« Ta mère était courageuse. »
Pour la première fois de sa vie, Neville ne peut pas se contenter de cette réponse. Il l'a entendue tant de fois, et pas seulement de sa grand-mère. Il l'a entendu de son grand-oncle, de ses professeurs, des membres de l'Ordre, et plus encore de sa propre voix.
Pourtant, Neville le sait maintenant : on n'est jamais que courageux. Le courage n'est pas un trait immuable. Le courage est un élan, une urgence ; le courage est la main de Ginny ou de Luna. Et depuis qu'on lui dit qu'il est courageux - comme tes parents - Neville comprend que qu'il ne les connait pas vraiment.
« Non, grand-mère, s'il te plait, insiste-t-il doucement. Qui était-elle ? »
Augusta s'arrête enfin dans le hall de l'hôpital. Sa prestance et son équilibre au milieu du chaos des malades est peut-être la meilleure représentation du pilier qu'elle a constitué dans la vie de Neville. Elle le fixe avec son air de vieille sorcière qui le terrifiait tant, avant. Elle le jauge et doit l'estimer assez grand, parce qu'elle lui fait signe de la suivre, et voilà qu'ils se retrouvent à se fixer pensivement, assis à une table isolée dans le décors familier du réfectoire de Sainte Mangouste.
Neville patiente. Il réalise qu'il patiente depuis des années. Il s'est toujours interdit à penser à ce que ses parents étaient à cause de ce que disait sa grand-mère : pourquoi s'intéresser à leur passé de ceux que tu peux les connaitre au présent ? Neville a appris à connaitre les gestes et les regards absents de ses parents, et à vivre avec ce silence étouffant.
Augusta le brise avec sa voix puissante.
« Ta mère était courageuse comme le sont les fous. »
Neville expire brutalement dès ces premiers mots. Il le voit à son regard brillant, elle va enfin lui raconter. Et cette fois-ci, ce ne sera pas une galéjade, comme elle dit.
« Ah ça... elle avait un sacré grain, Alice. Qui abandonne une famille aimante, respectée, et tout son héritage financier ? Qui part risquer sa vie et celles de tant d'autres sur une île pluvieuse peuplée de gourdiflots pareils ? Frank disait qu'elle avait des idées. Au fond - et je le dis car je l'aimais Alice, je l'aime la petite -, mais la vérité derrière le mythe, la voici : Alice était folle et fanatique. Et ce n'était même pas son premier défaut.
« Pas le moindre sourire pour compenser sa mine franchement vilaine, austère comme tout, quand Frank me l'a présentée, je peux te dire que le coup de foudre n'avait jamais été si loin. C'est qu'il méritait une perle, mon Frank. C'était un garçon brillant, décidé, gentil et plein d'esprit, avec un air charmant qui faisait tourner les têtes de toutes les jeunes filles. Quand je m'étonnais de son célibat, ce sale gosse me répondait en plaisantant à moitié que je faisais fuir toutes ses prétendantes... Il n'avait peut-être pas tort. En tout cas, la Alice, elle, elle n'a pas fui.
***
C'est une forme de courage, ça aussi : ne pas fuir devant la terrible Augusta Londubat. Frank faisait des éloges dithyrambiques de sa mère, des louanges bien plus intimidants que toutes les grimaces tantôt moqueuse, tantôt effrayées des autres membres de l'Ordre quand on la mentionnait. Alors qu'Alice les quittait pour assister à ce fameux diner, Dorcas tapota son épaule : « Bon courage, avec la mère Londubat ».
Alice était courageuse.
Elle ne fuit pas face l'accueil suspicieux d'Augusta Londubat, ni en passant devant la rangée de portraits commentant ce qu'ils appelaient sa « souquenille ». Elle ne se laissa pas impressionner par ses talons tonitruants, et observa tranquillement le lourd lustre trembler à chacune de ses exclamations.
« Et vous vous êtes rencontrés... ? interrogea la veuve en la regardant d'un œil un peu torve.
- A Azkaban », répondit Alice sans laisser à Frank le temps d'inventer un meilleur scénario.
Augusta eut un sourire sardonique :
« Gardienne de prison ?
- Détenue », asséna très sérieusement la jeune femme.
A cet instant, et en dépit de tout ce que la mère Londubat déclarerait de désagréable sur sa future belle-fille, un respect inexplicable naquit. Quelque chose dans l'aplomb de ce bout de femme qui parla immédiatement à Augusta.
« Frank, mon fils, soupira-t-elle, ton mauvais goût pour les femmes est vraiment ton seul défaut.
- Mère ! »
Il ne vit pas les sourires imperceptibles et secrètement complices des deux femmes.
« Et vous n'êtes même pas bien jolie, ma pauvre fille, ajouta Augusta avec une forme de pitié théâtrale.
- Mère ! » s'écria de nouveau Frank.
Cette fois-ci, il regarda Alice, et remarqua avec surprise qu'elle n'était pas vexée. Elle souriait. Sa mère aussi.
« Mon fils, grogna cette dernière, il va falloir que tu apprennes à dire plus d'un mot, si tu veux être à la hauteur de cette femme. »
***
« Je ne comprends pas.
- Ah ça, c'est parce que tu es le fils de ton père... »
Neville a entendu tant de fois cette phrase, mais c'est la première fois qu'il y trouve ce ton moqueur. Il a des doux accents de confidence.
« Rares sont ceux qui savent encaisser les critiques avec le flegme de ta mère. Elle était de ces personnes admirables - et je m'inclus dedans, tu dois comprendre pourquoi - elle était de ces personnes si confiantes en leur propre valeur, qu'elles ne souraient se laisser ébranler par des choses si basse que la moquerie, la méchanceté, la flatterie et autres procès des sycophantes.
« Cela faisait d'elle une femme solide et coriace. Cela faisait aussi d'elle une folle - ne fronce pas les sourcils ainsi et réfléchis plutôt : comment appelle-t-on une personne insensible aux oukases de la société ? Du reste, mais cela devient tout à fait politique, et je suis trop vieille pour m'épuiser dans ces débats qui les animaient : Alice était une fanatique. Mais surtout, Neville : ta mère était courageuse. »