Dorcas cligne des yeux sur le vide qui est devant elle et qui aurait du contenir au moins un agent du Shield trop curieux et une boîte de conserve en guise de portoloin.
- C’est pas vrai…
La baguette toujours dans sa main, Dorcas vit un de ces moments inconfortables où elle ne sait absolument pas que faire.
- C’est pas vrai, répète-t-elle impuissante.
Elle fixe du regard le crayon à secrets qui gît sur le lavabo, inutile, et le range dans sa poche avant de transplaner dans l’aire qui y est dévolue au Macusa parce que, oui, pour des raisons évidentes de sécurité élémentaire, on ne transplane pas n’importe où.
Pourtant moins familière des locaux du Macusa que de ceux du Shield, Dorcas se repère assez rapidement et fonce vers le couloir menant aux bureaux des Aurors, déterminée à trouver Cromwell pour lui annoncer avec fatalisme qu’il y a eu un tout petit souci dans leur plan. Un souci microscopique.
C’est une catastrophe.
Repérant la silhouette trapue de Cromwell, Dorcas le hèle et le regarde se retourner vers elle avec un soupçon d’incompréhension dans le regard. Elle entreprend alors de lui résumer avec force gestes et roulements d’yeux ce qu’il s’est passé. Elle s’est mise dans une situation absolument ridicule et elle en est la seule responsable.
- Attendez, attendez… Est-ce que Buddy vous a transmis votre mission ?
La jeune femme ouvre de grands yeux, se demandant surtout si l’urgence n’est pas de savoir ce qu’est devenu Fury, là-bas, au lac Guatavita, probablement en train de vomir son dernier repas pour son premier voyage de si longue distance et en si peu de temps. Dorcas secoue l a tête .
- Je lui ai dit de se taire et je l’ai renvoyé, Fury était juste derrière la porte. Tout s’est passé si vite…
Cromwell fait une belle grimace, ferme les yeux, soupire longuement.
- Le portoloin était illégal, c’était une mission d’infiltration où vous deviez vous rendre seule pour observer les lieux, déterminer les dangers, avant de nous rendre compte. C’était une mission strictement confidentielle. Vous, moi, et l’elfe de maison, étions dans le secret. Par Merlin…
- C’est une catastrophe, complète Dorcas.
Nick Fury s’écrase lourdement sur le sol, avec la sensation que ses organes retournent à l’intérieur de son ventre par son nombril. Il serre les dents, retient sa respiration, et quand il inspire, il vomit tout ce qu’il peut. Se rendant compte qu’il tient encore dans sa main la vieille boîte de conserve rouillée, il la repousse loin de lui, craignant qu’elle ne l’emmène ailleurs. Il essuie sa bouche de sa main couverte d’une terre grise, sans se rendre compte qu’il s’en macule le visage, puis il essaie de réunir ses forces, de cesser de trembler, et de se lever pour regarder où il a atterri.
- Oh putain, grogne-t-il en se laissant tomber sur les fesses quand il reconnaît la place de l’observatoire, les quelques voitures abandonnées, et le lac de Guatavita, entouré d’une forêt dense, en contrebas.
Si Nick Fury n’était pas Nick Fury, il penserait qu’il est en train d’halluciner.
Mais comment a-t-il débarqué ici en si peu de temps ? Fury se renfrogne. Meadowes et un de ses talents particuliers et secrets, sans doute. Quand il la reverra, ils auront une petite conversation tous les deux, et ça, c’est une promesse.
L’agent du Shield tâte ses poches et se morigène de ne pas avoir emmené un téléphone portatif. Mais en même temps, pourquoi aurait-il du y penser ?
Puis il regarde sa montre, se souvient que French y a apporté une amélioration, tire sur un des boutons de réglage, parce que oui, le scientifique lui en a rajouté quelques uns, et s’il a bien compris, un de ceux qui ne sert pas à régler l’heure, devrait permettre à Fury de dévoiler sa position. Puis, satisfait de sa petite manipulation, il se dirige vers les véhicules abandonnés couverts d’un ruban de balisage. Son regard se dirige en contrebas, vers le chemin menant au lac qui est coupé par une barrière sur laquelle une pancarte indique « Peligroso. Prohibido pasar. »*
Bien, d’abord inspecter les voitures. Ensuite, le chemin.
D’une main négligente, Fury tâte ses armes bien rangées dans ses holsters. Il a aussi ses deux lames accrochées à ses chevilles. Rien ne peut lui arriver.
Dans la salle de réunion du Shield, les agents se sont remis à travailler, suite au départ précipité de Meadowes, suivie par Fury. Ils n’avancent pas du tout dans leur enquête, ne comprenant pas ce qu’ils ont sous leurs yeux. Bishop toussote poliment. Bien qu’il n e soit jamais monté en grade, parce qu’il ne l’a jamais voulu, dans le fond, il a une place de vieux sage dans son équipe, et ses collègues ont une tendance à accorder plus de poids à son expérience, même Anderson et cet ambitieux de Fury. Non, à la réflexion, Fury, c’est pas un ambitieux. C’est un talentueux. Bishop toussote de nouveau et Anderson s’interrompt en le regardant.
- Oui ?
- Ils sont partis depuis un moment, là…
And erson plisse les yeux, cherchant à comprendre autre chose dans ce que vient de lui dire le vieux briscard.
- Vous p ensez pas…
- Fury n’a pas besoin de baby-sit…
Un fracas l’interrompt, et ils s’entreregardent tous avant de se lever. Des éclats de voix se font entendre. Anderson et l’équipe du Shield, French inclus, sortent précipitamment de la salle de réunion. D’autres fracas et d’autres éclats de voix, et tous, ils accélèrent le pas. Ils entendent des cracs retentissants, rapprochés, puis Meadowes qui crie « non ! », suivi d’un craquement sourd, comme un volet battu par le vent . Quand ils arrivent dans la chambre que partagent les deux agents, il n’y a plus personne, et la porte de la salle de bain est défoncée, des esquilles de bois parsemant le sol.
- Mais qu’est-ce que…
Les hommes se regardent sans comprendre, et seul French effleure du bout des doigts la poignée de la porte, immense, disproportionnée.
- Anderson… murmure French timidement.
Les regards se tournent vers lui, puis la poignée grossièrement énorme, témoignant l’incompréhension la plus totale.
- Dans la salle de conférence, tout de suite, ordonne le directeur du Shield.
Et tous ils se suivent, perdus dans leurs pensées. Sur un signe d’Anderson, French lance la vidéo de la caméra de la chambre qui, pour préserver l’intimité des agents, est orientée vers le bureau et non vers les lits superposés ou la porte de la salle de bain. Ils voient Fury et Meadowes se disputer, puis la jeune femme s’enfermer dans la salle de bain, et Fury s’impatienter. Tout se passe ensuite hors-champ, mais les dernières images montrent l’homme prendre plusieurs fois de l’élan pour enfoncer la porte, ce qu’ils ont constaté. Puis, il rentre dans la salle de bain, et personne n’en sort, avant l’arrivée de l’équipe au complet.
La salle de bain n’a comme ouverture que cette porte. La fenêtre est bien trop petite pour que quelqu’un puisse s’y glisser, même une personne de la finesse de Dorcas Meadowes.
Un silence stupéfait s’abat sur la salle, troublé par French qui, remarquant sur un des ordinateurs une alarme visuelle, se dirige vers la machine et d’une voix blanche annonce que selon la montre de Fury, il se trouve au lac de Guatavita en Colombie.
Cromwell pose sa main sur le bras de Dorcas peut-être un peu trop vivement, parce qu’elle sursaute, sortant de son état de stupeur.
- Dans mon bureau, marmonne le chef des Aurors.
La jeune femme s’attend à voir révoqué e sa demande d’asile, et ê tre renvoyée en Angleterre. Elle parvient à maîtriser son affolement alors que Cromwell l’entraîne dans le couloir et s’engouffre dans son grand bureau qui est au bout. A peine la porte refermée, la jeune sorcière se fige en remarquant l’air revêche de l’Auror. Il pointe un index vers elle, cherchant ses mots, l’interrompant quand elle se lance dans des excuses sans fin.
- Ce n’est pas de votre faute. Nous sommes bien trop procéduriers. Je vais vous faire un second portoloin, vous partirez d’ici. Mais avant cela, avez-vous une idée de ce qui se trouve là-bas et provoque les disparitions ?
Dorcas fait la moue, peu sûre d’elle.
- Dites-moi tout. Même ce qui ne sont que des suppositions.
Dorcas déglutit, inspire, expire, essayant d’apaiser son coeur qui bat à toute vitesse. Elle se laisse tomber dans le confortable fauteuil club que Cromwell fait apparaître et dans lequel il l’a invitée à s’asseoir d’un mouvement de la main.
- Je sais que ce qu’il vient de se passer en Angleterre vous bouleverse, Dorcas, mais j’ai besoin que vous soyez concentrée. Il en va du Secret Magique et de la sécurité d’un Non-Maj. Nous n’avons pas le temps d’entrer en contact avec le Grand Cacique, ni le Président du Macusa, qui, de toute manière, préfèrera ne rien faire pour ne pas faire de vagues, et que sa popularité ne soit pas atteinte.
La jeune femme ouvre de grands yeux horrifiés, assimilant les informations que vient de lui donner Cromwell. Puis elle toussote, triture un instant ses doigts avant de les étendre et de les poser, légèrement tremblants, sur les accoudoirs, donnant l’illusion qu’elle a retrouvé la maîtrise d’elle-même. Même si elle lit bien dans le regard du chef des Aurors qu’il n’est pas dupe.
- Je pense qu’il s’agit d’un groupe d’Etres de l’Eau lié au mythe de l’Eldorado. Les chibchas avaient un rituel. Quand un nouveau cacique allait être intronisé, il se rendait, couvert de poudre d’or, sur un radeau d’or, aussi, jusqu’au milieu du lac où il s’immergeait. Ils ont introduits les Etres de l’Eau dans leur système de croyance s . Les légendes locales disent que l’eau du lac Guatavita rend fou, mais aussi qu’elle peut soigner. Guérir, même.
Dorcas s’interrompt et soutient le regard perplexe de Cromwell qui finit par acquiescer.
- Je vais vous faire un portoloin. Vous avez besoin de quoi ? Branchiflore ? Je vais monter une équipe…
- De femmes. Il n’est fait mention que d’hommes dans les légendes. Je crois... Je suis sûre que les femmes ne sont pas en danger , le coupe Dorcas.
- Je vais monter une équipe de femmes qui vous rejoindra le plus rapidement possible. Essayez de garder la situation sous contrôle, c’est-à-dire aucun mort, Non-Maj, Etres de l’Eau, ni même vous, Meadowes. Suivez-moi.
La jeune sorcière a l’impression de passer la demi-heure suivante à courir après Cromwell qui avance d’un bon pas, de bureau en bureau, pour lui donner de quoi survivre à cette mission. Et plus le temps passe, plus Dorcas craint pour la vie de Fury. Il est hors de question qu’il meure alors qu’ il a sauvé la sienne.
Dans une sorte de brouillard mental causé par son stress intense, Dorcas parvient quand même à demander à Cromwell une bourse contenant de l’or, le plus qu’il puisse en trouver, voire des pierres précieuses aussi, quelques potions de soin, la branchiflore. Cromwell y fourre d’autres choses sans que la jeune femme ne parvienne à se concentrer suffisamment pour enregistrer ce que c’est .
- Je ne sais pas ce qu’ont obtenu les chibchas de leur échange de richesse s avec les Etres de l’Eau, mais il y avait bien un échange. Je ne suis pas assez calée. Pour tout vous avouer, je n’ai aucune idée de ce que je vais affronter, à part un agent du Shield furieux.
- Vous vous en sortirez très bien… Et l’équipe vous rejoindra rapidement. Mais souvenez-vous, cette mission doit rester strictement confidentielle. Et oubliettez le Non-Maj.
S’il survit, pense Dorcas en frissonnant d’appréhension.
Cromwell la raccompagne jusqu’à son bureau où il lui confie une pampille dorée de son lustre. Elle fronce des yeux, observant le cristal renvoyer la lumière des bougies en un arc-en-ciel sur le mur à côté d’elle, quand l’Auror dessine un motif compliqué dans l’air en marmonnant Portus , suivi d’autres signes gracieux et d’autres chuchotements. La jeune femme le regarde faire, fascinée. C’est un sortilège qu’elle n’a jamais appris à maîtriser, n’en ayant jamais eu le besoin.
- Il ne va pas tarder à partir. J’ai une confiance absolue en vos compétences. Bonne chance, Meadowes.
La jeune femme lance un dernier regard à Cromwell qui la rassure d’un signe de la tête.
Après avoir forcé les véhicules abandonnés avec son couteau le plus long, Nick Fury rassemble sur le capot d’une des voitures le fruit de ses recherches, clairement sceptique. C’est une enquête qui tourne en rond, et de connaître les identités des personnes disparues, touristes comme locaux, ne sert à rien. Il soupire, s’appuie sur une des portières, encore nauséeux, et le silence des lieux autour de lui, seulement troublé par les pépiements des oiseaux, a quelque chose d’oppressant.
Le regard de Fury balaie la placette de l’observatoire, la terre boueuse qui recouvre le dessin d’une roue de charrette sur les pavés antédiluviens, puis, plus haut, le bureau de l’office du tourisme local. Il fronce des sourcils quand il aperçoit le même ruban de balisage empêcher d’entrer dans le petit bâtiment. Le rapport des autorités locales ne mentionnait absolument rien sur cela.
Tâtant ses armes dans ses holsters, Nick Fury s’y dirige d’un pas résolu, mais après avoir là encore forcé la serrure, fouillé le bureau microscopique, et s’être rafraîchi aux toilettes, il est de nouveau bredouille. L’agent du Shield soupire en se rendant compte qu’il n’y a même pas de téléphone dans cette cabane. Il n’a aucun moyen de prévenir son équipe, il y a intérêt que le joujou de French ne lui fasse pas défaut.
Fury sort du bureau, non sans avoir piqué quelques paquets de bonbons sur le présentoir, il n’y a rien d’autre à manger, de toute façon. Ne prenant pas la peine de refermer la porte derrière lui, il traverse d’un bon pas la petite place de l’observatoire, se dirige vers le chemin qui descend vers le lac, glisse sur une des marches de bois, se rattrape, jure en se tenant les côtes et se fige quand il entend le bruit caractéristique d’un Quadjet. Grimaçant un sourire, Fury suit des yeux l’engin volant qui cherche un endroit où se poser.
L’enquête va enfin pouvoir reprendre. Et ça tombe bien que son équipe arrive, il a des questions à poser à Meadowes. Notamment sur la technologie qui lui a permis de faire un voyage de plus de quatre mille kilomètres le temps de battre les cils.
Là encore, tout se passe très vite. Bien trop vite pour que Dorcas prenne bien la mesure des événements .
A peine arrivée près des voitures, elle ne trouve nulle trace de Fury et jure en tapant du pied comme une enfant capricieuse. Elle balaie des yeux l’espace autour d’elle, son regard prenant note de la cabane, des arbres autour d’elle, du lac en contrebas, et là-haut, ce qui ressemble à un gros avion noir. Ou peut-être un autre de ces engins volants moldus. Elle croit en avoir vu au Shield, et son coeur manque un battement quand elle se met à courir vers lui, en appel ant Fury. Quand elle arrive près de l’engin, la trappe est fermée et il n’y a l’air d’y avoir personne. Elle récupère sa baguette dans son holster et lance un sortilège de révélation de présence humaine, mais qui ne donne rien.
- Bouse de troll !!!
Dorcas tourne la tête autour d’elle, appelant encore Fury. C’est alors qu’elle entend un cri qui glace le sang. Comme un cri de femme, mais vaguement bestial. Une souffrance incommensurable s’y exprime et Dorcas est secouée d’un frisson qui saisit tout son corps. La jeune femme se met à courir vers le lac, sur le chemin glissant de boue, en appelant Fury avec des accents hystériques dans sa voix. Elle espère fort que l’équipe de femmes constituée par Cromwell viendra au plus vite.
Dorcas dévale les marches de bois, ses pieds volant presque au-dessus d’elles, les poumons déjà en feu et la cicatrice à son flan tirant douloureusement. La baguette en main, elle lance des hominium revelio à tout va et se fige quand elle remarque la silhouette de Bishop à dix mètres esquisser une danse qui est entre la grâce absolue et le grotesque le plus outrancier. La cheville de l’agent du Shield est à un angle bizarre, et Dorcas frissonne d’horreur quand il prend appui sur sa jambe brisée, et croise son regard de ses yeux fous, sans montrer le moindre signe de douleur. La jeune sorcière lui lance un Petrificus Totalus, et, pour être sûre qu’il ne bougera plus et qu’il ne soit plus soumis aux cris de l’Etre de l’Eau, l’assomme d’un sort bien senti, et le saucissonne contre un arbre avec des lianes qui sortent de terre et le maintiennent fort.
- Fury !!! FURY !!!
Un peu plus loin, c’est French qu’elle trouve, lui aussi sous l’influence de l’Etre de l’Eau, à la traîne parce que le scientifique, c’est loin d’être un sportif. E lle fait subir le même sort qu’à Bishop . Puis Anderson, puis un agent d’une autre équipe dont elle n’a pas retenu le nom. C’est alors qu’elle est le plus proche du lac qu’elle remarque enfin, dans un soulagement mêlé d’une angoisse absolue, la haute silhouette de Nick Fury virevoltant, son corps dansant de lui-même comme dans un ballet fou. Dorcas le saucissonne à un arbre sans l’assommer, suivant son regard posé sur la sirène , assise sur l’eau en plein milieu du lac, qui hurle à s’en faire péter les cordes vocales, puis se tait, touche sa gorge, se demandant pourquoi les hommes qu’elle a ainsi charmé ne viennent pas la rejoindre. Fury grogne puis se met à crier, luttant contre ses liens, le regard rivé sur l’apparition. Dorcas frissonne. Les Etres de l’Eau sud-américains sont supposés être magnifiques, un peu à l’image des sirènes chez elle. Et elle est sûre qu’elle aurait du être parée de joyaux, brillante, envoûtante, mais la créature qu’elle a sous les yeux a l’air blessée, comme si on lui avait arraché ses écailles d’or, dépouillée des dons du cacique.
Dorcas pose sa main sur la joue de Fury, cherchant son regard, mais ne pouvant le trouver. Elle fouille alors dans sa bourse, profitant de l’accalmie avant que les cris ne reprennent. Elle en sort un casque, utilisé par les botanistes pour rem poter les racines de mandragore quand elles commencent à être dangereuses. Dorcas garde ses yeux sur Fury qui s’apaise, cesse un temps de lutter contre les lianes qui le maintiennent attaché au tronc.
- Je dois aller voir les autres s’ils vont bien, Fury.
Elle pose de nouveau ses deux mains sur ses joues, cherchant son regard, lui souriant quand elle le trouve.
- Je dois aller voir les autres, je reviens vite. Vous êtes en sécurité.
Dorcas s’éloigne de quelques pas, et se demande si elle doit envoyer un patronus à Cromwell pour qu’il se hâte. Mais elle n’est pas sûre que ce sortilège soit efficace sur une telle distance. Elle se hâte dans les sous-bois, reprenant à rebours le chemin qu’elle a pris en courant, jetant constamment un regard derrière elle, en direction de l’Etre de l’Eau qui a l’apparence morne d’un poisson échoué, assise sur l’eau, immobile, et sur Fury qui a la tête baissée, comme abattu.
Après s’être assurée que les quatre agents du Shield étaient correctement saucissonnés à leurs arbres respectifs, et surtout désarmés, Dorcas les oubliette un à un. Leurs visages crispés dans une grimace de souffrance, la jeune femme essaie de les apaiser en leur mettant les cache-oreilles pour les protéger des cris de la sirène, si jamais ils reprenaient. D’un coup de baguette, elle lance quelques sorts de soin au vieux Bishop qui a la cheville brisée. Puis elle se fige en entendant des cris, mais qui ne viennent pas de la sirène, mais de Fury.
Dorcas se dirige vers Nick Fury qui rue tout ce qu’il peut, essayant de se libérer de ses liens qui se resserrent autour de ses membres. La sirène a repris ses cris, ses lamentations dignes d’une banshee, et le casque de Fury gît, aux pieds de l’agent. Dorcas ne veut pas attaquer l’Etre de l’Eau , pas lui faire plus de mal qu’on lui a déjà fait. Les yeux de Fury roulent dans leurs orbites, ne pouvant lutter contre les pleurs de la sirène qui lui intiment l’ordre de la rejoindre. Dorcas saisit le visage de Fury entre ses mains, et elle voit qu’il lutte, comme il a toujours lutté et luttera toujours. Il lutte contre l’influence de la sirène, contre les liens qui l’empêchent de la rejoindre, contre son esprit qui se dissocie, son corps qui ne lui répond pas.
- Fury, regardez-moi.
Son visage ballotte, alors qu’il essaie d’échapper aux mains de Dorcas. Elle lui assène une bonne gifle.
- Fury ! Regardez-moi, je vous en supplie. Je sais que c’est dur, mais vous êtes plus fort qu’elle.
Les yeux de Fury roulent de nouveau dans leurs orbites, tandis que son corps, tendu à l’extrême, se décontracte un peu . Il ferme ses paupières un instant, respire profondément, essayant d’ignorer les pleurs de la sirène qui sont si puissants qu’ils doivent l’entendre jusqu’aux sommets de la cuvette qui accueille le lac de Guatavita.
- Fury, répète Dorcas la voix forte mais tremblante d’émotion . Je vous ai montré ce dont j’étais capable. Mon talent, comme je l’ai dit. C’est ce talent qui vous a jeté contre le mur, et vous a empêché d’être blessé. Et c’est ce talent qui vous maintient en vie maintenant. Alors, je vous en supplie, et je sais à quel point c’est dur pour vous maintenant, mais j’ai besoin que vous me fassiez confiance. J’ai besoin que vous voy i ez ce que je suis, comme ça, j’arrête de vous mentir, et si vous voulez, je vous dirai tout. Tout ce que je suis, tout ce que ma société secrète est. Mais vous devez me promettre de ne pas en parler à qui que ce soit. Il en va de nos vies.
Fury est encore secoué de tremblements qui ressemblent presque à des convulsions. Dorcas lui adresse un sourire désolé.
- Vous voulez savoir ou je vous délivre de cette souffrance, comme les autres, qui ont tout oublié ?
La bouche en sang de s’être mordu les lèvres, Fury murmure.
- Savoir…
Les mains de Dorcas se posent sur le visage de Fury pour embrasser ses joues, et glissent le long de son torse .
- Je peux vous rendre sourd le temps que je m’occupe de la sirène, ou vous voulez voir et entendre ?
- Je… Je veux tout voir et tout entendre.
Une larme unique coule le long de la joue de Fury, que Dorcas effleure du pouce.
- J’ai connu un homme aussi courageux que vous, Fury . Vous vous entendriez bien.
Dorcas lui remet son casque, et presse ses deux mains sur ses oreilles, ignorant les lamentations de la sirène qui résonnent comme autant d’appels à l’aide. Ses mains quittent le torse de Fury, comme à regret, et pour avoir partagé sa chambre, elle sait qu’il est armé jusqu’aux dents, et saisit maladroitement les deux armes à feu dans leurs holsters, qu’elle jette dans les fourrés, puis les deux lames fixées à ses chevilles qu’elle lance aussi.
- Elle ne vous fera plus de mal, et personne ne lui fera de mal non plus, Fury, précise Dorcas, d’un air féroce.
La jeune sorcière se débarrasse de sa veste, noue autour de son poignet la bourse contenant l’or et les pierres précieuses, la branchiflore et d’autres objets qu’elle découvre en fronçant les sourcils. Elle n’a aucune idée de leur utilité. Elle enlève ensuite ses bottes qu’elle laisse au bord de l’eau et, la baguette en main, se lance un sortilège de lévitation, entendant derrière elle l’exclamation de surprise de Fury, mais n’en faisant aucun cas.
Dorcas ne sait pas trop ce qu’elle doit faire avec la sirène qui, gracieusement, se lève et se met à danser sur l’eau comme si elle était une patineuse, ou un petit rat de l’opéra, rapide, envoûtante, poussant des cris longs et plaintifs . La jeune sorcière ne peut détacher ses yeux d’elle, alors qu’elle flotte au-dessus du lac pour la rejoindre. Elle espère qu’elle ne sera pas hostile, sinon elle transplane et récupère Fury qui est le plus proche du lac, puis les autres, un par un, jusqu’à les mettre en sécurité.
La jeune sorcière, lévite jusqu’à la sirène, assez proche pour la toucher. Elle lève ses mains pour montrer qu’elle ne lui veut pas de mal, qu’elle est désarmée, un geste dont elle espère que l’universalité touche également les Etres de l’Eau et que celle-ci la comprendra. La sirène, toute d’or délavé parée, arrête ses arabesques, ses gestes empreints d’une grâce douloureuse, et l’observe de ses grands yeux qui ne sont pas ceux d’une femme ni vraiment ceux d’un poisson. Des yeux qui ne clignent pas, se souvient Dorcas, car elle n’a pas de paupières. La jeune femme devine à son apparence, maintenant qu’elle la voit de plus près, qu’elle a été dépouillée de ses écailles d’or, mais sa bouche brille encore de ses rubis. Les longs cheveux de la créature ondulent, comme un rideau d’algues, le long de son dos. Sa peau, ichtyenne, montre de petites traces de sa chair, là où étaient plantées ses écailles. Il ne lui en reste que quelques unes, oubliées.
La créature amorce un mouvement élégant de sa tête, comme pour chercher un peu la lumière et se montrer sous un jour meilleur au regard plein d’empathie que Dorcas pose sur elle. Les contours de son visage sont également abîmés, montrant la ligne qui fait deviner à la jeune sorcière que la sirène portait un masque, d’or aussi, sans doute. Alors, c’en est trop pour la sorcière qui pose sa main, vivement, sur sa bouche pour étouffer un sanglot, se demandant ce qu’on a fait à une créature aussi extraordinaire.
La sirène a un mouvement de recul, interloquée, avant de s’avancer et de lever une main vers le visage de Dorcas, et de cueillir du bout de ses doigts palmés, une de ses larmes, qu’elle semble sentir, avant de lécher.
- J’ai un cadeau pour toi.
La sirène pousse un petit cri interrogatif, et Dorcas agite son poignet auquel est attaché la bourse qui cliquettent, les bijoux, breloques et pépites d’or s’entrechoquant. La jeune femme ouvre la bourse et en sort la pampille du lustre de Cromwell, qui lui a servi de portoloin et qui lui est maintenant inutile. Elle tend l’objet de cristal, renvoyant les lumières du soleil qui coule sur elles, les recouvre d’une douce chaleur, fait chatoyer la surface du lac. La main pâle aux doigts palmés vient saisir la pampille dans la paume de Dorcas, et la regarde, émerveillée. Puis la sirène se regarde, cherche un collier, un bracelet, une ceinture, une couronne à laquelle l’attacher, mais ne trouve rien et gémit de douleur.
- Attends, regarde, j’ai d’autres cadeaux.
Dorcas sort de sa bourse un sautoir en or, serti d’émeraudes, une merveille d’orfèvrerie, délicatement ciselée. Un de ces colliers extrêmement longs dont les élégantes du siècle passé, ou celui d’avant, s’entouraient le cou de plusieurs tours pour le laisser pendre jusque bien en-dessous de leur corsage. Dorcas le saisit entre ses doigts, elle écarte ses mains, montrant à la sirène qu’elle veut l’aider à se parer, et celle-ci amorce un mouvement de la tête l’y autorisant. La jeune sorcière sourit, et la créature aussi, comme une sorte de reconnaissance mutuelle de la nature de l’autre, une acceptation profonde de son identité et de son altérité, et Dorcas lui passe plusieurs fois autour du cou le sautoir et observe, fascinée, la peau de la sirène comme accroche r l’or, le faire sien.
Elle passe un long moment à sortir toutes les parures, tout ce qui brille, de sa bourse, et l’offrir à la créature, jusqu’à ce que celle-ci commence enfin à ressembler à ce qu’elle était, avant. Le parfait tableau de la magie naturelle, vivante, dangereuse et fascinante. Quelque chose d’infiniment précieux à préserver. Une fois sa bourse vidée de tout l’or et les pierres, Dorcas adresse un dernier sourire à la sirène et se tourne vers les berges du lac. L’Etre de l’Eau se laisse tomber sur la surface de l’eau en un mouvement vif et plonge avant de refaire surface de suite et de danser autour de Dorcas, l’accompagnant. La jeune femme s’émerveille à la voir virevolter ainsi autour d’elle, la suit des yeux quand elle se jette de nouveau sous l’eau, passe en-dessous d’elle. Le fond du lac est littéralement tapis d’or et de pierres précieuses et reflète la lumière du soleil, l’éblouissant par moment. Le sourire de la sorcière se fane quand elle remarque un corps gonflé d’eau, empêtré dans les algues, bougeant mollement quand la sirène passe à côté de lui.
C’est donc là que les touristes et leurs guides reposent. Dorcas s’en doutait.
La créature émerge de l’eau et s’assoit à la surface, ses jambes repliées sous elle, dans une posture rappelant la Petite Sirène d’Eriksen, dans le port de Copenhague. Elle se met alors à chanter, et en observant sa peau chatoyer, Dorcas se dit que les quelques bijoux qu’elle lui a offert doivent aider, d’une manière qui lui échappe, sa peau à reconstituer ses écailles d’or. La sirène se lève alors, et s’avance vers elle en esquissant quelques pas de danse, puis s’arrête près de Dorcas et se met à chanter du bout des lèvres, ses mains venant effleurer sa gorge, comme si elle ne croyait possible que sa voix soit revenue, si belle, si pure. Les doigts palmés et froids viennent attraper la main de la sorcière, s’attardant sur son auriculaire dont elle avait perdu une phalange lors de son transplanage raté et qui lui fait encore mal, puis se posent sur son ventre, tâtant la cicatrice du sort d’éviscération qu’elle a reçu, comme si les yeux dépourvus de paupières de la sirène, voyaient au-delà des couches de vêtements . Une des mains palmées s’éloigne de son corps, et dans un geste gracieux et complexe, elle vient charmer l’eau dont une langue serpentine s’élève. Elle en recueille dans sa main qu’elle porte aux lèvres de Dorcas qui, ayant une confiance totale en la sirène, vient boire dans la main creusée en coupe.
La sirène lui saisit alors la main, et la sorcière regarde avec étonnement la fine cicatrice sous l’articulation de sa phalange, disparaître. Les doigts de l’Être viennent ensuite arracher d’un mouvement sec un bout de tissu de la chemise de Dorcas, et la sorcière regarde là encore, les dernières traces du maléfice d’éviscération que Voldemort lui a lancé et qui a failli la tuer, se dissiper. Une intense vague de soulagement la parcourt, et les mains de la sirène viennent de nouveau se poser sur le visage de Dorcas alors qu’elle fond en larmes.
Elles viennent effleurer ses joues, ses paupières, alors que du bout des lèvres, l’Être de l’Eau chantonne ce qui ressemble à une mélopée apaisante. Et avant que Dorcas n’ait pu amorcer un geste de recul, la bouche rubis de la sirène vient s’écraser sur la sienne, ses dents pointues viennent mordiller des lèvres, sa langue aussi douce qu’une râpe à fromage vient caresser la sienne. Et quelques instants plus tard, Dorcas a la bouche en sang et lance un regard interrogateur à la sirène qui s’est éloignée et lèche ses lèvres, goûtant son sang. La sorcière essuie sa bouche du bout de ses doigts, ravale le goût métallique, et regarde la sirène plonger dans l’eau pour, sans doute, rejoindre son repère parce qu’elle ne refait pas surface.
Dorcas rejoint alors Fury, curieusement soulagée, mais aussi terriblement intriguée par ce baiser. Le regard de l’agent se pose sur elle, et ses yeux hantés montrent une fêlure en lui. Tout ce en quoi il croyait vient d’être balayé en une après-midi.
- Je vous parlerai après, Fury… Des renforts vont arriver.
Dorcas lève les sortilèges qui retenaient Fury.
- Je suis désolée que vous ayez assisté à tout ça.
L’esprit de la sorcière file. Va-t-elle donc trahir le secret magique ? Et pour quoi ? Juste pour que tout ne repose pas sur elle, qu’elle soulage un peu sa conscience, qu’elle se sente épaulée ?
- La terre à Dorcas, la terre à Dorcas !
- Quoi ?
Fury, qui masse ses poignets endoloris et brûlés par les lianes, a ses yeux plantés dans ceux de la jeune femme.
- Vous paraissiez partie très loin.
Dorcas acquiesce, la vague de soulagement est définitivement partie, remplacée par une déferlante de culpabilité. Le secret magique est bien plus important qu’elle.
- Vous me devez quelques explications, alors ne vous débinez pas, Meadowes.
Le secret magique est bien plus important que lui.
La main de Fury vient saisir celles de Dorcas qui avait commencé à triturer ses doigts, signe de sa nervosité intense.
- Ne vous débinez pas, murmure Fury, et son regard quitte celui de Dorcas pour balayer la surface du lac, une vraie mer d’huile.
Dorcas racle sa gorge et murmure.
- Elle ne reviendra pas. Elle n’est pas dangereuse. Enfin, si, elle est dangereuse, bien sûr, mais pas pour moi. Pas pour nous, enfin, je crois. C’est une sirène, Fury. Et moi, je suis une sorcière.
Ses derniers mots sont précipités, comme s’ils s’étaient échappés d’elle et qu’elle ne pouvait plus les rattraper. Et d’un coup, elle raconte tout. Les mots s’écoulent d’elle, comme doués d’une volonté propre, et une part de l’esprit de Dorcas se demande si ce n’est pas un charme de la sirène qui agit encore, comme si, en plus de l’avoir guérie de ses blessures physiques, elle voulait aussi effacer toute cette souffrance qu’elle se traînait depuis qu’elle avait failli mourir, il y a quelques mois, en Angleterre.
- Notre existence est secrète depuis des siècles. Tous les pays se sont entendus pour que l’on vive dans l’ombre pour nous protéger, et que les Moldus, ceux qui n’ont pas de pouvoirs, ne puissent soupçonner notre existence. Parce que vous êtes un danger pour nous, avec vos armes. Et nous pouvons être un danger pour vous avec nos baguettes.
Fury acquiesce, l’encourageant à poursuivre, son esprit enregistrant le flot d’informations.
- Des créatures telles que la sirène, il en existe des milliers de par le monde. Certaines sont inoffensives, d’autres sont mortelles. Et des sorciers vous protègent, aussi, Fury. Vous, et les autres Moldus. Et quand je suis tombée du ciel..
La voix de Dorcas se brise et elle baisse la tête.
- Quand j’étais dans le ciel, on était en pleine bataille, Fury. Et vous...Vous m’avez sauvée…
Les doigts de Fury pressent les mains de Dorcas et elle relève les yeux, pleins de larmes mais qu’elle refuse de laisser couler. Et les lèvres encore rougies du baiser de la sirène, elle regarde l’homme dressé devant elle comme si elle le découvrait.