Tempérance
« Accompagne-moi au bal, Daphne. »
La jeune fille blonde haussa un sourcil en fixant le garçon en face d'elle. Celui-ci semblait nerveux, comme s'il doutait de la réponse à sa question.
« Tu es sérieux ? »
« Parfaitement sérieux, » répondit-il en la fixant de ses yeux verts.
« Harry Potter, ouvrir la danse avec une Serpentard ? On dirait le début d'un roman d'amour terriblement niais. »
« Si tu n'en as pas envie, tu peux simplement me le dire. »
« Bien sûr que j'en ai envie, » s'empressa de répondre Daphne, en voyant les épaules d'Harry tomber, « Il n'y a personne d'autre avec qui j'aurai eu envie de partager cette soirée. »
Le visage du Garçon-qui-a-Survécu s'éclaira d'un seul coup et, dans l'euphorie, il se pencha pour poser ses lèvres sur celles de Daphne Greengrass. Il se retira presque instantanément, rougissant tel un Weasley et bafouillant un semblant d'excuses incompréhensibles.
Daphne rit en le voyant si embarrassé. Elle attrapa le jeune homme par le col et le tira vers elle.
« Je t'interdis de regretter ça, Potter ! »
Je me réveillai en sursaut, faisant tomber la couverture de mon lit dans mon élan. Des gouttes de sueur perlaient sur mon front, comme presque tous les matins depuis maintenant des mois. Il fallait que cela cesse, mais c'était difficile de contrôler ses rêves.
Difficilement, je réussis à me trainer jusqu'à la salle de bain en évitant les vêtements et autres emballages qui jonchaient le sol de l'appartement. La jeune femme qui m'accueillit dans le miroir avait dû être magnifique dans une autre vie. Mais aujourd'hui, elle n'était plus que l'ombre de son passé.
Les yeux bleus qui me fixaient semblaient vides, dépourvus de vie. L'impression n'était pas bonifiée par la présence de cernes particulièrement sombres, donnant à ce visage un air sinistre. Les cheveux blonds qui tombaient de ma tête, emmêlés, avaient eux aussi perdu de leur splendeur d'antan. Je tentai un piètre sourire, mais le résultat fut plus effrayant que réconfortant. La guerre était passée par là, et la plupart des gens peinaient à s'en relever. J'en étais probablement le meilleur exemple.
En quelques sortilèges, je redevins plus présentable. Bien que l'impression générale fût la même, au moins on ne me dévisagerait pas dans la rue.
Mon placard était presque vide, mais je m'en fichais. Je ne remettrai plus un pied dans cet appartement de toutes façons, et j'aurai bien le temps de refaire ma garde-robe à l'avenir.
Distraitement, j'attrapai et enfilai mes sous-vêtements, un jean large et une chemise blanche quelconque avant de finir par une paire de sneakers. Pas le plus fashion, mais encore une fois, cela m'importait peu.
Près de mon lit, sur la table de chevet, je récupérai un billet de bus que j'avais acheté il y a des lustres. Comme je m'en souvenais, la date d'expiration était bien aujourd'hui. J'avais prévu cette journée depuis longtemps, et je ne pouvais plus revenir en arrière.
Vu mon état, ça vaut pour le mieux.
Je fis rapidement le tour du propriétaire en coup d'œil, sans aucune émotion. Bien des lieux m'auront marqués dans ma vie, mais ce trou à rat, lui, ne me manquera certainement pas.
« Failamalle ! »
D'un coup de baguette, mes maigres effets se rangèrent d'eux-mêmes dans la valise posée à coté de la porte d'entrée du studio. Pendant un court instant, je me demandai si le bailleur méritait que je range le reste, mais je mis rapidement l'idée de côté en considérant les craquelures sur les murs et sur le plafond. On avait les locataires que l'on méritait.
Allez, premier au revoir de la journée. Pas le plus difficile.
Après avoir laissé les clés à l'intérieur, je sortis et claquai la porte sans regarder derrière moi.
Il me restait encore quelques affaires à régler en ville, et j'avais encore un peu de temps avant de devoir prendre le bus.
J'allais avoir besoin d'un chauffeur, car je ne voulais pas dépenser le peu d'argent qu'il me restait dans les transports. Et le transplanage n'était pas une option pour se déplacer discrètement dans le Londres moldu.
Heureusement pour moi, j'avais un voisin avec qui je m'entendais suffisamment bien.
Je sonnai à la porte située à seulement quelques pas de la mienne. J'entendis un peu de chahut, mais on vint m'ouvrir assez rapidement.
J'avais de la chance, c'était justement la personne que je voulais voir qui apparut dans l'encadrure.
« Salut, Kyle. »
Plutôt grand, avec des cheveux roux montés en un chignon court, Kyle était un jeune homme né-moldu de seize ans, qui allait rentrer en 6ème année à Poudlard. Il était fan de Quidditch, et comme je savais monter sur un balai, on avait passé pas mal de temps ensemble pendant les vacances à poursuivre des Vifs d'Or la nuit dans le parc du quartier.
Il haussa un sourcil en me voyant.
« Oh, c'est toi. »
« Oui, c'est moi. Cache ta joie, surtout. »
Cela le fit ricaner, « Je me demande surtout pourquoi tu sonnes chez moi à, » il regarda la montre à son poignet, « 9 heures et demi du matin. »
« J'ai besoin d'un chauffeur, je dois aller faire un tour en ville. »
Kyle empruntait souvent la voiture de ses parents. Il n'avait pas l'âge de conduire, mais la magie permettait bien des choses.
« Et ça ne pouvait pas attendre un peu ? »
« Non. »
Il soupira, « Très bien. Ne bouge pas, je me change et j'arrive. »
Il referma la porte et je m'adossai contre le mur en l'attendant. Pour combattre l'ennui et pour éviter les pensées sombres, je regardai les autres habitants de l'immeuble aller et venir dans le couloir. Dans cette banlieue pauvre du grand Londres, peu de gens avaient un travail, avec tous les problèmes sociaux que cela impliquait.
Kyle réapparut rapidement, et nous descendîmes l'obscure cage d'escalier à l'odeur d'urine et de joints. Un coin vraiment charmant.
Arrivés sur le parking, je chargeai ma valise dans le coffre de la voiture de Kyle. Enfin, de celle de sa famille.
« Tes parents sont au courant que tu leur piques leur voiture ? » demandai-je en m'installant ensuite sur le siège passager.
« Oui, mais ils s'en fichent. Tant que je leur ramène de quoi remplir le frigo, ils me foutent la paix, » répondit Kyle en démarrant le moteur, « Bon, on va où ? »
« Chez Nicolson. »
« Ah, tu en as marre de mon vieux Brossdur ? Très sincèrement, je te comprends. »
« Qui te dit que ce n'est pas d'une serpillère dont j'ai besoin ? »
Kyle me détailla d'un œil critique.
« Arrête, tu es une sorcière. Et en plus, t'as pas vraiment l'air de savoir nettoyer quoi que ce soit. »
Malgré moi, un rire m'échappa, « Si tu le dis. En attendant, tu peux démarrer. »
Il faisait nuit sur le terrain de Quidditch de Poudlard. Dans la pénombre, il était difficile pour Daphne de suivre son petit-ami, qui n'était pas non plus la personne la moins rapide de l'école sur un balai.
Ils plongèrent tous les deux, défilant à grande vitesse vers le sol, et se redressèrent au dernier moment, juste avant de s'écraser sur la pelouse finement taillée du stade.
Harry Potter ralentit et Daphne flotta jusqu'à lui.
« Je savais que je réussirais à faire de toi une attrapeuse, » lui dit-il avec affection.
Ses lunettes embuées et ses cheveux partant dans toutes les directions le rendaient particulièrement attirant dans la nuit écossaise, et Daphne se mordit la lèvre.
Jamais elle n'avait ressenti quelque chose d'aussi fort pour une personne. Et ça ne faisait qu'à peine deux ans qu'ils se connaissaient…
La jeune femme reprit ses esprits et répondit, « Je ne suis pas encore prête à risquer ma vie sur le terrain. Je suis là uniquement pour te faire plaisir. »
Harry la regardait avec un sourire narquois, absolument pas trompé par le faux ton hautain qu'elle avait utilisé, « C'est ça, n'importe qui peut voir que tu aimes voler. Tu es vraiment douée en plus ! »
Toujours des compliments. Ce garçon était vraiment charmant. Les joues de Daphne rosirent quand une image d'Harry se présentant à ses parents lui vint en tête.
Ils restèrent un moment côte à côte, dérivant doucement sur leurs balais respectifs. Ces instants étaient précieux pour la jeune femme, car leur relation gardée secrète les empêchait de se voir souvent. Daphne se demanda vaguement ce qu'il se passerait si des gens les apercevaient tous les deux durant leurs rares moments d'intimité.
Elle frissonna en pensant au fait qu'on pourrait se servir d'elle contre Harry.
Cette réflexion lui rappela alors soudainement de quelque chose.
« Alors ? Ça avance avec Dumbledore ? »
Harry ne manqua pas de se renfrogner en entendant cela.
« Depuis que j'ai récupéré le souvenir de Slughorn, pas vraiment. Dumbledore pense que l'arme secrète dont je dispose pour vaincre Voldemort, c'est l'amour. Mais je ne vois pas vraiment comment ça va m'aider contre les Horcruxes restants. »
Il se tut, visiblement contrarié.
« Et s'il avait raison ? »
« Comment ça ? »
« Et si Dumbledore avait raison sur ton pouvoir ? Et si c'était vraiment l'amour qui allait te permettre de triompher ? »
« Là, il va falloir que tu m'expliques. »
« C'est pourtant bien l'amour de ta mère qui t'as protégé quand tu étais bébé. »
Harry passa la main dans ses cheveux, « Oui, mais c'est une magie obscure, personne ne sait vraiment comment elle marche. »
« On pourrait sûrement essayer de la reproduire d'une façon ou d'une autre. »
« Je doute qu'on puisse retenter exactement le même sort. Et puis de toutes façons, je n'ai personne qui m'aime au point de tenter quelque chose d'aussi dangereux… »
Daphne leva les yeux au ciel et le fixa du regard sans répondre, pour le laisser comprendre tout seul.
Quand la conclusion lui vint, la bouche d'Harry fit un « O » d'incrédulité, et un mélange de gène et d'émotion peignit son visage.
« Daphne… Je… »
« Moi aussi, j'ai mené mes recherches, » lui dit-elle tendrement, « et je pense avoir trouvé quelque chose pour t'aider. »
« Qu'est-ce que c'est ? »
« Je t'en dirais plus quand je serais sûre de mon coup. »
« Bonjour, que puis-je faire pour vous ? » demanda la vendeuse du magasin.
Nicolson était une boutique d'entretien ménager, avec les habituels produits qu'on pouvait trouver dans ce type d'établissement. Du moins, c'était ce que les modus voyaient. Pour les sorciers, il s'agissait d'un des magasins de balais les plus connus de Londres.
Naviguant entre les étagères, Kyle et moi nous présentâmes devant la caisse, derrière laquelle se trouvait une femme brune à l'apparence parfaitement oubliable.
« Je suis venu acheter un balai. »
« Et bien servez-vous, je vous attends à la caisse. »
Elle avait répondu sans même lever les yeux vers nous.
Pas la personne la plus avenante que j'ai croisé.
Et j'avais pourtant côtoyé Drago Malefoy.
« Je cherche un balai un peu plus… explosif, que ce qu'il y a là. »
En entendant ma formulation pour le moins étrange, la vendeuse posa son magazine sur le comptoir, et nous regarda tour à tour Kyle et moi. Je feins d'agiter ma baguette nonchalamment pour bien qu'elle comprenne le message.
« Oh, mais il fallait le dire plus tôt. Je vous laisse me suivre à l'arrière. »
Elle pointa vers le mur derrière elle ce qui ressemblait à un plumeau. J'haussai un sourcil en voyant une porte apparaître au milieu de la peinture auparavant immaculée.
Un habile moyen de dissimuler sa baguette.
La vendeuse ouvrit la nouvelle porte et disparut à l'intérieur. Sautillant presque, Kyle prit sa suite. Je le suivis avec un sourire aux lèvres.
Nous débouchâmes dans une grande pièce dont les murs étaient entièrement recouverts de râteliers supportant des balais de course de toutes marques. Il y en avait pour tous les budgets et pour tous les usages.
Arrivée au centre de la pièce, la vendeuse se tourna à nouveau vers nous.
« Voilà », fit-elle en désignant l'ensemble des balais d'un geste de la main, « Je peux peut-être vous aider ? Est-ce pour un usage récréatif ? Ou est-ce que vous pratiquez le Quidditch ? »
« Je veux ce que vous avez de mieux », dis-je simplement.
La vendeuse parut surprise, mais pointa tout de même vers l'établi central du fond de la pièce, sur lequel reposait un balai pourpre scintillant.
« Notre modèle le plus rapide est le dernier modèle Foudre II, aussi rapide que l'Eclair de Feu, mais encore plus stable. Mais c'est un balai professionnel, je ne suis pas sûre que… »
« Vous plaisantez ? » interrompit Kyle, « Vous avez devant vous la meilleure joueuse que je connaisse, et il y en a quelques-uns des bons joueurs à Poudlard. »
Qu'il est mignon.
La vendeuse ne parut pas convaincue, mais elle détacha tout de même le Foudre II en haussant les épaules, avant de me le présenter.
« Comme vous voudrez. Je vous laisse le regarder, et me l'apporter à la caisse si vous souhaitez vraiment l'acheter. »
J'attrapai délicatement ce bijou de précision qu'était le Foudre II. Il n'était pas aussi beau que l'Eclair de Feu, mais mon jugement n'était sans doute pas le plus impartial.
Je sentais presque l'excitation irradier du jeune homme qui se tenait à mes côtés, et je me décidai alors à lui tendre le balai. Il semblait ne pas en croire ses yeux, mais après un instant d'hésitation, il pris le balai.
« Alors, tu en penses quoi ? »
« Une pure merveille ! Déjà que j'avais aucune chance contre toi, mais là… » dit-il en passant presque amoureusement sa main sur le manche, comme s'il tenait un objet fragile en porcelaine et non pas un balai de compétition.
« T'es un bon joueur Kyle », répondis-je, tout à fait honnête.
Après tout, il jouait dans l'équipe de Poufsouffle à l'école.
« Oui, mais toi, c'est autre chose », il releva les yeux vers moi, « Sérieusement, tu devrais être professionnelle. Je n'ai jamais vu personne effectuer des feintes de Wronski aussi facilement, sauf peut-être Harry Potter. »
Mon cœur se serra quelque peu en entendant ce nom.
Comme toujours.
« Pour ce que tu en sais, je suis peut-être Harry Potter. »
« Ah oui, Harry Potter, la poupée blonde aux yeux bleus. Comment aurais-je pu oublier ? »
Du sarcasme. C'est bien, il faisait des progrès.
« J'attends toujours que tu me donnes ton vrai nom, d'ailleurs. Parce que bon, "Bathilda Tourdesac" j'y crois pas trop. »
Je ris à cela, j'avais peut-être un peu exagéré sur ce coup.
« Tu n'as pas besoin de le connaître, ça n'aura plus d'importance bientôt de toutes façons. »
« Hmff, si tu le dis, » la voix de Kyle exprimait son mécontentement, « Bon, on le prend ce balai ? »
« On ? » je lui lançai un regard entendu, et il me répondit avec un sourire triomphant.
Le balai était bien plus cher que ce que j'aurai pu imaginer. Kyle faillit s'étouffer en entendant la vendeuse, mais moi, j'avais bien assez de monnaie sorcière pour toute ma vie. Même si je n'allais plus l'utiliser bientôt.
Je posai un gros sac de Gallions sous les yeux ébahis de la vendeuse, avant de sortir de la boutique balai sur l'épaule. Je plaçai l'engin de compétition sur la banquette arrière de la voiture et me réinstallai à ma place.
Kyle boucla sa ceinture devant le volant et me demanda, « Je t'écoute. C'est quoi la suite ? »
Je sentis la mélancolie commencer à s'emparer de moi.
« Le columbarium du cimetière de Kensal Green. »
Kyle ne posa pas de question, et s'il en avait, il ne le laissa pas paraître en appuyant sur la pédale.
« En quoi ça me rendrait différent de Voldemort ? »
« L'intention, Harry, tout est dans l'intention et le sentiment. »
Daphne et Harry se tenait côte à côte en haut de la tour d'astronomie. La nuit s'apprêtait à tomber, mais aucun des deux ne ressentait l'envie d'aller dormir.
La jeune femme venait d'exposer son idée au Gryffondor, et ce dernier ne semblait pas vraiment emballé.
« Voldemort a tué, torturé pour fabriquer ses Horcruxes. Pour toi, ce serait simplement me faire confiance pour te protéger. »
Harry avait le regard perdu par-delà la forêt interdite, « Je ne sais pas Daphne. Toucher à l'âme… Je ne sais pas ce qu'en dirait Dumbledore. »
« Mais Dumbledore n'est plus là. Il n'a pas réussi à te mettre hors de danger de son vivant, et je refuse de te voir mourir alors que j'ai un moyen de te sauver la vie si jamais le pire devait arriver. »
Daphne avait posé sa main sur l'épaule de son petit-ami en disant cela, ce qui poussa ce dernier à la regarder dans les yeux.
« Mais es-tu consciente des risques ? Il n'y aura pas de retour en arrière possible. Je serai dans ta tête constamment, et toi dans la mienne. »
« Mais bien sûr que je connais les risques, idiot. Mais c'est parce que je t'aime que je veux les prendre. Et puis, tu es déjà constamment dans ma tête, et j'ose espérer que l'inverse est vrai également… »
Harry ouvrit grand les yeux sous le coup de la déclaration, mais il se reprit vite et enlaça sa petite-amie comme si sa vie en dépendait. Et d'une certaine façon, c'était le cas.
« Qu'est ce que je dois faire ? »
« Prends ta baguette et pointe la sur ma tempe. Ensuite, cherche au plus profond de toi ce que tu ressens pour moi. Je ferai de même. »
Les amants firent chacun ce que Daphne venait de décrire, en silence. On entendait plus que le vent souffler en haut de la tour. Les deux jeunes gens étaient parfaitement immobiles l'un en face de l'autre, tel une sculpture d'un autre temps.
Pendant un temps, il n'y eut rien. Mais tout d'un coup, une lueur bleue, qui n'était pas sans rappeler celle d'un Patronus, les enveloppa tous les deux.
« Je peux venir ? »
« Non, attend moi là. Je n'en ai pas pour longtemps. »
Kyle avait garé sa voiture sur une place de parking proche d'un arrêt de bus. Je jetai un coup d'œil à ma propre montre.
Je ne dois pas traîner.
L'entrée du columbarium se situait à l'extérieur du cimetière principal, qui était vraiment très étendu. Parfait pour passer inaperçu.
A l'entrée, je déposai une enveloppe pleine de monnaie, pour prolonger la concession que j'avais réservé. Je n'avais pas l'intention de repasser après, mais je voulais quand même qu'elle dure, pour la postérité.
Je laissai mes jambes me porter machinalement dans les couloirs, tous identiques, recouverts de dizaines et de dizaines de tiroirs dans lesquels reposaient les cendres de personnes décédées, ainsi que les objets précieux laissés par leurs proches.
Je sentis l'ambiance mélancolique du lieu m'envahir petit à petit, à mesure que je passais les habitants du quartier venus se recueillir. Certains pleuraient à chaude larme, quand le deuil n'avait pas encore été fait. D'autres restaient plus dignes, même si l'on pouvait voir dans leurs postures qu'ils ravalaient leur tristesse. D'autres encore étaient souriant, et racontaient leurs journées dans le vide, en espérant que leurs défunts proches pouvaient les entendre.
Au bout de quelques minutes qui m'étaient apparues comme une éternité, j'arrivai devant la sépulture qui m'intéressait.
Un simple tiroir, insignifiant parmi les autres, mais qui me fit instantanément monter les larmes aux yeux.
Un simple nom, qui surmontait une simple épitaphe. Mais pour moi, ces mots signifiaient beaucoup.
Daphne Greengrass
Rêveuse
Harry reprit connaissance allongé sur le ventre. Il pouvait sentir sur son visage les brins d'herbe d'un gazon bien coupé. En tâtonnant autour de lui, il récupéra ses lunettes et les remit sur son nez en s'asseyant.
Il se trouvait dans un jardin, près d'une fontaine et au milieu d'arbustes élégamment entretenus, qui formaient une sorte de haie l'entourant. Le jeune homme ne reconnaissait pas l'endroit.
Il semblait faire nuit, mais l'atmosphère était particulièrement claire, limpide, presque surnaturelle.
Ça y est, je suis mort.
« Non Harry, pas encore. »
Harry sursauta. Il était certain d'avoir pensé cette phrase dans sa tête, et pourtant on lui avait répondu. Et cette voix…
Il se retourna et, à sa grande surprise, se trouva face à Daphne Greengrass.
Elle était vêtue d'une robe d'été blanche qui, avec ses longs cheveux blonds qui cascadaient dans son dos, lui donnait un air angélique. Elle lui sourit, et il ne put s'empêcher de faire de même avant de la serrer dans ses bras.
« Daphne… Ce que tu m'as manqué pendant tout ce temps… »
La chasse aux Horcruxes n'avait pas été de tout repos. Tous ces mois passés sans la moindre nouvelle avaient pesé sur son moral, en dépit de la présence de Ron et d'Hermione à ses côtés durant cette épreuve.
« Tu avais toujours une partie de moi en toi pourtant, » lui répondit-elle, espiègle.
« Tu sais bien que j'aurai préféré t'avoir tout entière avec moi. »
« Oui, mais c'était toujours mieux que rien, non ?. »
Le rappel du lien qu'ils partageaient depuis qu'ils l'avaient formés la dernière fois qu'ils s'étaient vus ramena Harry à la réalité.
« Où sommes-nous, Daphne ? »
« De mon point de vue, cela ressemble aux jardins du manoir Greengrass. »
« Mais pourquoi est-ce qu'on serait ici ? Je n'y suis jamais venu… »
« Tu n'as pas encore compris ? Nous sommes dans ma tête, Harry. »
La dernière chose dont Harry se souvenait était la lumière verte du sortilège de la mort lancé par Voldemort dans la Forêt Interdite. Le maléfice l'avait percuté de plein fouet, ce qui signifiait…
« Donc, je suis bien mort… » fit-il avec résignation, ayant su pendant longtemps que cette issue avait toujours été une éventualité pour lui.
« Moi, je te trouve bien vivant. »
« Daphne, je ne suis pas naïf, qu'est-ce qu'il se passe ? »
Elle semblait beaucoup trop calme par rapport à la gravité de la situation, et même si Harry ne savait pas ce qu'elle cachait, il commençait à craindre le pire.
Et en effet, en entendant ses mots, la jeune femme eut une moue triste. Elle attrapa les mains d'Harry dans les siennes et ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, comme si elle ne savait pas par où commencer son explication.
« Il y a plusieurs choses que je ne t'ai pas dit, » finit-elle par dire, « Le sort que nous avons utilisé… Il permet, en cas de décès d'un des deux amants, à l'autre de porter l'âme du défunt dans son corps pendant quelques temps, jusqu'à éventuellement trouver un nouveau corps pour la porter. »
Harry grimaça, cela ressemblait fortement à de la magie noire, et pas vraiment à un sort basé sur l'amour.
« Je ne prendrai le corps de personne, Daphne, je ne veux pas être comme lui. »
« Ce n'était pas prévu, » fit la jeune femme secouant la tête, « Mais si l'âme du mort n'est pas transférée vers un nouveau réceptacle avant quelques jours, alors elle cesse d'exister… »
« Pourquoi avoir jeté ce sort en premier lieu alors ? » Harry ne voyait pas où elle voulait en venir.
Daphne eut alors un sourire triste, qui exprimait une finalité qui donna la chair de poule à Harry.
« Elle cesse d'exister… sauf si le porteur accepte de lui laisser sa place définitivement. »
Harry ne comprit pas tout de suite la signification de ce que sa petite-amie venait de dire, mais quand la conclusion lui vint, son cœur fut comme pris dans un étau, et il secoua la tête avec force.
Alors qu'il s'apprêtait à vocaliser son refus, la Serpentard posa un doigt sur ses lèvres, le coupant dans son élan.
« Il y a autre chose que je ne t'ai pas avoué, » lui dit-elle, « Tu te rappelles de la Malédiction du Sang qui touche la famille Greengrass ? Je t'en avais parlé, à propos de ma sœur Astoria. »
Il hocha la tête distraitement, encore sous le choc de la précédente déclaration de Daphne. En plus, il ne voyait pas le rapport entre la situation et la Malédiction qui frappait sa famille.
« Ma sœur va mourir un jour. On ne sait pas quand, mais elle mourra. »
Elle tourna alors le dos à Harry.
« Et moi aussi… »
Non…
Ce n'était pas possible. Harry refusait de la croire.
Pourtant, quand il la retourna vers lui, deux trainées de larmes ruisselaient de ses yeux, et il prit la réalité en face.
Daphne Greengrass était condamnée à mourir.
« Cela fait un moment que je le sais, » sa voix était tremblante, brisée par l'émotion, « Je suis simplement meilleure qu'Astoria pour le cacher. Il ne me reste qu'au plus quelques mois à vivre, Harry. Et je préfère de loin pouvoir choisir ma sortie, plutôt que de risquer d'être prise d'une crise à tout moment. »
Elle l'attrapa alors par les épaules et l'embrassa spontanément, avec une ferveur que jamais il n'avait connu. Il n'eut pas le temps de répondre qu'elle se détacha.
« Tu es la meilleure chose qui me soit arrivé, et c'est un bonheur de savoir que mon départ contribuera à te donner une seconde chance, crois-moi. »
Elle avait tout manigancé. Elle avait prévu ce moment depuis longtemps. Telle une véritable membre de la maison du serpent, elle avait montré qu'elle avait toujours plusieurs coups d'avance.
« Daphne, je… Je ne peux pas accepter ça. »
Daphne eut un rire un peu étranglé, « Tu vas l'accepter, ou du moins tu apprendras à l'accepter. »
Un halo blanc commença alors à l'envelopper, et sa silhouette devint floue.
« Si tu es là, c'est que Voldemort est encore vivant. Alors, retournes-y, et finit en avec lui une bonne fois pour toute. »
Son corps était dorénavant presque transparent.
« Non, Daphne ! »
« Je te souhaite une longue vie, Harry, et j'espère que tu me garderas une petite place dans ton cœur. Mais surtout, ne t'arrête pas de vivre pour moi. Sache simplement que j'aurais rêvé pouvoir être à tes côtés jusqu'au bout. »
Sur un dernier sourire, Daphne Greengrass disparut, et tout devint noir.
« Ah, Daphne… »
Comme souvent quand je repensais à ce moment, je me mis à pleurer.
Je sentais les gens autour de moi me regarder avec compassion, mais je ne fis pas attention à eux. Je n'arrivai toujours pas à croire ce qu'elle avait pu faire pour moi. Qu'avais-je fait pour mériter un tel sacrifice ?
Toutes ces années ensemble à Poudlard, à garder notre relation secrète aux yeux de tous. Tous ces moments volés entre deux classes et pendant les vacances. Tous ces sourires complices échangés dans la Grande Salle.
Toutes ces promesses d'avenir faites à l'ombre des arbres.
Tout ça, pour en arriver là.
Une chance de vivre pour moi, sans Daphne, et dans un corps qui n'était pas le mien.
Mais ce serait faire honte à la mémoire de Daphne si je ne saisissais pas cette nouvelle chance.
Je reniflai un peu avant de reprendre, « Je ne peux pas continuer à me morfondre, à repenser tous les jours à ce qu'il s'est passé. »
J'ouvris le tiroir, qui était bien évidemment vide.
« Je ne peux pas t'oublier, de toutes façons. Je vois ton visage tous les matins en me levant. »
Je sorti de ma poche une baguette en bois de cèdre, la baguette de Daphne. Je la tins tendrement, comme par peur de briser la dernière relique qui me liait à sa propriétaire.
« Daphne je… je t'aime tant. Je ne connais personne qui aurait eu le cran de faire ce que tu as fait. Merci pour… pour tout, en fait. »
En tremblant, je déposai la baguette dans le tiroir. Les larmes se remirent à couler, mouillant la pierre autour de l'objet en bois. Il fallait que je me fasse une raison, je ne la reverrai plus jamais. C'était grâce à elle si j'étais encore en vie aujourd'hui.
« Je dois murir. Tu m'as laissé une deuxième chance, et je ne compte pas la gâcher. »
Je sortis alors ma propre baguette, en bois de houx et plume de phœnix. Mon dernier lien avec le monde magique.
Doucement, Je la plaçai aux cotés de celle de Daphne.
« Je ne suis plus le même. Le monde des sorciers me rappellera tous les jours ta disparition, et je ne veux pas de ça. Alors, je te dis adieu. »
Je fermai les yeux une dernière fois, gravant définitivement dans mon esprit l'image d'une fille de Serpentard aux yeux pétillant de malice et au sourire taquin.
Je refermai alors le tiroir sans hésitation, et tournai les talons en direction de la sortie.
Kyle m'attendait, adossé à sa voiture et une cigarette dans la main droite. Il vit mon visage rougi, mais ne fit aucun commentaire, me demandant plutôt :
« On va où maintenant ? »
« J'ai un bus à prendre, » répondis-je en sortant ma valise du coffre, « Toi, tu peux rentrer chez toi. »
Le jeune homme hocha la tête, « La personne à qui tu as rendu visite, ça fait longtemps qu'il est mort ? »
« Elle. Et non ça ne fait pas longtemps. »
« Elle te manque ? »
« Tu n'as pas idée. »
« Quand mon grand-père est mort, je pensais à lui tout le temps. »
Il jeta sa cigarette et l'écrasa sous son pied.
« Mais maintenant, c'est juste de temps en temps… »
Sur ces paroles, il rentra dans sa voiture.
Au fond de moi, je ne savais pas si j'espérais qu'il avait raison ou non.
Je jetai un coup d'œil à l'arrêt de bus, et remarquai que le bus que je devais prendre était déjà stationné. Sans doute prêt à partir. Le chauffeur me prit et me valida mon vieux ticket. C'était étrange de l'utiliser après tant de temps à le voir sur la table de nuit.
Je chargeai ma valise sur une étagère à l'arrière du bus et regardai mon siège. Une profonde inspiration plus tard, et je m'installai près de la fenêtre. La fatalité m'envahit quand je m'assis, car il y aurait pour moi un avant et un après cette journée.
Le début de ma nouvelle vie. Puisse-t-elle m'apporter moins de tristesse que la première.
« ATTENDEZ ! »
Sans surprise, je vis Kyle arriver en courant à l'extérieur du bus. Sur son épaule se trouvait le Foudre II que nous avions acheté peu de temps auparavant.
Il me chercha des yeux rapidement, et quand il me vit, se plaça sous la fenêtre.
« Ton balai ! T'as oublié ton balai ! »
J'entrouvris la vitre, et lui répondit sans même le regarder alors que le bus démarrait.
« Ce n'était pas un oubli. »
Je devinai aisément le regard ébahi de Kyle alors que le bus s'éloignait déjà de lui.
« Je n'ai absolument rien oublié. Et je me souviendrai toujours. »
Mais il faut quand même que j'aille de l'avant.