Ce n'est pas le fait participer activement à la resistance contre Voldemort qui fit hésiter Alice. Elle avait décidé à l'instant où elle avait quitté Malbourg qu'elle engageait dans sa décision son esprit, sa baguette, et sûrement sa vie.

Non, ce qui la fit hésiter fut le compromis. 

Albus Dumbledore lui avait donné rendez vous dans une taverne miteuse de Pré-au-Lard. Elle prit ainsi le Poudlard Express avec une certaine excitation, un peu émue d'emprunter le train qui avait transporté des générations de jeunes Sorciers venus de toute l'Europe. Alice n'en avait pas fait partie. Malgré leur amitié pour Dumbledore, ses parents avaient préféré faire appel à un précepteur et compléter son éducation de leurs nombreuses réception. Peut être Alice l'avait elle regretté.

Des son arrivée au village, elle sentit qu'on l'espionnait. Le sentiment ne fit que s'accroître alors qu'elle s'arrachait à la contemplation des hautes tours du château pour passer de boutiques en boutiques.

Enfin, quand la nuit eut silencieusement recouvert le village, elle poussa la porte de la Tête de Sanglier. 

Elle ne put retenir une grimace tout à fait aristocrate devant l'odeur de chèvre de la taverne. Elle la traversa ensuite sous le regard suspicieux des quelques clients. Quand enfin elle s'assit au fond de la pièce à côté d'un tableau hideux représentant un cochon, ils revinrent à leurs conversations murmurées. Et Alice attendit. 

- Miss Grimm, la salua Albus Dumbledore deux heures plus tard, alors que les derniers ivrognes avaient deserté le lieu. Merci d'avoir accepté cette rencontre. 

Elle hocha poliment la tête et il fit un geste, laissant quatre Sorciers sortir de l'ombre derrière lui. Alice ne repondit pas au sourire amical de Frank ; elle s'agaçait déjà de les voir debout face à elle, toujours assise à son tabouret comme une écolière.

- Avant toute chose, reprit-il, je dois vous prévenir que si cette entrevue venait à se conclure par un refus de votre part, nous serons forcés de supprimer vos souvenirs. Vous connaîtrez bien l'existence de l'Ordre, mais aucun de ses membres- excepté moi même - ne vous sera familier. Acceptez vous cette condition?

- Oui.

- Si à l'inverse vous acceptez de nous rejoindre, continua Dumbledore sans remarquer son irritation, sachez qu'aucune forme de Serment magique ne devra être prêté. Vous aurez notre entière confiance. Frank, que vous connaissez à présent, s'est engagé pour vous.

Ce dernier lui adressa cette fois-ci un regard interrogatif, surpris de la voir sur la defensive. 

- L'unique promesse que nous exigeons, termina gravement le vieux sorcier en la regardant désormais par dessus ses lunettes à demi lune, est que vous ne pratiquiez jamais un Sortilège Impardonnable sur nos ennemis.

- Et en cas de légitime défense?

- Un Stupefix fera l'affaire. Nous refusons d'utiliser les mêmes moyens que nos ennemis. Comprenez vous cette condition, Miss Grimm?

- Je le comprends, oui, dit elle d'un ton cassant. Et je peux m'y engager, mais je ne peux le promettre pour mes camarades. 

C'était la première fois qu'elle parvenait à prononcer une phrase entière, et sa fermeté dut autant impressionner les cinq sorciers que le contenu de ses paroles.

De fait, le vieillard à la droite de Dumbledore eut immédiatement une expression de réprobation. Il s'exclama avec surprise devant la réflexion de son ami :

- Albus !

- Bien.

Dumbledore ignora son affolement et poursuivit tranquillement.

- Mais leurs actes ne devront pas être reliés à l'Ordre.

- Naturellement.

Remarqua-t-il son attitude polaire ? Quelle que fut son interprétation, il continua de la considérer de toute sa hauteur d'immense sorcier, les quatre hommes derrière lui.

- Ceci ayant été instauré, laissez moi vous présenter mes compagnons.

Il se decala légèrement pour laisser la lumière poussiéreuse éclairer le vieux sorcier à sa droite.

- Elphias Doge est mon plus proche et vieil ami. Ses conseils sont des plus précieux pour notre organisation.

Le concerné rougissait, et il était difficile de savoir s'il s'agissait d'un reste de son énervement face à la dernière décision de Dumbledore, ou de la gêne devant sa flatterie. 

- Alastor Maugrey, présenta-t-il ensuite un sorcier à l'allure peu amicale, qui déclara succinctement :

- Auror, je dirige les opérations de l'Ordre.

- Frank Londubat, dit Dumbledore en présentant son ami, et puis...

Il eut un sourire amusé.

- J'aimerais vous présenter, mais je crois que vous connaissez déjà Fabian Prewett. Il nous a confié que vous entretenez une correspondance politique depuis qu'il est en âge d'hériter le siège de son père au Magenmagot. 

Il y eut d'autres expressions un brin moqueuses, et puis le soupir de désapprobation d'Alastor Maugrey.

 
- Qu'y a t il? interrogea Alice en sentant curieusement que la moquerie lui était surtout destinée.

- Disons que Fabian nous a habitué à ce genre de frasques, commenta gentiment Elphias Doge.

Fabian passa une main sur sa nuque, Frank se racla la gorge, Maugrey souffla plus fort que les buffles alentours ; Alice se raidit.

- Des frasques? releva-t-elle froidement. Abolir le Secret Magique a-t-il l'air d'une plaisanterie, Mr Doge ?

- Absolument pas.

L'Auror avait parlé si fort qu'il y eut un sursautement du côté du bar. Il semblait faire enfin sortir une réprobation trop longtemps contenue.

- Il n'y a vraiment rien de drôle dans ce que vous défendez, Miss Grimm, dit-il . Et que nous pensions même à nous associer à un mouvement si proche des idées de Grindelwald... 

- Ce que veut dire Alastor, le coupa Dumbledore dans une tentative d'apaisement, est que les crimes commis en Europe au nom de...

Elle se leva avec colère. 

- Je vous interdis de nous associer à Grindelwald, et encore moins de me parler des conséquences de ses actions sur mon propre pays. Mes parents etaient en première ligne avant que vous ne vous decidiez à le combattre vous même. Leurs plus proches amis ont été torturés, certains tués à Nuremgard. Nous n'avons rien à voir, martela-t-elle, son accent ressortant brusquement, avec Gellert Grindelwald.

Le vieux mage resta muet devant cette petite femme au chignon sobre, qui avait brusquement l'air de les dominer de quelques mètres. Elle avait dans le regard une férocité qui lui évoqua Minerva.

- Avec tout le respect que je vous dois, Dumbledore, rappelez vous que je suis présente ici en qualité d'égale. Je suis, comme vous, à la tête d'un groupe de résistance - un groupe peut être même plus important que celui que vous dirigez actuellement. J'espère donc que vous comprenez que vous n'êtes pas en train de me recruter, mais de négocier.

Il la sonda longtemps avant qu'un sourire respectueux ne se dessine sur ses lèvres. Puis il s'assit, invitant d'un geste les quatre hommes à en faire autant. Un peu apaisée, elle les suivit.

- Veuillez acceptez toutes mes excuses, Miss Grimm. Je le reconnais avec une certaine honte : je vous ai sous-estimée.

- Ce qui ne change rien au fait que Miss Grimm profite du chaos pour arriver à ses fins.

- Alastor. Miss Grimm a les mêmes fins que nous.

- A court terme, du moins, nuanca Alice. À long terme, nous voulons la libération de la magie et l'abolition des privilèges liés au sang.

Elle leur tendit un tract.

Comité pour l'Ouverture du Monde Magique et l'Interdiction de l'Exploitation par les Sorciers

Sorciers du monde entier, venez combattre la suprématie des voleurs de magie !

Rejoignez le Comité dans son combat contre Lord Voldemort et ses fidèles.

- Pensez au nombre de Moldus que nous pourrions sauver avec quelques sortilèges ou potions, dit elle, la passion ayant remplacé la colère. A toutes ces créatures dont nous exploitons la magie. Pourquoi croyez vous que des enfants magiques naissent dans des familles moldues ? Pour nous rappeler que la magie n'est pas le privilège des Sorciers ! La magie ne devrait pas être la propriété de quelques uns.

- C'est intéressant, commenta Fabian Prewett.

- Mais dans la pratique... siffla Doge.

- Concentrons nous sur les objectifs du court terme, si vous le voulez bien, trancha Dumbledore.

Ce n'était ni une victoire, ni une défaite. Convaincre des sorciers influents prendrait du temps, cela Alice l'avait compris. Elle se contenta donc d'annoncer :

- Je crois que nous venons d'instituer un premier élément : nos réseaux ne pourront pas fusionner.

- Ne reste qu'à collaborer, acquiesca Dumbledore d'un ton cordial. Comment pouvons nous vous aider? 

Elle lissa son chignon, s'avança sur son siège.

- Des papiers - faux ou officiels - pour ceux d'entre nous qui n'ont pas la nationalité britannique. Les autorités du Ministère vendues à Voldemort nous ont déjà ciblés et incarcérés sous ce prétexte.

- Je peux mettre Russ sur le coup, intervint Fabian. Ding pourra lui donner un coup de main, et je récupérerai un tampon du Ministère.

Dumbledore approuva, et Alice poursuivit en le regardant directement.

- Je veux qu'après la guerre, nous disposions d'une tribune auprès de la confédération internationale des sorciers. Vous êtes le seul à pouvoir les convaincre de nous laisser plaider auprès d'eux.

- Comme si la confédération internationale avait le temps d'écouter vos délires, pouffa Doge. 

- Elle prendra la temps, le coupa sèchement Alice, si une partie d'entre nous a combattu pour lui apporter la paix.

- Vous aurez votre tribune, conclut Dumbledore avec le même air affable.

C'était à present à elle de faire ses propositions.

- Nous avons quelques potionnistes et botanistes sur le continent qui pourraient vous envoyer le nécessaire pour se soigner et fabriquer des armes.

Elle marqua un temps.

- Certains seront également disposés à accueillir des enfants nés-moldus dans leur foyer pour le temps de la guerre. Nous comptons également des sympathisants dans toutes les communautés de créatures magiques. Cette relation ne tolère aucune subordination, mais nous pouvons vous aider à vous mettre en contact avec eux.

Elle attendit qu'ils hochent la tête. 

- Il y a également des Moldus.

- Les Moldus ? s'étrangla Maugrey. Et pourquoi pas des poules tant qu'on y est ?

- Ils sont tout autant que nous concernés par cette guerre, repliqua-t-elle aussitôt. Peut être même davantage. Ce sont des conjoints, parents, frères et sœurs de Sorciers.

- Et que peuvent faire des Moldus contre des maléfices?

Sans avoir le gentil dédain de Doge, l'Auror avait l'air de l'avoir sérieusement prise en grippe. 

- Et si vous cessiez de mépriser ceux que vous prétendez protéger, Mr Maugrey ? Cette attitude infantilisante n'est qu'une des nombreuses expressions de la pensée supremaciste sorcière.

Doge éclata de rire mais Maugrey s'emporta

.- C'est un fait, mademoiselle, les Moldus ne peuvent rien contre un Doloris ! 

- Et que pouvez vous contre une bombe atomique ?Il y eut un silence, puis elle rit jaune. 

- Evidemment. Vous ne savez même pas ce que c'est.

Elle les regarda tour à tour et déclara lentement :

- Ce n'est qu'en combattant ensemble que nous pourrons retrouver l'amitié avec les Moldus.

Encore une fois, ce fut Dumbledore qui brisa la tension.

- Laissons donc de côté cette partie de votre mouvement, décida-t-il, et intéressons nous à la partie sorcière, si vous le voulez bien.

Elle jeta un bref coup d'œil à Fabian et Frank pour constater qu'ils étaient déçus. Bien. Elle serra les dents et prit sur elle.

- Nous sommes pour l'instant une soixantaine sur le territoire britannique, dit elle sur son ton le plus factuel. Et une nouvelle vague devrait arriver sous peu en renfort. D'ici là fin de l'année, nous devrions atteindre la centaine, divisés en plusieurs factions. Ajoutez à cela plus de trois cents foyers sorciers dans le monde allant des simples sympathisants aux membres aguerris. 

Les expressions impressionnés de ses interlocuteurs la convainquirent de ce qu'elle avait déjà deviné : excepté son illustre chef, l'Ordre du Phoenix avait des moyens ridiculement inférieurs.

- Comme je le disais, termina-t-elle avec une certaine arrogance, nous n'avons rien d'une plaisanterie.