête et rompt son pain dont il dévore une moitié.
- Quand on a isolé ce que vous avez dit quand French est tombé, cela sonnait latin, encore...
La mine de Dorcas s'assombrit et elle ne répond rien. Elle entreprend de couper son bout de viande qui est énorme - les Américains et la bidoche ! Quand le crayon que lui a donné Cromwell et avec lequel elle leur transmet tous ses rapports se met à chauffer dans la poche de sa veste, contre ses côtes. Dorcas blêmit, repousse son assiette.
- C'est peut-être un truc qu'il a mangé, French... Je me sens pas bien, je reviens...
Fury la regarde quitter la table puis la salle avec précipitation, et repose sa fourchette dans son plateau, méfiant. Il se penche vers la nourriture et se met à la renifler, puis hausse les épaules et recommence à manger.
Arrivée dans leur chambre, Dorcas verrouille la porte derrière elle puis sort le crayon de sa poche et le laisse courir sur son bras. Quand les lettres se forment, elle prend connaissance du message, et le relit avec attention avant de se laisser tomber au sol, le crayon dans la main, et de regarder les mots s'effacer.
La guerre est finie. Voldemort a été vaincu.
Dorcas fond en larmes, un véritable torrent d'émotions la laissant lessivée. Elle ne sait combien de temps elle reste ainsi prostrée au sol, épuisée, vide. Mais quand la poignée de la porte joue et que Fury râle parce qu'elle est verrouillée, Dorcas se lève d'un bond et part s'enfermer dans la salle de bain où elle fait couler l'eau de la douche.
- Meadowes ? Vous allez bien ?
- Non, je suis malade, répond-elle d'une voix éraillée, avant de lancer un assurdiato sur la porte et de se remettre à pleurer.
Au bout de quelques minutes, elle reprend conscience du crayon dans sa main, et écrit sur son bras.
Multiplettes récupérées. Besoin urgent de l'elfe de maison.
Les lettres s'effacent à peine que dans un grand crac un petit elfe vêtu de vêtements à sa taille apparaît et s'incline devant elle, son long nez touchant le bout de ses orteils.
- Je m'appelle Buddy, mademoiselle Lea. Vous m'avez demandé ?
Dorcas acquiesce, essaie de se sortir de ses pensées tournant autour de ce message sur la fin de la guerre et cette victoire tant espérée qui est maintenant là. Elle fouille sa poche, récupère les multiplettes qu'elle tend à Buddy, et lui attrape la main avec le geste désespéré de quelqu'un qui se noie. Dorcas ne reconnaît pas sa voix quand elle se met à le supplier.
- Je sais pour la fin de la guerre, chez moi, en Angleterre. Ramène-moi un journal, je t'en prie, Buddy.
Les mains osseuses aux articulations noueuses de l'elfe de maison pressent celles de Dorcas en un geste de soutien, et il acquiesce, avant de fermer ses doigts autour des multiplettes, et de promettre qu'il va revenir.
Deux cracs plus tard, et il est là, avec la Gazette du Sorcier datant du 1er novembre 1981. Dorcas le lui arrache des mains et lit les gros titres, puis, frénétiquement, elle tourne les pages, parcourt les articles, apprend la mort des Potter et ce qu'il est advenu de leur fils Harry, cherche les nécrologies de ce qui ont été tués ou ont disparu ces derniers jours. Dorcas pleure tellement qu'elle a du mal à lire, à comprendre ces mots qui s'alignent.
- Vous voulez de l'aide, mademoiselle Lea ?
Dorcas secoue la tête, plie le journal qu'elle pose sur le lavabo, et murmure.
- Non, rentre. Merci. Ça va aller, je crois. Oui, ça va aller.
Buddy ne semble pas la croire, mais Dorcas lui ordonne de partir, et il disparaît en un claquement de doigts.
La petite salle de bain est envahie de buée et Dorcas se lève, se déshabille comme une automate, avant de se glisser sous le jet brûlant et de se mettre à se laver. Quand elle sort de la douche, elle a déjà les idées plus claires, met ses vêtements sales dans le panier à linge, enfile une culotte et un tee-shirt avant de sortir de la salle de bain, d'ignorer le regard inquisiteur de Fury sur son visage, son corps, sa cuisse droite.
Jamais Meadowes ne s'était montrée en sous-vêtements devant lui, depuis ces quelques semaines de cohabitation. Mais ce tatouage sur sa cuisse lui rappelle un holster et cette fameuse baguette, ce talent dont elle ne peut pas parler.
Meadowes ne répond rien quand il lui demande si elle va bien, et se glisse sous les draps, lui tournant le dos. Fury ne trouve que le Times du jour dans la salle de bain et range les serviettes mouillées qu'elle a laissé traîner, ce qui est inhabituel.
Quand plus tard, il se couche et que la chambre devient complètement silencieuse, Fury jurerait l'entendre pleurer. Mais quand il se penche sur le lit du bas, Meadowes est parfaitement immobile, tournée vers le mur, et ne fait pas un bruit.