Enfant, elle avait été heureuse. Elle ne se souvenait pas de moments particulièrement difficiles, de peines ineffaçables ou de traumatismes refoulés. Somme toute, une enfance ordinaire, dans une famille aimante. Même la découverte de la magie enfouie en elle n’avait pu briser cet équilibre.
Sa bonne humeur, son caractère solaire, son empathie faisait qu’elle attirait l’attention et les bonnes ondes. Bien sûr, elle n’était pas toujours exemplaire. Elle pouvait aussi être maladroite ou blesser les autres. Il lui arrivait d’être dissipée en cours et manquer de rigueur et de sérieux dans ses travaux scolaires. Mais rien qui lui vaille plus que des recommandations ou quelques avertissements.
La vie de Lavande Brown aurait pu continuer ainsi. Dans un autre univers, elle n’aurait pas grandi trop vite, n’aurait pas connu les horreurs de la guerre et n’aurait pas vu sa beauté partir en lambeau. Aussi, sans doute, n’aura-t-elle pas sondé toute la mesure de son courage et de la colère enfouie en elle.
« Pauvre type ! Crevard !
-C’est bon, …J’m en fais ! Calme-toi, meuf. »
Indifférente aux regards braqués sur elle, Lavande ne quitte pas des yeux l’inconnu qui l’a lourdement dragué avant de remarquer sa cicatrice sous sa frange de cheveux blonds. A partir de ce moment-là, l’homme en question avait totalement arrêté sa parade nuptiale, une expression de dégout sur le visage. Des trois réactions que Lavande rencontraient le plus quand elle sortait de chez elle, c’était celle qui l’insupportait le plus. Cet homme méritait le flot d’insultes qu’elle lui lançait tel des sortilèges. L’ancienne Gryffondor se sentait même l’âme d’une justicière à rappeler à ce sombre crétin ce qu’était le consentement.
La compassion finissait par l’agacer : bien sûr, les sorciers qui devinaient l’origine de sa cicatrice ou les moldus la pensant victime de violence conjugale, ou d’un accident, pensaient bien faire. Mais Lavande avait trop de colère et d’amertume en elle pour le supportait trop longtemps.
L’effroi l’agaçait. La façon certains se voilaient la face lui donner envie de sortir sans subterfuges pour masquer son visage défiguré. Oui, le monde pouvait être violent, laid et injuste. Et ça pouvait frapper n’importe qui, telle la foudre frappant la Maison-Dieu.
Le dégout la faisait sortir de ses gonds plus que le reste, lui rappelant les mois qui avait suivi la Bataille, son hospitalisation et les semaines à accepter son nouveau visage. Non, cet homme ne la connaissait pas, n’avait pas vécu des mois de terreurs et une guerre pour laquelle personne n’était prêt ! Et il n’avait aucun droit de la juger.
« Je reprendrais un Bloody Mary »
Le barman soupire, prend la monnaie qu’elle lui tend et prépare son verre. Habitué à sa présence, il la traite comme n’importe quelle cliente.
« Tenez Miss, mais vous devriez levez le pied, il est encore tôt. »
Lavande s’abstient de répondre et retourne à sa place. Quelques personnes la regardent encore mais elle les ignore. La majorité des clients ont repris leurs vies et leurs discussions. Sa colère est retombée aussi vite qu’elle est montée. Le problème est que sa fureur n’est jamais loin. A croire que son cœur en regorgeait depuis toujours et que la braise ne s’éteint jamais tout à fait. Surtout les nuits de pleine lune.
Sirotant son verre, Lavande constate qu’il est en retard. Il l’a bien sûr averti de cette possibilité et s’est même proposé à aller la chercher mais elle avait préféré l’attendre à leur lieu de rendez-vous.
« Je t’aurrrais bien offerrrt un verrrre mais tu t’es déjà serrrvie.
-Tu es en retard, Viktor. Mais j’accepte ton verre.
-Tu savais que je ne serrrais pas à l’heure, se contente de rappeler le bulgare. Tu as passé une bonne jourrrnée ?
-Bof, banale. J’ai envoyé sur les roses un pauvre mec. »
Viktor fronce des sourcils. La contrariété ne lui sied pas.
« Je n’aime pas quand tu fais ça. Tu pourrrais te blessser.
-Je sais me défendre.
-Je sais, mais je n’aime pas l’idée que des types comme ça te fasse du mal. Même sans te toucherrr.
-ça va, je te dis. Tu me l’offres, ce verre ?
-J’arrrive, abdique-t-il. »
Sirotant son verre, Lavande regarde la démarche lourde de Viktor. Agile sur un balai, il lui rappelle un albatros au sol, souvenir d’un poème appris enfant et de vacances en bord de mer. Dans ce bar moldu, personne ne les reconnait. Personne ne viendra demander un autographe au poursuiveur Bulgare, personne ne viendra lui serrer la main en reconnaissant l’ancienne combattante de l’Armée de Dumbledore. Pourtant, Viktor lui parait distant ce soir. Un quelque chose que Lavande n’arrive pas à discerner clairement. Elle est sûre que ce n’est pas son altercation : ce n’est pas la première fois que ça arrive, qu’il en est témoin ou qu’elle lui relate une dispute qu’elle provoque parfois délibérément.
L’idée qu’il ait pu rencontrer quelqu’un, une autre femme, lui traverse l’esprit. Ils n’ont jamais mis d’étiquette sur leur relation et ne sont pas vu depuis plusieurs semaines. Victor veut les protéger des paparazzis et Lavande ne souhaite pas s’engager dans une relation posée. Pourtant, le jeune homme est l’une des rares personnes qu’elle ait rencontrés après-guerre et avec qui elle garde contact. Pas de comparaison ou de rappel de l’ancien temps. Le joueur de Quidditch l’a toujours connu avec sa cicatrice et ses humeurs indomptables. Mais depuis leur première rencontre à une cérémonie de commémoration et à des dîners plus privés, il reste une constante sur laquelle elle peut compter. Si Viktor a vraiment rencontré quelqu’un d’autre, il la rayera certainement de sa vie, soucieux de ne pas alimenter la jalousie de sa nouvelle petite amie.
Amer, Lavande repose son verre à demi plein. Un arrière-goût désagréable lui chatouille le palais.
« Le barrrman m’a dit que tu aimais bien ça »
Viktor pose devant elle un cocktail coloré. Il est décoré d’un parapluie rose. Il le retire de son verre et le cale dans sa masse de cheveux.
« Tu es plus jolie comme ça. »
Lavande ne dit rien et se laisse aller à sourire. Elle l’admettrait difficilement, mais Viktor, sa franchise brute et ses attentions, lui ont manqués. Le temps de boire leurs verres, ils échangent sur ce qui s’est passé depuis la dernière fois qu’ils se sont vus. Lavande lui parle de sa dernière visite à Sainte-Mangouste, aussi peu concluante que les autres, des quelques amis qu’elle a vus et de son travail qui l’ennuie. Viktor ne parle pas beaucoup, encore moins qu’à l’ordinaire, décrétant qu’il ne veut pas l’ennuyer avec ses entrainements ou les conflits internes au sein de son club. La capacité de Viktor à écouter, à l’écouter, l’étonne encore. Pourtant, quand il se défait de son silence, il est tout autre. Lavande préfère ce Viktor, un peu le sien, à celui qui est connu pour ses prouesses sportives.
« C’est de la poudre aux yeux, cette boutique de voyance ! Je me suis proposée pour des séances ponctuelles. Je ne demande même pas à être payée plus pour ça. Tu sais ce que je pense des voyants ou speudo-médiums qui soutirent de l’argent aux gens pour connaitre leur avenir. J’ai appris plein de choses avec le professeur Trelawey mais ça reste, comment dire, scolaire. J’aimerais tellement faire plus. Je vois les gens qui viennent nous acheter des tarots, des boules de cristal, des bougies pour favoriser leurs chakras. La plupart ont des incertitudes et ne demandent qu’à n’être rassurés.
-Et toi, tu ne veux pas connaîtrrre ton avenir ?
-Sans façon, mon quotidien me suffit. »
Le sentiment d’être à fleur de peau refait surface : sa colère si facilement inflammable, les inquiétudes qu’elle ne montre pas, la lassitude de son quotidien. De la colère ou de la tristesse, Lavande ne sait pas qui l’emporte.
« Si tu as fini ton verrrre, tu veux fairrre un tourrr avec moi ?
-Tu veux déjà rentrer ?
-Non, juste prrrendrrre l’airrr. Et allerrr mangerrr quelque parrrt si tu as faim.
-ça me va. »
Viktor lui attrape la main alors qu’ils se lèvent de table. Avec une certaine immaturité, Lavande cherche le regard de l’homme avec qui elle s’est disputée plus tôt mais il est accaparé par ses amis. Ils longent les devantures de magasins fermés. L’air de la nuit est presque froid. Ils marchent en silence dans l’avenue bordée de commerce, magasins clos et restaurants bondés. A mesure qu’ils s’en éloignent, la foule diminue et ils se retrouvent enfin dans une rue de maisons pavillonnaires.
« Tu sais que la saison de Quidditch touche à sa fin ?
-Oui, tu me l’as dit tout à l’heure.
-Je vais rrretourrrnerrr en Bulgarrrie quelques semaines. Voirrr ma famille, me rrrepossser.
-C’est normal, tu dois être claquer. On se reverra à reprise, non ?
-Je voulais te fairrre une prrroposition Lavande : veux-tu venirrr avec moi? »
Un peu grisée, Lavande rit. Doucement. La proposition de son amant ne peut être sérieuse.
-Et je ferais quoi en Bulgarie, Viktor ? Je ne suis pas en vacances moi. »
Le bulgare hausse les épaules.
« Ton trrravail te manquerrra t-il ?
-Non, j’imagine que non. Je pourrais même en changer si je voulais. Ou ne plus travailler même. Le temps de trouver quelque chose que j’aime.
-J’ai une maison là-bas. Je ne serrrrais pas toujourrrs là mais c’est un bel endroit. Tu pourrrais t’y prrromener ou même visiter les envirrrons. On se verrrait plus souvent.
-Je suis invivable au quotidien. Imbuvable les nuits comme celles-ci. Tu voudras vite me mettre à la porte. »
Lavande désigne la pleine lune, le reste des étoiles étant noyé par les éclairages publics. Une foule d’excuses lui viennent en tête, mais elles lui paraissent bien fragile face à l’émotion qui lui noue de nouveau la gorge. A choisir, Lavande préfère la colère. Elle l’a fait se sentir vivante et forte. L’offre de Viktor la déstabilise, lui donne l’impression d’être fragile et peut-être heureuse.
« Je ne te trrrouve pas imbuvable. Tu cherrrches ta place, tu fais ton deuil. Mais tu n’es pas caprrricieuse.
-ça fait un moment que ça dure, non ? D’autres ont repris leurs vies en main.
-ça te fait mal ? »
Viktor effleure de ses doigts sa cicatrice. La sensation n’est pas désagréable mais Lavande n’aime pas sentir le froid ou les contours de sa plaie.
« Parfois. On s’y fait.
-Tout le monde n’aurrrait pas ton courrrage, Lavande. Que tu te sentes perrrdue ne veux pas dire que tu es faible. J’ai envie que ma famille voit à quel point tu es forrrte. J’aimerrrais que tu rrrencontrrres mes amis. Tu peux parrrtirrr quand tu veux. Tu peux rrresterrr si ça tu t’y plais. »
Trop plein d’émotion. La lassitude de son quotidien. Son sentiment de faire du sur place. Sa colère à fleur de peau. La tristesse qu’elle combat en préférant la fureur. L’ascenseur émotionnel de cette soirée, où, un peu plus tôt, elle s’imaginait devoir dire adieu à Viktor.
Lavande commence à pleurer, de larmes disgracieuses et libératrices. Elles ne se tarissent pas Viktor la prend dans ses bras.