Marlène broyait la main de James depuis plusieurs minutes déjà, quand il eut à son tour le souffle coupé.
L’impression que son cœur dégringolait jusque dans son estomac.
Rogue, Severus croisa son regard une fraction de seconde, haussa les sourcils et marcha droit vers la table des Serpentard. Impossible pour James d’en détourner les yeux. Sa table avait beau se remplir d’autres Premières Années qui s’émerveillaient comme il s’était émerveillé quelques instants plus tôt, un sentiment de malaise avait beau s’installer dans sa poitrine, il était captivé, obnubilé, par la silhouette maigre assise à l’autre bout de la Grande Salle.
Severus Rogue.
Ses parents lui avaient raconté leur histoire mille fois. Fleamont, d’abord, englouti dans la foule anxieuse, attendant son tour, qui avait admiré Euphemia tout en se demandant ce que le Choixpeau allait lui dire. Puis Euphemia, entourée de Gryffondor radieux et bruyants, qui s’était interrompue dans ses applaudissements et dans ses questions sur le château, pour contempler Fleamont s’avançant sur l’estrade. Ils s’étaient souri alors qu’il prenait place sur le tabouret, s’étaient tombé dans les bras quand il avait rejoint la table et ils ne s’étaient jamais quittés.
Et les couleurs ! Ses deux parents avaient des étoiles dans les yeux en les lui décrivant : quitter le noir et blanc pour voir en couleurs avait été la plus belle magie de Poudlard. Une explosion de chaleur, de joie, d’amour ; le monde qui gagnait une nouvelle dimension. Parce que trouver son âme-sœur était une révélation dans chaque aspect de leur vie et que leurs destinées s’accomplissaient enfin.
James y avait cru toute son enfance, avait attendu la Répartition avec impatience, car tous les noms appelés en faisaient le premier lieu de manifestation de la prophétie. Ce n’était pas que Rogue avait explicitement remis ses croyances en question ; c’était son regard empli de dédain, son air impassible, comme si c’était le dernier de ses soucis, tandis que l’univers de James s’était soudainement mis à tourner autour de lui – et lui uniquement.
Alors, oui, les couleurs faisaient vibrer son cœur de chaleur, mais ce n’était pas pour elles que ses mains tremblaient.
Marlène, à côté de lui, souriait béatement. Des larmes perlaient sur ses joues, et elle ne prêtait attention à rien sinon Dorcas Meadowes assise juste en face, qui lui rendait la pareille. Il était heureux pour sa meilleure amie, mais le goût de trahison n’en était que plus fort.
Le repas dura une éternité. Marlène finit par remarquer son humeur et fit de son mieux pour détourner son attention. Quelques autres Gryffondor alentours, d’autres Sang-Purs qui avaient conscience de la prophétie, le regardaient avec sympathie, multipliaient les marques de gentillesse et d’empathie. Pour autant, le dîner achevé, James bondit hors du siège et courut presque à travers la salle – même s’il n’était pas assez stupide pour se mêler tout à fait aux Serpentard.
Son âme-sœur semblait avoir anticipé sa tactique et tentait de se fondre dans les rangs vert-et-argent. Un Septième Année parut sceptique en remarquant son manège, comprit d’un coup, et retint Rogue.
— Un Gryffondor est loin d’être idéal, entendit James, mais la prophétie a toujours ses raisons et je te prie de ne pas l’ignorer.
Rogue n’eut pas l’air fier et James bénit Merlin pour son allié imprévu – qui se dissimula à nouveau dans la foule.
— Tu devrais arrêter avec cette tête de chien perdu. Et, je te préviens, je suis déjà en train de manquer la descente vers la salle commune, je te compte pas m’éterniser avec toi.
Le Serpentard l’avait entraîné dans une alcôve près des escaliers – toute impression d’intimité due à l’étroitesse du lieu était vite douchée par l’hostilité de sa voix et de ses bras croisés.
— Tu ne crois pas que la prophétie des âme-sœurs soit l’entente la plus pure qui soit ? Que c’est un lien indéfectible, éternel, qui nous guide au bonh…
— Je crois que cette prophétie est une bêtise complète et je la hais profondément. Pour tout te dire, je ne suis pas loin de te détester tout autant, James Potter.
— Et pourtant, tu as retenu mon nom !
L’intonation victorieuse n’était pas la meilleure des idées, Morgane en soit témoin, mais James était incapable de réfléchir. Le choc et la tristesse, mêlés à présent de petites notes d’espoir – celui qui était censé être son camarade éternel lui prêtait finalement attention ! – avaient complètement arrêté son cerveau. Les mots quittaient sa bouche sans même qu’il n’ait le temps de les penser.
— Écoute-moi bien, Potter. Je suis pas là pour une âme-sœur, pour un amour ou que sais-je. Ma mère vient d’une des plus nobles lignées de Sang-Purs, qui rivaliserait sans mal avec la tienne. Elle a rencontré son âme-sœur, elle a suivi tout le protocole, lui a écrit des lettres enflammées, est tombée amoureuse, l’a épousé. Et sa famille n’aurait rien fait de moins que la maudire si elle avait choisi autrement. Mon père s’est avéré le pire ennemi qu’elle aurait jamais pu recevoir. Il est grossier, ignare, violent, et complètement apathique. Donc, toi et moi, on va jamais être ne serait-ce que copains, et plus vite tu redescendras sur Terre, moins tu seras blessé.
— Si tu crois que je vais me laisser insulter parce que papa te fait monter sur tes grands Hippogriffes… Tu ne vas pas réussir à m’ignorer longtemps, crois-moi. Et si la prophétie ne suffit pas à te remettre les idées en place, je m’en chargerai moi-même.
Un instant, il crut que Rogue allait céder à son impulsion et le frapper bel et bien… Le jeune sorcier se retint, mais tout son être exhalait horreur et colère alors qu’il se reculait. Il articula quelques derniers mots avant de disparaître dans le couloir :
— Tu parles de ceci à qui que ce soit, et tout le château saura que ton âme-sœur ne veut pas de toi. Les nouvelles vont très vite quand ça concerne la très grande famille Potter ; tu ne veux pas que votre réputation dégringole, n’est-ce pas…
James laissa échapper un petit rire, cette fois. Les Potter avaient déjà fait les gros titres pour des positions bien plus politiques. S’il croyait qu’il en avait quelque chose à faire… Lui aussi pouvait enquêter dans le château et le surveiller, s’il le fallait.