Après notre discussion, mon mystérieux employeur m'emmène dans une station de métro. Je le suis sans rien dire, un peu surprise de son choix de mode de transport. On fait plusieurs changements puis on prend la ligne Picadilly jusqu'à Green Park. Je profite du voyage pour le détailler un peu plus. Il sort à nouveau sa flasque de sous sa veste et en boit une gorgée. Si j'ai un penchant pour le khat, lui semble avoir un faible pour le casse-pattes (1). Il capte mon regard et m'adresse un sourire énigmatique. C'est étrange, mais je trouve qu'il n'a pas du tout le physique qui colle avec le reste du bonhomme. Comme s'il portait un costume trop grand pour lui. Son regard reflète quelque chose de plus vieux, de plus mature. Et à y bien réfléchir, il ne me parait pas si étranger que ça...
« Vous me dévorez des yeux » constate-t-il.
Je réponds du tac au tac :
« J'essaie encore d'évaluer si je peux vous faire confiance...»
Loin de s'en offusquer, il sourit à nouveau.
« Je ne connais même pas votre nom... »
Je fais cette remarque à la fois pour moi-même et pour lui.
« Patience, tout vient à point à... » commence-t-il à répondre, avant que la voix du métro n'annonce que nous arrivons à Green Park. Nous sortons de la rame et je le suis le long du quai. Je suis une fois de plus surprise de constater qu'il ne se dirige pas vers la sortie. Je ne dis rien et me contente de le suivre alors qu'il s'engage dans un couloir peu emprunté. Arrivé devant une porte de service, il jette un regard par dessus son épaule et déverrouille l'accès avec sa baguette. Je le suis de l'autre côté. Nous nous retrouvons plongés dans l'obscurité. Je sors ma baguette à mon tour pour nous donner un peu de lumière. Mon étrange compagnon, lui, avance dans le noir comme s'il y voyait en plein jour.
Nous longeons de longs couloirs sans jamais croiser personne. Je finis par comprendre que nous avons atteint une zone désaffectée du métro londonien. L'homme murmure par moments des mots que je ne saisis pas mais je me doute qu'il doit lever temporairement certains sortilèges de protection que lui et son gang ont mis en place pour se prémunir des intrusions de Moldus ou d'autres sorciers indésirables.
Au bout d'un moment, nous passons une lourde porte et je ne peux m'empêcher de siffler d'étonnement en me retrouvant de l'autre côté. Tout ici semble chaleureux et lumineux, offrant ainsi un contraste saisissant avec les couloirs sombres et crasseux que nous venons de quitter. Pour un peu, on se croirait dans un chic appartement de Notting Hill. Nous passons dans un couloir bordé de portes ouvertes. A ma grande surprise, j'aperçois des sanitaires : toilettes, lavabos, même une baignoire... Ils sont tous dans un très bon état. Pour un peu, j'en aurais oublié que nous sommes dans le métro de Londres.
« On est dans l'ancienne station de Down Street, m'informe mon employeur en accrochant mon regard surpris. Elle a été utilisée comme bunker par Churchill lors de la dernière guerre mondiale moldue. On a repris les installations en place et on les a... améliorés... »
Je comprends par là qu'ils ont usé de sortilèges à la fois pour aménager les lieux et les protéger. Je laisse échapper un « C'est ingénieux...» admiratif. Au moins, ils n'ont pas eu besoin de tout créer de zéro.
Nous arrivons enfin dans une longue pièce qui devait être le quai. J'aperçois alors les premiers êtres humains depuis que nous avons plongé dans les entrailles de la terre. Un homme à la chevelure rousse s'avance vers nous, les bras chargés de matériel. Je remarque ce qui ressemble à plusieurs engins explosifs dans le lot.
« Salut Fred, dit mon accompagnateur.
- Oh, salut Bill ! répond le jeune homme. J'ai failli ne pas te reconnaître. Je crois que je ne me ferai jamais à ta nouvelle apparence... »
Bill... Bill... Mon esprit se met à fonctionner à toute vitesse. L'homme m'a parlé des Soul Eaters, leur gang ennemi. Mais a-t-il évoqué le nom de sa bande ?
« Où est Luna ? demande Bill.
- Dans son atelier, répond Fred. Elle est en train d'examiner le dernier arrivage d'objets magiques pour voir ce qu'elle peut en tirer...
- Parfait... »
Luna... Lovegood ? Connue sous le nom de « Rêverie » ? Cette nana experte dans les expériences sur des objets magiques ? L'associée de l'un des patrons de la pègre les plus recherchés par le Ministère ? Celui-là même que j'ai failli attraper il y a quelques jours, si je n'avais pas été si stone pour le manquer ?
Mon esprit est en train d'assembler les différentes pièces du puzzle. Le sourire que m'adresse Bill est un rien goguenard. Il a compris que j'ai saisi.
« Vous êtes Bill Weasley », dis-je soudain.
Ce n'est pas une question mais une affirmation.
Bill Weasley, surnommé Scarface. Le patron du gang des Reapers, spécialisé dans le recel et la vente d'objets détournés magiquement. Le surnom de Bill Weasley lui vient des cicatrices qui défigurent son visage depuis qu'il s'est fait attaquer par un loup-garou pendant la dernière guerre des gangs qui a opposé toute la pègre londonienne à la bande des Death Eaters. Je comprends alors que sa flasque ne contenait sans doute pas du Whisky Pur Feu, mais plus vraisemblablement du Polynectar. Pratique pour camoufler un physique plus que remarquable, surtout quand votre tête orne la plupart des murs du Département de la Justice Magique.
« En chair et en os, me confirme le concerné.
- C'est qui, elle ? demande Fred en me jaugeant de la tête aux pieds.
- Notre nouvelle tireuse d'élite » répond Bill.
Je soutiens le regard de Fred en me présentant :
« Elisa Day »
- The Wild Rose ? s'étonne-t-il. Putain Bill, tu vas taper chez les argousins du Ministère, maintenant ? (2)
- Elle n'est plus employée au Ministère, répond Bill calmement. Elisa, je vous présente mon frère Fred.
- Les autres m'appellent Bomber Man, déclare Fred avec un grand sourire.
- Fred est notre... artificier... »
Je n'avais pas besoin qu'on me le précise, le sobriquet de Fred parle pour lui.
« Viens, je vais te présenter le reste de l'équipe, déclare Bill en passant subitement au tutoiement.
- Bienvenue chez les Reapers ! » me lance Fred avec un clin d'œil alors que je m'éloigne à la suite de Bill.
Déjà deux Weasley dans le gang, je me demande combien d'autres encore se cachent dans les recoins de la station désaffectée. Alors que nous nous dirigeons vers un deuxième homme à la chevelure rousse, je lui demande :
« Tu travailles avec tous tes frères et sœurs ?
- Pas tous, non », répond-il d'un air sombre.
Je me souviens alors que c'est Bill qui a tué Charlie Weasley, « Le Dragon », à la tête des Soul Eaters, il y a quelques mois de ça. Une guerre fratricide, quoi de plus chic... Suite à quoi, il a renforcé son emprise sur le cartel des drogues magiques. Et épousé Fleur, la veuve de son défunt frère. Charmante famille...
Le nouveau Weasley n'a pas du tout la même allure que Fred. Il me dévisage d'un air hautain tandis que Bill me présente.
« Voici Percy, mon frère donc, mais surtout notre cerveau. C'est lui qui s'occupe de tous les petits détails administratifs de notre entreprise : faux papiers, vol de plans... Il a quelques contacts utiles au Ministère. C'est grâce à lui que nous avons su que tu allais être virée, avant même que tu ne le saches toi-même.
- Et c'est quoi ton surnom ? »
Percy me jette un regard froid et dédaigneux.
« Juste Percy... » me répond-il avec aigreur.
Je comprends que je ne viens pas de me faire un ami en la personne de Percy. Bill semble réprimer un sourire et m'entraîne un peu plus loin.
« Il est très professionnel et efficace, mais pas très porté sur la fantaisie... » me glisse-t-il alors que Percy replonge le nez dans sa paperasse.
Nous nous approchons d'une petite zone cosy, composée de plusieurs fauteuils confortables et d'une table basse. Une femme sublime s'y prélasse, une tasse de thé fumant à la main. Je n'ai pas besoin que Bill me la présente pour comprendre qu'il s'agit de la Plante Carnivore, Fleur Delacour. Elle se lève pour accueillir son cher et tendre d'un baiser fougueux.
« Tu sais que je n'aime pas cette moustache, Bill... minaude-t-elle en balançant ses longs cheveux blonds derrière son épaule.
- C'est temporaire, je retrouverai mon apparence dans peu de temps... »
Une autre personne est assise dans un fauteuil. Un petit homme aux cheveux châtains ternes et au nez pointu. Il ne fait pas mine de bouger pour venir à ma rencontre et se contente de m'observer de ses yeux noirs. Une fois n'est pas coutume, Bill me présente aux autres.
« Enchantée, ravie qu'une autre femme se joigne à nous, me dit Fleur avec un grand sourire. Je me sentirai moins seule...
- Il y a aussi Luna », fait remarquer le balafré dont les cicatrices commencent déjà à apparaître à mesure que le Polynectar cesse de faire effet.
Fleur lui répond par une moue dédaigneuse, me faisant comprendre qu'entre les deux femmes, ce n'est pas l'amour fou.
« Elle est plus intéressée par ses expérimentations que par les autres...
- Et c'est tout ce que je lui demande, réplique Bill d'un ton qui ne souffre pas de réplique. Peter, ramène donc tes fesses par ici »
Le petit homme se lève d'un bond de son fauteuil et me tend la main. Je réprime une grimace quand je la serre. Sa peau est moite.
« Peter est notre espion, il est capable de se glisser partout », m'indique Bill.
Le concerné m'adresse un sourire craintif. J'ai l'impression qu'à cet instant, il aimerait pouvoir mettre à contribution ses capacités pour disparaître dans les murs.
« Il ne te restera plus qu'à rencontrer Luna, mais je préfère attendre qu'elle ait terminé. Quand elle est concentrée sur ses expériences, elle ne nous calcule même pas... »
Je suis le regard que Bill lance vers une petite guérite un peu plus loin. Des éclairs lumineux apparaissent par instants par la vitre opaque de la porte.
Fleur m'invite à me poser dans le canapé et j'accepte l'offre avec plaisir. Je suis rincée. Je vérifie l'heure à ma montre et je suis presque surprise de constater qu'il est presque 2h du matin. Pourtant, je n'ai aucunement envie d'aller me coucher. J'ai encore trop de questions qui me tournent dans la tête. Je viens de m'engager dans un jeu dangereux entre deux gangs de la mafia, il reste moins de dix sept heures avant notre casse et je ne connais toujours pas les détails du plan. Ni les forces en face.
« On va attendre que Luna soit parmi nous pour t'expliquer le plan », déclare Bill qui semble avoir lu dans mes pensées.
Je constate que ses cheveux reprennent peu à peu leur couleur rousse. Ses traits se font également plus carrés, et il semble avoir déjà repris quelques centimètres au niveau des épaules et des jambes.
« Tu m'as parlé tout à l'heure qu'Abelforth avait fait appel au reste des Marauders pour les aider. Qui d'autre se trouve dans le camp adverse ? »
Cette fois, ce n'est pas Bill qui répond mais Fleur. Elle a abandonné ses airs de midinette et son regard est beaucoup plus grave et sérieux alors qu'elle s'adresse à moi.
« Ils appuient leurs activités de fabrication de substances sur deux têtes : Neville « Poison » Londubat, un botaniste chevronné, et Severus Rogue alias « Le Nez ».
- Le Nez ?
- Officiellement, c'est parce qu'il a un flair hors pair pour détecter les moindres ingrédients dans une potion ou une drogue. Officieusement, c'est à cause de son... Bref, il n'aime pas qu'on l'appelle comme ça, me répond Fleur avec un haussement d'épaules.
- Londubat et Rogue, c'est noté. Qui d'autre ?
- Le reste de la fratrie Weasley, me répond Fred qui nous a rejoint avec Percy. Mon frère jumeau George, dit « Tricheur ». Il est presque aussi doué que moi pour confectionner des artifices, mais il est plus spécialisé dans les illusions.
- C'est à dire ?
- Changement de forme, brouilleur de sens, hologramme... ce genre de choses »
J'acquiesce et attend qu'ils terminent de dresser le tableau des Soul Eaters.
« La dernière, c'est Ginny dite la Furie, reprend Percy en s'asseyant d'un air guindé. Redoutable jeteuse de sortilèges »
Je fronce les sourcils.
« Comment ça se fait que vous vous soyez éclatés de cette manière ? La fratrie Weasley qui se déchire...
- Nous n'avions pas les mêmes... aspirations... » répond laconiquement Bill.
Il a totalement repris son apparence à présent et le regard qu'il pose sur moi me glace. Je me rappelle alors que c'est un fratricide, un homme qui n'a pas hésité à abattre son propre frère pour gagner un peu plus de pouvoir.
« Il n'y a que Ron qui n'a pas pris parti, ajoute Percy. Il tient trop à son poste au Ministère et à son amitié avec le responsable du bureau des Aurors pour se salir dans ce genre d'activités... Mais il nous est parfois utile malgré lui. Il parle un peu trop quand il a bu... »
La porte de la guérite s'ouvre alors et une jeune femme à la longue chevelure blonde en sort. Ses yeux sont cachés derrière une grosse paire de lunettes de protection, semblables à des lunettes d'aviateur. Ses joues sont noircies par de la suie. Elle tient à la main ce qui semble être un réveil matin.
« C'est fait, déclare-t-elle d'une voix douce avec un petit sourire rêveur.
- Ah, Luna, tu es parfaite ! » s'enthousiasme Bill en se levant pour la rejoindre.
Elle retire ses lunettes pour laisser apparaître deux grands yeux bleus. Ils se posent immédiatement sur moi au moment où Bill lui prend le réveil des mains.
« Comment ça fonctionne ?
- Très simplement, répond Luna de sa petite voix. Il n'y a qu'à le poser quelque part dans la laverie avant que les Soul Eaters n'arrivent. J'ai déjà réglé l'heure. 18h32 précisément. Le mécanisme se déclenchera automatiquement à ce moment-là. Le rayon d'action est assez court, deux à trois mètres. Vu l'exiguïté des lieux, ça sera amplement suffisant.
- Qu'est-ce que c'est sensé faire ? »
Les deux yeux bleus se posent à nouveau sur moi. Le sourire de Luna est énigmatique. Elle semble amusée par ma question.
« Suspendre le temps, pardi ! me répond-elle.
- Seuls ceux qui seront directement exposés au rayon d'action du réveil seront figés dans le temps pendant 1 minute, complète Bill qui a l'air aussi excité qu'un boisseau de puces. Ça nous laisse le temps de rentrer dans la laverie et de les neutraliser avant de récupérer le magot »
Les yeux du balafré brillent d'enthousiasme. Je vois Fleur afficher une moue de colère quand il prend Luna dans ses bras pour la féliciter et la remercier encore une fois. Pas étonnant qu'elle ne la porte pas dans son cœur. Bill semble accorder plus d'attention à son associée qu'à sa compagne.
« Et pourquoi 18h32 ?
- Les Soul Eaters arriveront sur place à 18h30 tapantes, m'explique Percy. Cela laisse le temps pour que leur Gardien du Secret lève les sortilèges de protection.
- Vous savez qui est le Gardien ?
- Abelforth, bien entendu, répond Fred. Qui d'autre cela peut-il être ?
- Donc si je résume, dis-je pour reprendre le fil. On attend qu'ils baissent leurs protections, l'objet enchanté par Rêverie les fige dans le temps, on les neutralise et on repart avec le butin... Ce n'est pas un peu simple ?
- C'est justement pour ça qu'ils ne s'y attendront pas, me réplique Bill.
- Pourquoi je suis là alors ? Vous ne seriez pas venus me chercher si c'était aussi facile. Même avec les Marauders dans la partie...
- Parce qu'on n'est pas à l'abri qu'ils aient prévu de quoi neutraliser les objets magiques. Ils savent que c'est notre spécialité...
- Alors c'est quoi le plan B ? »
Bill hausse les épaules.
« On fonce dans le tas... »
Il éclate de rire devant mon air interloqué.
« Dans les faits, c'est un peu plus subtil que ça, me rassure Percy en se fendant enfin d'un maigre sourire.
- J'ai prévu quelques explosifs pour faire diversion, m'indique Fred. Pendant que Bill, toi et moi on les tient en respect, Peter se faufilera à l'intérieur avec Luna pour transférer tout ce qu'ils peuvent dans un sac sur lequel nous avons jeté un sort d'Extension. Percy sera en charge d'assurer leurs arrières.
- Et Fleur ?
- Je serai du côté des Soul Eaters quand vous arriverez, répond-t-elle sans l'ombre d'une hésitation. C'est moi qui les ai infiltrés depuis plusieurs mois, il faut que je sois avec eux pour qu'ils ne se doutent de rien. Ils sont persuadés que j'espionne les Reapers dans le but de venger la mort de Charlie... C'est comme ça que j'ai réussi à les convaincre que les Reapers comptaient dévaliser leur coffre et qu'ils devraient transférer leur magot ailleurs »
Elle se pend au bras de Bill et lui adresse un regard brûlant.
« Et tu as été splendide... » répond le balafré en la dévorant des yeux.
Je ressens d'ici le pouvoir de la vélane qui subjugue tous les hommes autour de la table. Seules Luna et moi-même restons stoïques.
Fleur m'adresse un sourire resplendissant.
« Tu vois, tout est parfaitement calculé, susurre-t-elle. Il ne manquait plus que la meilleure baguette d'Angleterre... »
Leur plan semble en effet bien pensé, ils ont envisagé toutes les possibilités. Je souris en retour à Fleur, mais dans mon for intérieur, je ne peux pas m'empêcher d'avoir l'impression que tout ne va pas se dérouler comme ils l'ont prévu. Je ne peux pas me départir de la sensation que quelqu'un ici ne joue pas franc jeu.
Khat ou pas khat, j'ai toujours eu le flair pour ce genre de traquenard. Et il ne m'a jamais fait défaut...