- Der'mo*, marmonne Natasha Romanoff, alors qu'elle surprend une familière silhouette portant un carquois dont les flèches dépassent de son épaule.
C'est la quatrième fois qu'elle croise ce gars-là, sans doute un agent du Shield pour qu'il soit si bien renseigné sur ses déplacements, et disons que leurs rencontres sont plutôt brutales. Après avoir été attaquée à Berlin, Kiev, Séville et Paris, l'archer est en train de la poursuivre dans les rues de Londres. Et si Natasha est douée pour les combats rapprochés, elle l'est sans doute encore plus pour se fondre dans la foule londonienne qui se presse sur les trottoirs.
Il est tard, c'est un mois de novembre sombre et pluvieux, et Natasha couvre ses cheveux roux de sa capuche, prenant le prétexte de s'abriter de la pluie qui ne cesse de tomber depuis des heures. Et dans une foule de parapluies, elle avance rapidement, lançant de temps en temps un regard en arrière.
Et ce mudak* ne la lâche pas, allongeant la foulée. Natasha sursaute quand un groupe de gamins sort d'un magasin de disques et s'y engouffre, se réfugiant au fond de la boutique, avant de prendre entre ses mains un vinyle dont elle fait semblant d'admirer la jaquette, alors que ses yeux sont posés sur la rue, son coeur battant fort dans sa poitrine. Sa main droite se dirige vers la veste que Yelena lui a offerte. Celle qui a plein de poches. Et celle qui a sa matraque télescopique.
Les dernières rencontres avec l'archer ne lui ont pas permis de lui expliquer qu'elle n'était plus une Black Widow et qu'elle avait rêvé de la chute de la Chambre Rouge. Tout cela sera terminé quand Dreykov y restera, et elle se promet de s'en assurer.
- Bonjour, je peux vous aider ? Demande le très poli disquaire, vêtu d'un pantalon de velours et d'une veste de tweed.
Natasha se retourne vers lui, et lui lance un sourire éblouissant.
- Oh, vous auriez des toilettes s'il-vous-plaît ?
Avant qu'il ne réponde et ne lui montre les toilettes pour les employés, uniquement, Natasha a jeté un œil vers la rue, reconnu la haute silhouette de l'archer, Clint Barton, et se précipite à la suite du disquaire vers la porte derrière le rideau.
- Der'mo, répète-t-elle en constatant que même si elle a la taille plus fine qu'une guêpe, jamais elle ne passera pas la fenêtre...
La cloche du magasin sonne et Natasha ferme la porte à clé, dérisoire rempart contre le combat qui s'annonce.
- Bonjour, je peux vous aider, monsieur ?
L'homme ne répond pas, mais les protestations du disquaire indiquent à Natasha que Barton a foncé droit vers le fond du magasin où elle se trouve.
- Monsieur ! Je vous prie de ne pas importuner madame !
Natasha trouverait presque drôle la politesse anglaise légendaire, mais, armée de sa matraque électrique, elle fait contact avec la poignée métallique quand celle-ci est actionnée, elle l'espère, par l'archer, qui grogne de douleur derrière. En une micro-seconde, Natasha ouvre la porte et d'un bon coup d'épaule l'envoie en plein dans le visage de l'homme déjà étourdi par l'impulsion électrique. Elle lui donne un coup de pied en plein dans le ventre pour gagner encore quelques précieux instants qui lui permettront de peut-être fuir sans tuer personne. Natasha range rapidement sa matraque dans une des nombreuses poches de sa veste.
Puis, elle bouscule le disquaire en sortant en trombe de l'arrière du magasin, et lui crie, d'un air affolé qu'elle a parfait au fil de ses entraînements.
- C'est mon ex-mari, il... Il... Il...
Puis son visage savamment étudié se chiffonne comme si elle allait se mettre à pleurer, et Natasha traverse la boutique.
- Je... Je vous préviens, j'appelle la police ! Menace le disquaire qui se fait balayer par Clint Barton, furieux d'avoir perdu la première manche face à une femme qui pèse la moitié de son poids.
Quand Natasha entend la clochette de la porte du magasin, elle se met à courir, bousculant sur son passage les piétons pressés ou ceux qui flânent. Et là, elle peut éprouver la politesse anglaise qui écorche quelque peu l'étiquette.
La jeune femme prend juste le temps de jeter un œil en arrière quand elle s'écrase contre quelqu'un et que des bras se referment sur elle pour l'empêcher de tomber. Natasha a à peine le temps de lever les yeux vers l'homme noir, âgé d'une cinquantaine d'années, qui la tient contre lui, qu'il ébauche un sourire.
- Vous allez bien ?
- Mon... mon ex-mari me poursuit.
Kingsley Shackebolt, ministre de la magie anglais, lève alors les yeux vers les passants, repère la haute silhouette qui fend la foule, marmonne quelque chose dans la barbe qu'il a décidé de se laisser pousser à son dernier anniversaire, assumant le poivre et le sel de sa pilosité, et attrape délicatement le bras de la jeune femme.
- Venez...
Natasha se laisse entraîner par l'homme, non sans jeter un bref coup d'oeil en arrière, et de regarder Clint Barton passer à côté d'eux comme s'ils n'existaient pas. Elle n'a pas le temps de se demander ce qu'il se passe qu'elle se laisse emmener par l'homme dans un bar qu'elle n'avait pas remarqué.
- Vous tremblez, mademoiselle. Je vais vous offrir un petit remontant le temps que vous alliez mieux et que votre ex-mari se soit éloigné.
Natasha acquiesce distraitement, essayant d'assembler les pièces de ce puzzle qui ne veulent pas s'emboîter. Ils traversent un bar dégueulasse et, arrivés dans une arrière cour, l'homme lâche son bras, lui adresse un clin d'oeil avant de tapoter sur un mur avec une baguette de bois.
Quand les briques de ce mur se déplacent dans un bruit de pierres, elle lève les yeux vers l'homme, montrant une peur qu'elle ressent bien, ne faisant semblant de rien.
- Tout va bien, mademoiselle.
Et étrangement, Natasha le croit.