« Vous êtes virée... »
Les paroles de mon supérieur m'atteignent comme un uppercut en pleine face. Je savais que ce jour viendrait. Que tôt ou tard, mes actes me rattraperaient. Ça me pendait au nez. Cela ne rend pas l'expérience plus agréable pour autant.
« Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il est inconcevable de garder une personne comme vous dans nos services. En particulier au sein de la brigade de police magique »
Ogden soupire.
« Croyez bien que ça m'ennuie, Mademoiselle Day. Vous êtes un excellent élément, une des meilleures tireuses d'élite de la brigade. Peut-être la meilleure que j'ai eu dans mes effectifs depuis belle lurette. Vos problèmes nuisent cependant gravement à la réputation du Ministère...
- Mais pas à la qualité de mon travail »
Ma réplique est amère.
« Vous comprenez que si je vous garde, je risque ma tête ? »
Cette fois, je ne réponds pas. Bien sûr que je comprends. Une sorcière d'élite du Ministère, une des plus habiles à la baguette, sous l'emprise de psychotropes, ça fait tâche dans le tableau. Pourtant, mon état de service est irréprochable : aucune bavure, aucun faux pas, une précision chirurgicale, un mental d'acier... Ma carrière aurait pu être une des plus brillantes de notre époque... enfin, si on fait abstraction de ce petit problème d'addiction.
En vérité, c'est à cause de ce boulot que je me suis mise à consommer. Le stress, les horaires totalement éclatés, la pression hiérarchique pour être toujours au sommet de sa forme... Certains carburent au café, moi je marche au khat. Cette petite plante que certains modifient magiquement pour en exacerber les effets.
J'ai toujours pris garde de rester discrète, de passer par des intermédiaires pour me faire livrer. Je n'ai jamais été aussi précise que lorsque j'étais perchée. Le khat aiguise mes sens, me rend plus alerte, plus rapide. C'est après que ça se corse... quand je suis en pleine redescente... Ça ne m'était jamais arrivée au boulot jusqu'à présent. Mais il faut un début à tout, pas vrai ? En l'occurrence, c'est le début de la fin pour moi à la brigade.
« Le Ministre est furieux. Nous aurions pu coffrer Bill Weasley et sa bande si vous ne vous étiez pas retrouvée dans cet état... lamentable, éructe Ogden.
- Encore une chance que nous ne l'ayons pas eu. Ça m'a épargné d'avoir à remplir la foutue paperasse qui va avec ! »
Je ne sais pas ce qu'il m'a pris de lui répondre ainsi. Je crois qu'une digue vient de se briser en moi. Je me rends compte que ce boulot ne me convient plus depuis longtemps. Avais-je vraiment cherché à soulager un stress en tombant dans la spirale de l'addiction ? Ou est-ce que je cherchais seulement à compenser un mal être vis à vis d'un travail qui me semblait à présent vide de sens ? Passer des semaines, des mois, sur la piste de criminels. Mettre sa vie en danger face à certains mages noirs. Et passer ensuite autant d'heures ensevelie sous des formulaires administratifs qui ne riment à rien. Des parchemins qui finiront au mieux au fond d'une armoire, au pire au fond d'une poubelle.
« Je vous demande pardon ? s'étrangle Ogden, soudain cramoisi derrière ses lunettes épaisses.
- Vous m'avez très bien entendu.
- Je... je vais...
- Vous allez quoi ? Rédiger un rapport sur l'insubordination d'une employée licenciée ? »
Mon ancien supérieur semble sur le point de s'étouffer d'indignation. Mais je ne peux plus retenir les mots qui sortent de ma bouche. Je suis pourtant clean, pas l'ombre des effets d'une plante psychotrope dans mon organisme. J'ai l'esprit parfaitement clair.
« Vous devriez songer à employer un archiviste plutôt que de me remplacer. Avec tous les papiers qu'on nous demande de remplir dès qu'un hibou pète, il vous sera sans doute plus utile qu'un nouveau tireur d'élite !
- De... DEHORS ! »
Je n'ai pas besoin qu'on me le dise deux fois. Je tourne les talons et et sors du bureau d'Ogden en claquant la porte derrière moi. Le temps de récupérer les quelques affaires qui traînent dans le minuscule box dans lequel j'ai officié pendant près de dix années, je quitte les quartiers de la brigade de police magique sous les regards éberlués de mes anciens collègues. Sans un mot, sans un au-revoir.
Une fois sortie du Ministère, j'erre dans les rues de Londres pendant plusieurs heures, brassant des idées noires. Marcher me fait du bien, me permet de prendre petit à petit du recul avec ce qu'il vient de se passer. En passant devant la vitrine d'une boutique, je jette un coup d'œil à mon reflet. Il me renvoie une expression désabusée qui se propage de ma bouche jusqu'à mes yeux noirs. Les derniers rayons du soleil de la journée tombent sur mes cheveux courts, illuminant leur vive teinte rousse.
A présent que j'ai essoré ma rancœur et ma colère, il ne me reste plus que de l'amertume. Je me demande si je n'ai pas été trop loin. Si je n'ai pas agi de manière inconsidérée. Qu'est-ce que je vais faire à présent que je n'ai plus de travail ? Nul doute que le Ministère fera tout pour noircir mon dossier et m'empêcher de trouver un nouvel employeur. Surtout après ma sortie tonitruante avec Bob Ogden.
Je réalise soudain qu'on est mardi soir. J'ai l'habitude d'aller boire un verre ce jour-là, en prévision de mon jour de repos le lendemain. Sauf qu'à présent, je suis de repos jusqu'à nouvel ordre. Je hausse les épaules. Après tout, pourquoi changer ses habitudes ? Demain est un autre jour. Je verrai bien ce qu'il me réserve.
Je m'appelle Elisa Day. On me surnomme « The Wild Rose ». Ancienne tireuse d'élite à la brigade de police magique. Accro au khat. Et voici comment, en seulement quelques heures, je suis passée de fer de lance de la justice magique à petite frappe de la pègre sorcière londonienne.