Les boucles blondes devenues blanches.
Il y passe ses doigts comme dans de l’écume, dérive jusqu’à son front. Il y caresse de délicats sillons. Retraçant un visage appris par cœur, il passe par-dessus la peau douce et fanée des yeux, s’arrête brièvement sur les plis de rire à leurs coins.
Une respiration s’accorde à la sienne.
Le sourire étire puis transperce ses lèvres, les détruit. Il rouvre les yeux sur le tableau-mensonge.
Il ne voit que ce qui reste : deux fantômes.
Les boucles sont d’un blond violent, la peau est lisse et brillante.
Son amant est d’une jeunesse bruyante. Le temps n’a pas touché à ce visage d’une beauté déchirante.
Les mains de Gellert passent négligemment sur ses épaules, ses propres épaules d’une pâleur propre.
Ils ont 17 ans à jamais.
Lorsque leurs lèvres s’unissent, se dévorent, Albus détourne les yeux.
Bien sûr, il pleure.
Pour eux, il sera toujours une fontaine, l’éternelle pleureuse d’un deuil inachevé.
Il ne cesse de réécrire, de reconstruire, il y projette toute sa magie, toute son énergie,
Il ne cesse de peindre.
Le fantasme : un matin, deux vieillards sous les draps, une chaleur tiède. Le rire de Gellert, adouci par les années. Son propre amour, intouché.
Ils auraient traversé une vie, leurs mains s’appartiendraient encore.
Nous ne sommes jamais devenus vieux, chuchote-t-il, et
La toile se déforme.
La main douce qui tient la sienne dans le creux de sa paume devient une serre.
Tu mens, siffle-t-il, tu mens.
Nous sommes devenus vieux.
Les yeux bleus fatigués d’Albus Dumbledore croisent son reflet. Il touche d’une main sa peau constellée de tâches, froissée de rides.
Ses poumons troués se rétrécissent lorsque son autre main passe dans ses cheveux argentés. Son roux a été avalé dans le passé.
Il a vieilli seul.
L’épaule blanche s’est dérobée à ses caresses. Il n’y a jamais redessiné les tracés pour s’émerveiller de ses rides.
Des marques du temps.
Il referme les yeux, cherche un visage sous ses cils.
Les yeux pers de Gellert le fixent sans pitié.
Notre amour n’a jamais vieilli, chuchote-t-il.
Tu mens, dit-il, tu mens.
Je suis devenu vieux aussi.
Les traits de l’éphèbe se recomposent.
Des mains décharnées se tendent dans le noir. Des yeux qu’on croirait aveugles. Une carnation cadavérique. Et des rides, partout, des rides, sur des pommettes tranchant une peau plus fine que du papier.
Sur les épaules courbées, des cheveux blancs.
Gellert Grindelwald a vieilli derrière les barreaux.
Albus détourne les yeux.
Bien sûr, il pleure.
Pour eux, il sera toujours une fontaine, l’éternelle pleureuse d’un deuil inachevé.
Il lève une main tremblante, qui s’arrête aux barreaux.
Nous sommes devenus vieux, séparés, sans amour, chuchote-t-il.
La main décharnée saisit la sienne, et elle est aussi lisse que celle de son amant de 17 ans.
La main enfonce des ongles coupants dans la sienne.
Albus en soupirerait de plaisir.
Tu mens, rit-t-il, tu mens.
Le rire bascule dans le sanglot.
Deux vieillards se font face.
Albus rouvre les yeux.
Le peintre cède.
Le sel tâche son chevalet.
Nous sommes devenus vieux, chuchote-t-il. Et je t’aime encore.