Ce n'est pas la première fois que Loki est mort, et sans doute pas la dernière. Enfin, mort pour les autres, mais pas réellement mort. Il se souvient avec bonheur des larmes de Thor. Les seuls vrais moments qu'il peut voler à sa famille, les seules vraies émotions, c'est quand il meurt, parce qu'ils le regrettent. Ce qui veut bien dire qu'il est aimé. Et seule Freya laissait aller librement son amour pour Loki quand il était bien vivant. Mais elle n'est plus.
Son coeur se serre un peu alors qu'il est dans la salle du trône où siège son père, et c'est avec des sentiments partagés qu'il prend la décision de lancer la plus belle des illusions à Odin. Parce qu'il n'est pas le Dieu de la Malice pour rien. Mais, d'abord, il lui faut réfléchir à un plan.
Le garde dont il a pris l'apparence se redresse, vêtu de son armure dorée, et ses yeux redevenus verts se font rêveurs.
Thor est reparti d'Asgard, pour aller enquêter et chercher les Pierres d'Infinité. Grand bien lui fasse, cela fait un obstacle en moins entre Loki et le trône d'Odin. Les trois imbéciles sont restés, Lady Sif et Heimdall le Tout Voyant aussi, et Loki se dit qu'il va devoir se la jouer fine pour lancer la plus belle des illusions à Odin, et l'écarter du trône signifie probablement l'éloigner d'Asgard.
Midgard sera idéale pour cela. Suffisamment éloignée d'Asgard pour qu'Odin ne lui nuise pas, et n'empêche pas son grand dessein de s'accomplir, mais suffisamment proche pour que Loki puisse avec aisance se débarrasser de son père. Mais il faudra aussi s'occuper de Heimdall dont les pouvoirs peuvent, parfois, percer ses illusions.
Pas l'ombre d'un début de culpabilité ne frôle son esprit. Quelque part, se débarrasser d'Odin est aussi un moyen de se venger de lui et de la manière dont il l'a traité après l'attaque de New-York. Et encore avant, quand il l'a rejeté si cruellement, après lui avoir menti pendant toutes ces années.*
Un des deux gardes se tenant à l'entrée de la salle du trône se met à étirer sa bouche d'un sourire de loup, mais personne ne le remarque.
Ses bras sont une imposture. Mais Pansy aime quand même s'y lover.
- Tu veux manger quoi ?
- Pardon ?
Damian la regarde avec un sourire moqueur. Pansy est souvent dans la lune, depuis qu'elle est revenue auprès de lui.
- Tu veux manger quoi ?
Et déjà, il pianote sur son smartphone. La jeune femme ne lui laisse pas le temps de faire la liste de tous les restaurants du coin qu'elle répond.
- Oh. Heu. Un tikka massala, ceux du Maharadjah sont tellement bons !
Damian acquiesce, ses doigts courant sur son clavier.
- Livraison dans trente minutes !
Pansy l'observe, sa haute silhouette athlétique qu'elle devine sous sa chemise blanche cintrée et négligemment ouverte, ses cheveux bruns peut-être un peu trop longs, sa mâchoire carrée, ses yeux marrons et expressifs, et la fossette sur sa joue gauche. Damian est bel homme, et il le sait. Et Pansy est une belle femme, et il le sait aussi.
Mais à part aller bien ensemble, échanger des banalités, et s'y retrouver au lit, Pansy et Damian n'ont absolument rien en commun.
- Merde, murmure-t-elle.
Elle sort avec un Moldu qui est l'exact pendant du sorcier que ses parents voudraient la voir épouser. Il est même de bonne famille ! Ses parents ont fait fortune dans la Silicone Valley et Pansy saurait éventuellement ce qu'ils font dans leur vie si elle s'y intéressait un tant soit peu, sauf que ce n'est pas le cas.
- Quoi ? Demande Damian, surpris.
Pansy secoue la tête en souriant.
- Rien. Je viens juste de me rappeler un truc que j'ai oublié, c'est tout. C'est pas grave.
Leur relation entière est une imposture.
Damian s'est endormi directement après qu'ils aient fait l'amour, et Pansy reste fixer le plafond, son esprit cogitant à toute vitesse bien malgré elle.
Elle a trente-trois ans. La majorité des filles qu'elle a connu à Poudlard sont mariées, mères de famille, travaillent pour la plupart, enfin, bref, elles ont fait quelque chose de leur vie.
Et Pansy a fait quoi ?
Elle vend toujours des glaces à Mayfair. Ses parents lui font la gueule et lui ont coupé les vivres parce qu'elle exagère. Et exagérer, sous leur plume, signifie qu'elle a encore une fois refusé de venir les visiter en Angleterre alors qu'ils voulaient lui faire rencontrer un sorcier venant d'Autriche, qui a fait toute sa scolarité, brillante, évidemment, à Durmstrang, lui ouvrant la voie royale d'une vie comme celle de sa mère.
Mon pire cauchemar.
Mariée, Pansy aurait la vie de Katherine Parkinson, et rien que l'idée lui donne envie de boire de l'alcool jusqu'à s'évanouir.
D'un geste machinal, elle caresse la nuque de Damian qui est blotti contre elle et l'écrase de son bras. Elle est bien avec lui mais sans l'être réellement. Elle ne se projette pas auprès de lui, dans ce loft qui a vue sur tout New-York tellement il est haut, et qui est tout blanc. Pansy n'est pas une idiote et sait que Damian a de l'argent, beaucoup, même. Mais ils n'ont rien à se raconter. A part flirter, passer un peu de temps ensemble, et faire l'amour, ils ne partagent absolument rien. Et ce n'est certainement pas pour Damian que Pansy révèlerait qu'elle est une sorcière.
Elle soupire, fixant le plafond sur lequel s'imprime cette étrange rencontre dans cette ville perdue du Nouveau-Mexique, puis cette journée shopping à New-York, qui a fini rien de moins qu'une attaque d'extra-terrestres qui plongeaient sur la ville, venant d'un trou dans le ciel.
Le Macusa a tenté d'expliquer ce qu'il s'était passé dans les quotidiens, histoire de rassurer la communauté sorcière, mais Pansy n'a rien compris à tout ça. Elle a même lu des journaux moldus qui parlaient des Avengers - un groupe de super-héros humain, elle a donc pu mettre un nom qu'elle a vite oublié sur le visage de l'archer, du grand troll vert terrifiant et de l'homme dans l'armure. Tony Stark. C'est le seul qu'elle a retenu. Parce qu'il est le moins discret d'entre eux, même pour les sorciers qui vivent de leur côté.
Elle ne se souvient plus trop de ce qu'il s'est passé. Parfois, la nuit, des flash de cette journée la font plonger dans des rêves terrifiants qui la laissent tremblante dans son lit, blottie contre Damian qui n'a rien vécu de tout cela, parce qu'il était en déplacement. La ville a longtemps porté les stigmates de cette attaque, surtout du côté moldu, parce que du côté sorcier, en quelques sorts, les réparations étaient effectuées et plus rien ne laissait penser que la ville avait subi une attaque de cette ampleur.
Et comme d'habitude, l'homme aux cheveux corbeau vient hanter ses nuits. Pansy serre un peu plus fort contre elle Damian, imaginant que c'est ce sorcier à la mise distinguée qui l'enserre de son bras, en réponse à son étreinte, mais non. C'est juste Damian qui marmonne dans son sommeil et se met à ronfler doucement.
En plus, il n'a même pas les yeux verts.
Heimdall a un pouvoir qui est précieux et rare, celui de voir dans chacun des neuf royaumes d'Yggdrasil, chacun des êtres vivants qui y réside. Mais Loki a un pouvoir qui lui est supérieur, celui de prendre la forme de quelqu'un d'autre, ou celui de se glisser dans les ombres et les illusions, et de passer complètement inaperçu.
Loki s'est rendu complètement invisible, et profite d'une mission des Trois Guerriers et de Lady Sif sur Midgard pour les accompagner dans le Bifrost. Et même si Sif est habituellement quelqu'un de très méfiant à son égard, la rumeur de sa mort, quelques mois plus tôt, a atténué ses soupçons. Aucun des quatre guerriers n'a l'idée que Loki les a accompagnés en Amérique. Ils doivent se rendre au Shield, de ce qu'a compris le dieu de la malice, et il n'a certes pas envie d'y aller avec eux, surtout depuis qu'il a tué Coulson avec le sceptre, quand il était encore sous son influence.
Loki troque ses vêtements asgardiens pour un complet veston noir qui met en valeur la pâleur de sa peau et le vert de ses yeux. Puis, convoquant dans sa poche un portefeuille bien rempli, cartes de visite, liasse de billets, il regarde s'éloigner les trois imbéciles et lady Sif, encore totalement invisible aux yeux de tous.
Où rangent-ils donc les vieilles personnes sur Midgard ?
Le nez en l'air, Loki se met à parcourir les rues de New-York, flânant en prenant bien soin de lire les enseignes, cherchant une concentration de cheveux gris et de cheveux blancs qui le mènera à destination.
Pour une fois, Octavius, le patron du magasin de crèmes glacées où Pansy fait semblant de travailler depuis quelques années, la libère un peu plus tôt. Sa fille se marie, le Palais des Glaces ferme à midi. Avec un sourire qui ressemble à une grimace, Pansy acquiesce quand il lui rappelle qu'elle lui doit une après-midi de travail, vu qu'il la laisse partir. Evidemment. Un cadeau n'en serait pas un s'il n'était pas repris immédiatement.
- Je travaillerai samedi, marmonne-t-elle en attrapant sa veste et son sac à main au vol.
La journée s'annonce radieuse, même si on est en plein mois de novembre, et moins Pansy a le moral, plus ses robes et ses jupes sont courtes, plus ses hauts son échancrés et ses décolletés profonds. En plus, Octavius n'a aucune raison de s'en plaindre, ainsi habillée, Pansy vend beaucoup plus de glaces.
La jeune femme quitte le quartier Mayfair après avoir échangé quelques uns de ses demi-dollars sorciers contre des dollars Non-Maj, sans un regard en arrière, bien décidée à profiter de l'après-midi libérée pour dépenser sans compter. Les boutiques Non-Maj attirent immédiatement son regard, et elle sent sa morosité se tapir au fond d'elle, au profit d'une insouciance tant attendue.
Pansy est bien décidée à se faire belle, parce qu'elle aime attirer les regards. Que les gens l'envient ou la convoitent. Elle ne les a jamais rendus indifférents, en tout cas, et c'est ce qu'elle recherche. Ses chaussures rouges à talons battent le pavé, et ses hanches se balancent au rythme de ses pas. Ses cheveux bruns caressent la naissance de son dos, et Pansy observe la rue de ses yeux verts, comme si c'était un nouveau territoire à conquérir. Damian aime bien quand elle achète de nouvelles fringues.
Pour ce qu'elle s'en fout.
Après quelques heures de shopping effréné, Pansy sort les yeux brillants d'une boutique de lingerie - les Non-Maj ont décidément des goûts bien moins sages que les sorciers en matière de dentelles et de satin, elle se rend ensuite chez un coiffeur Non-Maj et dans un cabinet d'esthétique afin que les regards que l'on pose sur elle balaient cette morosité qui la suit depuis si longtemps qu'elle pense qu'elle a toujours été là, et fait désormais partie d'elle.
Quand elle s'est fait pomponner, coiffer et parfumer, Pansy ressort dans la rue, radieuse, avec un grand sourire aux lèvres et la démarche plus légère. Sa morosité est partie, étouffée par le parfum du shampoing, de la laque, la poudre sur son visage, le rouge sur ses lèvres. C'est à coup de futilité qu'elle l'a toujours combattue.
Et soudain tout s'arrête. Le temps ralentit, Pansy reste plantée sur le trottoir, comme bien trop souvent à son goût et toujours pour rien, quand elle croit reconnaître une nouvelle fois une haute et élégante silhouette, les cheveux noirs et brillants ramenés en arrière, les épaules larges dans une veste ajustée. L'homme s'est arrêté devant une devanture qu'il observe, avant de poursuivre sa route. Pansy se remet alors en marche, les battements de son coeur lui rappelant douloureusement que c'est encore sans doute son esprit qui lui joue des tours.
La jeune femme se met alors à le suivre, comme elle l'a déjà fait à plusieurs reprises, et toujours pour rien. Elle dessine sur son visage un air confiant qu'elle est bien loin de ressentir, et de nouveau, l'homme s'arrête, semblant chercher quelque chose. Les yeux de Pansy se posent sur l'arrière de sa tête, alors qu'il regarde dans la direction opposée, puis vers elle, et là, c'est son coeur qui manque un battement, comme s'il trébuchait.
C'est lui.
Et Pansy s'arrête, ses sacs de vêtements semblent lourds au bout de ses mains, et quand son regard se pose sur elle, elle sourit, soulagée de rencontrer de nouveau cet homme.
- Bonjour, tente-t-elle.
Pansy doute, elle doute tant d'elle-même, elle craint tant qu'il ne la reconnaisse pas alors qu'il peuple ses pensées depuis plus d'un an et demi, et peut-être même depuis leur première rencontre, au Nouveau-Mexique, après sa grosse foirade alcoolisée sur la plage qui a mené à son renvoi de la Confédération Internationale des Sorciers.
Un sourire se dessine sur le visage harmonieux de l'homme.
Et Pansy libère un soupir qui pesait gros dans sa poitrine. Il la reconnaît.
- Bonjour, petite sorcière, répond-il.
Il n'est qu'élégance. Et charme. Et elle l'a habillée de ses rêves depuis si longtemps. Il est là, devant elle, bien plus consistant que Drago qui a perdu tout son attrait.
- Vous cherchez quelque chose ?
L'homme semble hésiter, avant de se composer une expression soucieuse.
- Oui. Je cherche un de ces endroits où les personnes âgées confuses sont placées. Mon... Mon père ne va plus très bien, et c'est difficile de le garder à la maison, vu qu'il se met en danger.
Pansy fond. Un homme qui se soucie de sa famille peut n'être que bon, non ? Un homme qui sauve une femme d'une mort certaine également ?
- Oh, je suis désolée pour ce que vous traversez. Venez avec moi, on va chercher ensemble...
La jeune femme est fière d'elle-même, elle paraît si sûre d'elle ! Elle pense même avoir l'air empathique, ce qu'elle n'est définitivement pas. Parce que rien n'importe hormis cette rencontre avec cet homme et à cet instant.
Alors qu'ils marchent lentement, l'un à côté de l'autre, Pansy se tourne vers lui, et lui tend la main.
- Je m'appelle Pansy Parkinson, enchantée de vous rencontrer de nouveau.
Un simple froncement de sourcils, et Loki apprécie cette attention. Ce n'est pas la première fois qu'il attire l'attention de Midgardiennes. Il n'a pas vraiment de succès chez lui, à Asgard, parce que bien folles sont les femmes qui accorderaient de l'importance au Dieu de la Malice. Mais cette Pansy ne sait pas qui il est, ou cela ne la gêne pas. C'est une première barrière qui semble s'abaisser, entre eux. Et Loki se dit que cela fait longtemps qu'il n'a pas séduit quelqu'un, ou été séduit.
Il prend la petite main dans la sienne, les sacs de courses viennent rebondir entre eux, et ils se mettent à rire comme des gamins.
- Loki Odinson, ose-t-il se présenter.
Et visiblement, elle n'a aucune idée de qui il est. C'est très bien ainsi.
Ils profitent l'un et l'autre de cet après-midi ensoleillée, discutent de tout et de rien, jusqu'à ce qu'ils rejoignent la Résidence de la 80ème, et le sourire de Loki s'élargit. C'est parfait. Luxueux, un personnel important, une belle vue, un joli parc derrière. Quand Loki lancera ce sort à Odin, le rendant confus, c'est l'endroit parfait pour qu'on s'occupe de lui. Lui prendre son trône a un prix, mais il n'abandonnerait certes pas son père dans un endroit hostile, s'il n'était pas en pleine possession de ses moyens.
Loki s'engouffre dans le bâtiment, suivi par Pansy qui ne sait pas trop si c'est sa place d'être là. Elle a l'habitude de s'imposer, mais a l'impression d'être de trop.
- Dans un endroit Non-Maj ?
- Mon père n'est pas un sorcier, précise Loki du bout des lèvres, hésitant.
- Oh, vous êtes un Né-Moldu ?
Loki fronce les sourcils, puis répond en haussant les épaules.
- Ma mère a été élevée par des sorcières qui lui ont tout appris.
- Oh, vous êtes un Sang-Mêlé alors !
Même si Pansy fréquente depuis plusieurs années, par intermittence, Damian, qui est un Non-Maj, elle est quelque part soulagée que Loki ne soit pas un Né-Moldu. Plus le scandale sera petit, plus présentable il sera aux yeux de ses parents et de leurs fréquentations à Londres.
Parce que oui, hors de question qu'elle le laisse s'échapper.
Loki produit les papiers qu'on lui demande, invente une identité à Odin, Phil Odinson est le premier nom qui lui passe par la tête, et s'il a trouvé cela drôle quand l'idée lui est venue, il se rembrunit rapidement, avant de tourner la tête vers la jeune sorcière qui le regarde comme s'il était la plus belle personne qu'elle ait rencontré. Alors, il feint un sourire et elle s'illumine.
- Je vais devoir y aller, petite sorcière.
Puis Pansy semble attristée, mais fouille dans son sac à main, en sort un carnet et un crayon, elle griffonne quelque chose avant d'arracher une feuille qu'elle lui tend, le regard lourd de sens.
- C'est mon adresse. Envoyez-moi un hibou quand vous serez disponible ! Je le serai.
Puis elle lui sourit encore, un beau sourire qui la rend encore plus belle. Pansy a l'impression d'être vraiment elle devant ce sorcier. Loki Odinson. Elle fait rouler ce nom dans son esprit, à défaut de le faire à voix haute. Pansy Odinson. Cela sonne bien.
Elle rit, lui fourre son adresse dans la main qu'elle garde un peu trop longtemps dans la sienne. Si avec tous les efforts qu'elle déploie, il ne comprend toujours pas qu'elle est intéressée, Pansy se jure de se prendre la cuite de sa vie.
Alors, un peu tremblante d'émotion, parce qu'elle sent que c'est sans aucun doute possible un moment décisif dans sa vie, Pansy s'approche de Loki, se hausse sur la pointe des pieds, et sa main toujours dans la sienne, l'embrasse sur la joue, avant de se retirer, rosissante sous son maquillage, l'oeil humide.
Elle est amoureuse. Définitivement. Et non, elle ne le laissera pas s'échapper.
- A bientôt, Loki.
- A bientôt, petite sorcière.
Dans une dernière pirouette qui fait voleter le bas de sa robe autour de ses longues jambes, Pansy s'échappe de la résidence pour personnes âgées, sans se retourner. Dans la rue, elle porte sa main à ses lèvres. Il a la peau si douce, rasé de près. Et son odeur est enivrante. Un parfum de raisin, lui semble-t-il. Sa main descend ensuite sur son pendentif en argent, une licorne à l'oeil émeraude.* La pressant entre ses doigts, elle formule un vœu, comme quand elle était petite, comme quand elle avait encore quelques illusions.
Pansy se jure de croiser de nouveau la route de Loki Odinson.
C'est si facile que cela en est presque décevant. Comme prévu, Loki est rentré par le Bifrost avec les trois imbéciles et Lady Sif, invisible même pour Heimdall, il les a suivis en écoutant attentivement leur conversation. Une histoire d'enquête sur des artefacts asgardiens trouvés en Amérique. Ils doivent chercher quel asgardien manque à l'appel et a décidé de s'exiler sur Midgard. Loki retient tout leur échange, puis se renfrogne. Il devra se débarrasser d'eux aussi, il trouvera bien quelque chose, une mission lointaine et périlleuse. Mais d'abord, son père.
Loki se rend dans la salle du trône où est son père. Avant d'y entrer, il reprend l'apparence du garde royal, après avoir vérifié que personne ne regardait dans sa direction, puis il s'installe, droit et fier, encadrant la porte de la salle du trône. Ses yeux verts fixés sur Odin, il récapitule. D'abord, s'occuper de lui, lui lancer un sort si puissant qu'il ne saura même plus son nom. Ensuite, l'amener à New-York dans cette résidence pour personnes âgées où tout le monde prendra soin de lui, et où, surtout, il ne sera pas un obstacle. Ensuite, se débarrasser de Heimdall, de Lady Sif et des trois imbéciles, et s'entourer de personnes de confiance. Et prendre l'apparence d'Odin pour ne plus jamais la quitter. Et régner, parce que c'est sa glorieuse destinée.
Loki tend l'oreille, il n'y a personne en dehors de son père, de l'autre garde et de lui. Alors, il se décide. Quelque chose dans sa posture change, et d'un négligent geste de la main vers le garde royal, il lui lance un sort et ce dernier s'écroule, inconscient. Odin lève alors les yeux vers lui, murmurant, sans trop y croire, d'une voix chargée d'émotions.
- Loki...
D'un autre geste du poignet, il ferme les portes de la salle du trône, puis s'avance à grands pas, reprenant son apparence, Loki, jusqu'au bout de ses cornes dorées.
- Oui, Père, c'est moi, confirme-t-il.
Mais il n'a pas envie de se lancer dans un grand discours, il ne veut pas qu'Odin parvienne à le faire culpabiliser, ou le diminuer comme il le fait si souvent. Ses yeux verts plongés dans l'oeil bleu, unique, de son père, Loki imagine le sort de confusion le plus puissant qu'il soit, et l'oeil bleu d'Odin perd de son acuité, pour aller dans le vague, comme s'il cherchait quelque chose, un objet, un mot, juste quelque chose. Loki prend alors l'apparence d'Odin, et modifie les vêtements de son père. Il invoque une de ces chaises roulantes qu'il a repéré à la résidence, et qui apparaît au bas des escaliers, puis tend le bras au vieux roi qui balbutie quelques syllabes qui, mises bout à bout, n'ont absolument aucun sens.
- Venez, je vais prendre soin de vous.
Le vieillard, maintenant diminué, prend le bras offert et se laisse accompagné comme un enfant jusqu'à la chaise roulante à côté de laquelle une valise pleine de vêtements midgardiens et de nécessaire de toilette est apparue. D'un autre geste de la main, Loki rend son père, la chaise roulante, la valise, invisible aux yeux de tous, même à ceux de Heimdall, puis jette un œil au garde inanimé vers lequel il dessine dans l'air une arabesque.
- Dormir alors que vous devez me protéger ! C'est inqualifiable !
La voix qui sort de sa bouche est étrange, mais ferme et autoritaire, pas assez grave à son oreille pour être celle de son père. Le garde papillonne des yeux, se relève, extrêmement gêné, et reprend sa posture droite, fixant de ses yeux la salle du trône.
Loki se tient alors devant les doubles portes qu'il a fermé, d'un geste de la main, il étouffe les quelques bruits que son père pourrait produire.
- Eh bien alors, qu'attendez-vous ? Ces portes ne vont pas s'ouvrir toutes seules !
Il jubile quand le garde se précipite pour lui ouvrir, et d'un geste qu'il pourrait qualifier d'amical, le faux Odin manipule le fauteuil invisible pour tous sauf pour lui, et il avance tout seul. Loki et Odin traversent le palais, puis la grande place, les rues. La foule s'incline et s'efface pour laisser passer son roi, et Loki jubile de cette impression que ça y est, il y est, il atteint sa destinée glorieuse, celle qu'il a méritée plus que tout autre. Ils rejoignent alors Himinbjorg où l'immense Heimdall se tient là, les yeux fixés sur l'immensité des neuf royaumes. Un pouvoir ô combien précieux mais ô combien dangereux pour Loki. Il faudra qu'il s'en débarrasse rapidement.
- Heimdall ! J'aimerai me rendre à New-York, sur Midgard, immédiatement !
Un soupçon semble traverser l'espace d'un instant le visage ordinairement morne de Heimdall, mais d'un petit mouvement de ses doigts, le faux Odin vient le balayer.
- Bien sûr, mon roi.
Loki se tient bien droit, royal et impérieux, et attend d'un air nonchalant qu'Heimdall utilise Hofund, sa grande épée, de ses deux mains, et le pont arc-en-ciel apparaît. Loki soupire de soulagement. C'est presque trop facile, et généralement, cela finit par lui retomber dessus. Peut-être parvient-il enfin à anticiper les défauts des plans qu'il concocte ?
- Bien. Je t'appellerai quand j'aurai besoin de toi. Inutile de garder tes yeux sur moi, rien ne peut m'arriver à Midgard. Peux-tu par contre surveiller les trois guerriers et Lady Sif ? Ils reviennent de New-York, sans m'en avoir parlé. Mais j'ai laissé traîner mes oreilles, et j'aimerai apprendre ce qu'ils ont eu à faire avec le Shield.
- Bien, mon roi.
Loki laisse un peu trop longtemps ses yeux faussement bleus dans ceux, oranges, de Heimdall. De quoi instiller un petit doute sur les amis de son imbécile de frère. Puis il emprunte le pont avec son père.
Tout est définitivement trop facile.
Après avoir changé de robe, et essayé cette magnifique paire d'escarpins eux aussi rouges et au laçage complexe, Pansy n'en peut plus de tout ce qui l'anime depuis qu'elle a rencontré, et appris le nom, de Loki Odinson. Il faut qu'elle en parle à quelqu'un, mais à qui ? Pas à Damian, qui ne rentrera que tard ce soir, après son travail. Pas à ses collègues de boulot de Mayfair avec qui les discussions restent superficielles. Ni à sa famille parce qu'elle veut garder cela pour elle. Elle enverrait bien une lettre à Drago mais comme elle est sortie de leur vie depuis des années, et qu'elle jalouse toujours autant cette gourde d'Astoria - non, mais sérieusement, qu'est-ce que Drago lui trouve ? - non, ce n'est définitivement pas une bonne idée.
Faisant la moue, elle se décide à envoyer un hibou à Millicent Bulstrode, qui séjourne à New-York depuis quelques semaines parce qu'elle aurait rencontré un sorcier ici. Rien que l'idée de Millicent avec un homme fait frémir de dégoût Pansy. Millicent a toujours été bien trop laide pour qu'elle l'imagine en couple. Ses futurs enfants seront hideux. Elle a vraiment intérêt à se trouver un beau mec pour compenser son apparence repoussante.
Hello Millie !
J'ai appris que tu étais à New-York ces jours-ci, on se retrouve au salon de thé Colonies d'ici une heure ? On a tellement de choses à se dire !
Kiss,
Pansy.
La jeune sorcière se met à une des fenêtres du loft de Damian et attrape son petit sifflet pour appeler sa chouette qui niche au sommet du bâtiment. Elle la nourrit, essuie quelques coups de becs furieux, Biscotte a toujours eu mauvais caractère, et lui attache à sa bourse la lettre destinée à Millicent. Pansy sait qu'elle ne fera que parler de sa rencontre avec Loki, et c'est ce dont elle a besoin. Que quelqu'un l'écoute et l'approuve. Elle essaiera quand même de laisser à Millie le temps d'en placer une ou deux sur ce sorcier américain qui doit être ennuyeux comme la pluie. Quand on est aussi laide que Millie, on est moins exigent, non ? L'histoire de Pansy et Loki est bien plus intéressante que celle de Millie, cela, elle en est sûre !
Parce que Loki est plus qu'un sorcier important. Il doit faire partie des familles les plus en vues de New-York, bien que le nom d'Odinson ne lui dise rien.
Pansy vérifie une dernière fois sa toilette dans le miroir, et satisfaite, elle transplane directement dans le petit parc un peu sur les hauteurs du quartier Mayfair. Elle va s'installer en terrasse au salon de thé Colonies où, au lieu de prendre une boisson chaude, Pansy se commande une bière brune parce que, bien qu'on soit au mois de novembre, il fait une douceur étonnante, et la jeune femme a besoin de s'hydrater, vu qu'elle compte bien parler pendant des heures. Puis elle attend l'arrivée de la silhouette massive de Millicent avec impatience.
Elle a du retard. Pansy consulte pour la énième fois l'énorme horloge de la place centrale de Mayfair, puis termine sa deuxième bière. Ce n'est pas dans les habitudes de Millicent d'être en retard. Elle aurait peut-être dû s'assurer de sa réponse avant de venir ici. Mais bon, maintenant qu'elle est là, Pansy règle ses deux bières et ses grignotines au serveur avant de flâner dans les rues de Mayfair. Puis ses pas la dirigent vers les rues commerçantes Non-Maj, en dehors du quartier sorcier, dont elle a toujours affectionné bien plus la foule pressante, les vitrines lumineuses, les boutiques par centaines. Ses pas la ramènent inconsciemment vers la 80ème avenue où quelques heures plus tôt, elle a accompagné Loki qui cherchait un établissement prêt à accueillir son père gâteux. Ses yeux cherchent dans la foule la haute silhouette aux larges épaules, les cheveux noirs coiffés en arrière, comme elle l'a fait ces derniers mois. Mais quand elle le voit, son coeur manque un battement.
Deux fois dans la journée ? C'est un signe !
Pansy se dirige vers lui, avant de ralentir son pas, quand elle remarque le vieil homme sénile assis dans le fauteuil roulant, la valise à la main de Loki*, sa tête basse et sa voix qui murmure. Elle accélère de nouveau, puis se tourne avec un grand sourire vers le jeune homme qu'elle salue d'un geste de la main.
- Comme on se retrouve ! Vous avez fait vite vos démarches, c'est bien, vous devez être soulagé !
Loki semble surpris de la croiser une nouvelle fois, et se redresse, lui présentant son père. Phil Odinson. Pansy se penche alors vers lui, et parlant très fort et détachant soigneusement les syllabes, lui dit :
- Bon-jour mon-sieur O-din-son ! Je m'ap-pel-le Pan-sy ! Je suis une a-mie de vo-tre fils !
Un petit moment de gêne flotte avant que le vieil homme ne marmonne quelque chose qui n'a aucun sens et que Pansy ne se redresse et ne sourit à Loki, d'un air à la fois désolé et compatissant. Et là, la jeune femme ne sait plus quoi dire, perdue dans les yeux verts de l'homme qu'elle a tant rêvé. Et ça, ce n'est pas une imposture. Elle le sait du fond du coeur, tout comme elle le sait que le reste de sa vie n'est que de la poudre jetée aux yeux de sa famille, et de ses amis de Poudlard. Parce que sa vie ne devrait pas être si vide et surtout si vide de sens. Pas avec la famille qu'elle a, son pouvoir, ses influences, pas avec ses amis passés qui ont tous réussi à faire quelque chose après la guerre. Et à force de stagner, Pansy a dérivé jusqu'en Amérique, où elle a continué à faire semblant.
Son sourire se flétrit, et elle baisse la tête et fixe ses escarpins aux laçages si complexes qu'il lui a fallu lancer pas moins de trois sorts différents pour en venir à bout sans qu'ils ne se défassent. Elle lève ses yeux humides, et vides aussi, vers Loki, avant de murmurer.
- Je vais vous laisser...
Mais d'un simple geste avorté, il la retient.
- Je vais vous envoyer un... hibou. J'ai toujours votre adresse. C'est juste que le moment n'est pas idéal. Je dois m'occuper de mon père.
Le visage de Pansy s'allonge alors qu'elle se maudit intérieurement d'être aussi stupide et aussi égocentrique.
- Oh, oui, oui... Bien sûr... Je vais vous laisser.
La main de Loki saisit la sienne fermement, alors qu'il cherche son regard.
- Je vais vous envoyer un hibou, répète-t-il d'une voix plus assurée. Je le ferai d'ici quelques jours, quand tout sera réglé.
Pansy n'évite pas son regard cette fois-ci, et elle y lit une promesse qui la rend toute chose.
- Au revoir, alors. A bientôt, Loki.
- A bientôt Pansy.
Quand la jeune sorcière repart vers Manhattan où Damian a son loft, ses pas sont bien plus légers.
Au bout de deux semaines d'attente sans avoir la moindre nouvelle de Loki, ou de Millicent, d'ailleurs, qui n'a pas répondu à son invitation à boire un coup au salon de thé Colonies, Pansy n'en peut plus. Le vide en elle se creuse encore plus, jusqu'à lui donner l'impression qu'il n'y a plus rien en elle, qu'elle n'est qu'une enveloppe, une apparence. Rien ne la fait tenir debout.
Cela lui rappelle douloureusement sa sixième et surtout septième année à Poudlard, où, malgré leur rupture, Pansy continuait à soutenir Drago comme elle le pouvait, sachant qu'il ne lui disait plus rien de ce qu'il vivait, de ce que l'on attendait de lui, et que même s'ils étaient de famille sang-pure, et répartis à Serpentard, ils avaient tous peur, au fond. Pansy ne connaît probablement pas le quart de ce que Drago a été contraint de faire. Son imagination, et oserait-elle dire ses angoisses, ne peuvent que tutoyer le pire. Ce pire qui l'a tellement effrayée qu'elle a dénoncé Harry Potter qui était présent parmi eux cette fameuse nuit. Cette très logique décision hâtive, prise dans le feu de l'action, le feu de l'effroi le plus total, le feu de l'instinct de préservation le plus basique, parce que oui, aujourd'hui encore, elle le referait. Dénoncer quelqu'un qu'elle connaît à peine et qu'elle n'apprécie même pas, pour sauver sa peau.
Et Loki ne lui répond pas.
Et cela lui rappelle tout ce qu'elle a pu donner à Drago qui ne lui a jamais rien rendu. Tout ce qu'elle a pu attendre de lui, jusqu'à ce qu'elle apprenne son mariage avec Astoria Greengrass qui n'était même pas là quand Drago avait besoin de tout le soutien qu'on pouvait lui apporter. Parce qu'Astoria avait l'excuse de sa santé fragile pour avoir passé quelques années non à Poudlard, mais à étudier chez elle. Et oui, Pansy a attendu que ce couple se brise, mais le mariage a tenu, et Scorpius est arrivé.
Et Loki ne lui répond pas.
Quand Pansy ne va pas très bien, ce qu'elle ne reconnaîtra jamais, d'ailleurs, elle cherche à combler le vide. Donc, elle se perd dans les bras de son amant du moment, ou de Damian qui est celui qui dure le plus, elle fait les boutiques, la fête. Mais là, elle se sent tellement vide qu'elle n'a envie de rien. Alors, comme une automate, elle se prépare quand même, enfile une tunique d'un vert sombre, un jean slim qui souligne la finesse de ses jambes, puis met ses escarpins rouges. Elle se maquille rapidement parce qu'elle n'a pas envie de perdre de temps en frivolité dont elle a pourtant si terriblement besoin, et file dans les rues de New-York, et s'installe à l'immense terrasse d'un café à la mode, où elle commence par commander deux shots de tequila qu'elle boit cul sec avant de siroter une bouteille de bière. Puis, un peu grisée par l'alcool, Pansy règle ses deux boissons, titube sur le trottoir, perchée en équilibre instable sur ses escarpins qui sont si jolis, et elle disparaît d'un coup, emportant avec elle les cris d'effroi des passants.
Pansy se demande si elle hallucine ou non, elle est dans une sorte de tunnel arc-en-ciel et tout défile à une vitesse infinie, elle voit l'espace, les étoiles, le vide autour d'elle, qui fait écho à celui qui est en elle. Et elle n'a pas le temps d'y réfléchir plus qu'elle atterrit durement dans une pièce dont le plafond doré est bombé. Pansy s'écroule sur ses genoux, plaque ses deux mains sur le sol, luttant contre le vertige et l'envie de vomir qui lui tordent le ventre. A-t-elle touche un portoloin sans s'en rendre compte ?
Elle entend quelques pas se rapprocher d'elle, voit deux pieds couverts de chaussures de cuir colorées, qui ressemblent à des chaussons, à la réflexion.
- Petite sorcière, levez-vous.
Une main apparaît dans son champ visuel et quand Pansy lève la tête, elle ne comprend pas qui est l'homme aux cheveux blancs trop longs et à la barbe soignée, portant un cache-oeil doré, et fixant son œil bleu, perçant, sur elle. En un papillonnement de paupières, elle a l'impression que c'est Loki qui est face à elle. Elle sourit bêtement, attrape la main, mais encore saisie de vertige et déséquilibrée, elle bascule et tombe sur les fesses comme ces enfants qui apprennent à marcher mais n'arrivent pas à se hisser sur leurs jambes fragiles.
- J'ai trop picolé, marmonne-t-elle pour personne en particulier.
Pansy ferme les yeux, inspirant et expirant doucement, luttant contre l'envie de vomir la tequila et la bière. Quand elle rouvre les yeux, sa main toujours dans la main de l'homme qui ne ressemble plus à Loki, elle se rend compte que la salle dorée où elle est, est pleine de gens et qu'un silence religieux s'est abattu sur eux. Le vieil homme la hisse sur ses pieds avec une force qu'elle ne soupçonnait pas, mais le corps de Pansy en a décidé autrement, elle ne tient définitivement pas debout, et se retrouve plaquée contre lui. Son regard parcourt la foule dont tous les yeux sont fixés sur elle, et c'est trop pour elle. Elle referme les yeux.
- Asgardiens, je vous présente Pansy !
Le bras de l'homme est toujours autour de sa taille et sa main dans la sienne. Pansy tourne la tête vers le vieillard, rouvre les yeux, et d'un coup elle le reconnaît. Sa bouche s'ouvre en un O muet, et le vieil homme avance ses lèvres en un chut discret, lui intimant de ne surtout rien dire. De toute façon, Pansy n'a aucune idée de ce qu'elle peut bien penser, alors mettre tout ce bordel en mots...
Elle sursaute quand la foule se met à applaudir à tout rompre. Bêtement, elle les regarde de nouveau, puis remarque l'immense homme noir portant une armure dorée et une longue épée qu'il tient de ses deux mains. Ses yeux orange fixant le pont arc-en-ciel lui donnent une drôle d'impression.
- Nous allons nous retirer, Pansy n'a pas l'air d'avoir bien supporté le voyage dans le Bifrost. Sa présentation officielle devant la cour se fera demain, clame le vieil homme, dont Pansy sent la voix de basse résonner jusque dans sa propre cage thoracique.
Les applaudissements se poursuivent, puis se clairsèment, et Pansy se met à avancer, à moitié portée par le vieil homme. Elle ne comprend rien du tout.
- Je vous expliquerai tout d'ici quelques minutes, soyez patiente, petite sorcière, murmure-t-il.
Pansy tourne de nouveau la tête vers le vieil homme qui paraît beaucoup moins gâteux que lorsqu'elle l'a rencontré, et en l'espace d'un instant, son œil unique passe du bleu perçant au vert. Et il cligne de l'oeil.
- Patience, petite sorcière.
Ses émotions se mélangent à l'intérieur d'elle, alors qu'elle reprend petit à petit contrôle de ses sens, et qu'elle se détache de son étreinte, et réussit à marcher par elle-même. Pansy se rend compte, en quittant la salle au dôme doré, escortée par une foule de gens vêtus bizarrement, qu'elle n'est définitivement plus à New-York, mais rien de tout cela n'a de sens. Elle attend, pour une fois obéissante, taisant les questions qui tournent dans sa tête. Parce qu'en elle fleurit l'espoir que c'est Loki qui, non content de ne lui avoir donné aucune nouvelle depuis quinze jours, vient, par un moyen inconnu, de la ramener auprès de lui.
Ils traversent un immense pont arc-en-ciel, et en-dessous, ce qui donne le vertige à Pansy qui se blottit contre le vieillard, il y a un vide, et de l'eau qui cascade dans le rien. Au-dessus, la voûte céleste, immense et noire, et percée de timides étoiles qui palpitent.
Mais elle est où, par Merlin ?
Quand ils franchissent une espèce d'arche de pierre, ils entrent dans une sorte de ville qui est un mélange d'architecte antique et médiévale et dont les rues sont pavées. La foule s'éparpille alors, ce qui laisse Pansy circonspecte. Ils grimpent ensuite les marches spectaculaires d'un immense palais, et Pansy n'a pas assez de ses yeux pour tout observer autour d'elle, les dorures, les fresques, les colonnes de marbre. Elle a à la fois l'impression d'avoir effectué un voyage dans le temps, mais aussi d'être bien loin de chez elle, ce qui n'est pas pour lui déplaire.
- Pansy et moi allons nous retirer pour discuter un peu et lui permettre de se remettre de ses émotions, annonce le vieil homme d'une voix étrange, qui est celle de Loki sans tout à fait l'être.
La jeune femme, étrangement, n'a pas peur. Mais pas du tout. Elle n'a aucune idée de ce qui est en train de se passer ou de ce qui risque de lui arriver, mais elle n'a pas de raison de craindre quoi que ce soit. Au contraire, elle est plutôt curieuse, même si la colère couve alors qu'elle reprend ses esprits.
Ils traversent des salles immenses et richement décorées. Par les grandes ouvertures dépourvues de vitrage, Pansy découvre des jardins luxuriants, et une douce odeur de fruits d'été qui lui rappelle celle, sucrée, de Loki. Comme un parfum de raisin, que partage ce vieillard qui semble parfois être Loki.
Ils montent encore un escalier, accèdent à un étage dont le couloir s'évase en une salle impressionnante par sa hauteur et sa largeur. Puis le vieil homme lui attrape le coude délicatement, et la fait franchir une double porte qui se referme sur eux, sur un simple geste du vieil homme.
Ils sont seuls.
Ils sont seuls et dans une chambre à coucher. De l'or sur les murs, jusqu'aux couvertures du lit. Après avoir baladé ses yeux partout autour d'elle, Pansy se tourne vers l'homme qui écarte les bras, avec un grand sourire.
- Bienvenue à Asgard, petite sorcière.
- Je m'appelle Pansy. Vous êtes ? Demande-t-elle sèchement, parce qu'elle n'est plus très sûre de l'identité de celui qui lui fait face.
Le vieil homme habillé d'une sorte de toge dorée, grandit, s'affine, et en un clin d'oeil c'est Loki qui se tient devant elle, vêtu de cuir noir et vert, un large sourire sur les lèvres dans lequel Pansy lit un soupçon d'incertitude.
- Je suis Loki. Je suis le roi d'Asgard, j'ai pris la place de mon père dont je prends l'apparence, ce qui sera notre petit secret, Pansy.
La jeune femme l'observe d'un air sceptique, essayant de comprendre ce qu'il vient de dire.
- Mais... Pourquoi je suis là ?
- Je n'ai pas pris le temps de vous envoyer un hibou, mais je souhaitais vous rencontrer de nouveau. Et vous aussi, n'est-ce pas ?
Pansy fait la moue. Evidemment, qu'elle voulait le voir encore ! Elle n'attend que cela depuis des mois !
- Mon père, Odin, que vous avez croisé à New-York, n'est plus en suffisamment bonne santé pour régner sur Asgard. J'ai pris sa place. Et j'ai besoin d'une reine à mes côtés.
Tous les contes, les chansons tartes de Célestina Moldubec, les livres avec des sorcières dans de grandes robes étreignant des sorciers riches et puissants lui reviennent à l'esprit, et quelque chose bouillonne dans le ventre de Pansy.
Non. Elle a sans doute mal compris.
- Je vais être reine ?
Loki paraît un peu soulagé, il ouvre la bouche, cherche ses mots pour essayer de la convaincre de rester, lui dire qu'ils vont avoir le temps d'apprendre à se connaître, et que si elle ne veut pas de lui, ce n'est pas grave, elle retournera chez elle. Il prend une inspiration mais le cri suraigu de Pansy qui saute sur place en tapant dans ses mains comme une enfant à qui on a offert le plus beau cadeau qui soit, lui déchire les tympans.
Loki grimace de douleur, abaisse ses mains, cherchant toujours ses mots qu'elle ne lui a pas laissé la possibilité de trouver. Il reprend sa respiration.
Pansy a fini de crier. L'oeil humide, les joues rouges d'excitation, en deux pas, elle franchit l'espace qui est entre eux, lui saute dans les bras et noue les siens autour de son cou, cherchant ses lèvres des siennes, les faisant presque tomber en arrière tout deux sous son impulsion.
Bon, se dit Loki. On dirait qu'au final elle accueille plutôt bien la nouvelle.