Songer, Lily, c’est :
c’est se lever fraîche et rose, une fleur, à peine éclose, c’est se lever fraîche et rose et lisse et propre et finalement une poupée, c’est être p-a-r-f-a-i-t-e et rien de moins, rien de moins que la perfection pour espérer l’absolution, mais –
Mais songer Lily c’est la contempler, la comprendre, comprendre qu’elle n’est jolie vraiment que vivante et loin de ses soucis : Lily
qui fait fleurir le monde du bout de ses doigts enchantés, qui porte sur cet univers coloré un regard, féérique
Lily, qui danse danse danse, qui a dansé les pointes dressées sans que personne ne comprenne bien pourquoi son grand jeté la projetait plus loin que toutes les autres filles réunies c’était Lily c’était magique c’était
Lily, Lily qui rit, Lily qui tourne et saute et tourne et saute et danse, Lily la prodigieuse, Lily, Lily danseuse, Lily farceuse, Lily malicieuse et Lily, Lily c’était aussi c’était surtout Lily la magicienne.
Songer Lily c’est songer ses amis, c’est songer ses nuits, Lily qui s’arrachait au lit pour se propulser avec le vent du nord sur les tuiles qui veillaient sa famille endormie et Lily, Lily qui déploie de son étui la clarinette, ses parents la lui ont offert pour son sixième anniversaire, sacrifiant deux Noël et l’anniversaire suivant parce qu’ils étaient pauvres mais l’enfant, l’enfant n’était riche que de ses mélodies et bientôt les sifflait sur les toits de son quartier.
Et sa mélodie à Lily les attire les pigeons les moineaux les oiseaux de la ville, la triste et morne Carbone-les-Mines qui sous les airs de Lily prend des allures de paradis parce que
Lily
et sa magie
sa magie vraie
elle est là entre ses bras elle est :
elle est son regard qui colore, son regard qui peint qui nuance les tableaux les plus sombres et elle est, elle est son empathie, elle est sa gentillesse, elle est Lily elle est espiègle et maligne et une très très bonne menteuse et courageuse surtout, courageuse toujours même –
Même quand Pétunia ulcérée lui dit : mais enfin réfléchis, Lily.
Et qu’enfin réfléchis Lily devient mais enfin réfléchis, toi, et enfin réfléchis, et enfin réfléchis, le monstre, sale monstre, tu es un monstre, Lily, un monstre noir tout noir sans espoir de guérir.
Pétunia ne supporte pas Lily qui est là.
Elle ne supporte pas Lily qui fredonne sa jolie petite musique.
Elle ne supporte pas Lily qui bondit et même, Lily qui sourit.
Elle ne supporte pas Lily qui réussit.
Pétunia ne supporte pas Lily qui vit.
Mais enfin réfléchis, Lily.
Songe, Lily.
Songe, à n’être que mensonges.
Songe à te cacher, songe à te faire pardonner, songe à t’excuser, songe à pleurer mais pas trop fort mais seulement le soir mais seulement dans le noir quand les parents ne peuvent pas te voir songe, songe à ne grandir, songe à ne fleurir, songe à ne t’épanouir que le plus loin, le plus loin possible de moi qui ne serais jamais si bien mais sinon, sinon –
Sinon c’est mon monde à moi, qui s’effondre.