Ce fut comme un vertige. La vision vrille. La tête tourne. Le monde tangue.
En une fraction de seconde, son corps s'écroula sur le sol. Ce même sol qu'elle venait de fouler dix-neuf ans plus tôt.
La jeune fille caressa des deux mains la terre meuble qui bordait le Lac Noir. Elle avait l'impression que le vent froid pénétrait ses yeux grands ouverts, hagards et remplis de larmes, pour venir se faufiler vicieusement le long de son corps. Il la glaçait de l'intérieur, allant jusqu'à geler son cœur.
À moins que son organe vital ne fût givré bien plus tôt. Au moment même où ses doigts avaient quitté les siens, ─ là où ils auraient dû rester chaudement entrelacés, longtemps, plus longtemps…
Elle éclata en sanglots, agenouillée misérablement sur la rive du lac de Poudlard. Ses mains avaient à présent quitté le sol humide pour tenter d'essuyer ses joues ; elle n'osait même pas imaginer à quoi elle ressemblait, ainsi, la peau striée de larmes et de boue.
Elle attendit quelques minutes de plus afin de se calmer, inspirant et expirant profondément, ne réalisant toujours pas ce qu'elle venait d'accomplir.
« Rassurez-vous, Miss Granger vous reviendrez. Ce sera comme si vous n'étiez jamais partie… »
Hermione serra les poings et les dents en repensant à ces paroles que son esprit avait tournées en boucle les premiers mois suivants son départ. « Ce sera comme si vous n'étiez jamais partie. » Comme elle avait été idiote d'y croire ! Elle resterait à jamais marquée par cette expérience. Profondément, irrémédiablement marquée.
« HERMIONE ! » hurla une voix masculine, au loin.
A l'entente de ce timbre familier et pourtant si lointain, après tant de semaines, elle se refusa à lever la tête. Quelques instants plus tôt, ce n'était pas cette voix-là qui l'appelait…
Là où l'une était grave et rauque, l'autre se voulait d'un ténor plus calme et plus doux. Dans la première se manifestait un soulagement évident, tandis que que la seconde avait laissé entendre un profond désespoir. Si celle-ci, à chaque seconde, se faisait plus proche, l'autre s'éloignait indubitablement.
Pourtant, Hermione avait l'impression que ces deux voix s'entremêlaient. Présent contre passé. Réalité contre souvenir.
« Hermione ! » répéta la plus audible, maintenant que son propriétaire se tenait face à elle.
Hermione s'était relevée, et regardait à présent son interlocuteur. Son regard se brouilla, comme dans un rêve. L'épaisse touffe de cheveux noirs et les lunettes rondes la laissèrent interdite.
« James… ? » bredouilla-t-elle sans se faire entendre.
Non. Harry.
Le trio d'or avait toujours entendu dire que le fils de Lily et James Potter était le portrait craché de son père. À l'exception de ses yeux : il avait hérité de l'exact réplique de ceux de sa mère…
C'était ce vert pétillant de soulagement qui braquait son regard dans celui de la jeune fille.
Un sourire aussi sincère que nostalgique naquit sur les lèvres de la Gryffondor, qui se jeta dans les bras de son meilleur ami. Celui-ci lui rendit son étreinte.
« Nous étions fous d'inquiétude » murmura-t-il, soulagé de la retrouver. « Tu as disparu, et pas moyen de te retrouver… »
Hermione resserra sa prise sur Harry, coupable de l'avoir inquiété. Mais elle tiqua lorsqu'il poursuivit :
« Ron te cherche encore à l'intérieur. Il est persuadé que tu es déjà partie t'isoler pour lire une montagne de livres, ou réviser les cours de demain… Hé, Mione… Tu es sûre que ça va ? »
Hermione l'avait brusquement lâché, plantant son regard perdu dans le sien.
Harry était tout aussi troublé qu'elle, ne comprenant pas sa réaction. Il la scruta plus attentivement tandis qu'elle continuait de le fixer. Ses yeux bruns étaient rouges et bouffis, trahissant ses larmes dont les sillons étaient encore visibles sur ses joues, mêlés à la terre séchée. Les boucles de ses cheveux paraissaient encore plus ébouriffées et indomptables qu'à leur habitude, comme si elle venait de courir à travers une pluie torrentielle. Enfin, un dernier élément laissa le garçon perplexe : son amie ne portait plus les mêmes vêtements que le matin même, lorsqu'ils avaient pris le petit déjeuner dans la Grande Salle. Ses fidèles pull et jean moldus avaient été troqués contre l'uniforme de l'école.
Cela ne l'aurait pas perturbé outre mesure s'ils n'avaient pas été en week-end, et dans le cas où ledit uniforme n'avait pas été légèrement différent de celui qu'ils portaient tous habituellement…
« Depuis quand me cherchez-vous ? » se risqua à demander Hermione, certaine que la réponse ne lui plairait pas alors qu'elle la connaissait déjà.
« Depuis ce matin… » répondit simplement Harry en fronçant les sourcils, scrutant toujours son amie de haut en bas. « Mione, tu reviens d'où, comme ça ? »
Depuis ce matin… Alors, c'était vrai.
« Ce sera comme si vous n'étiez jamais partie. »
Elle était rentrée chez elle. En 1996.
Et aux yeux du monde, c'était comme si elle n'avait jamais disparu.