Après le coming-out d’Hugo, pendant l’été de ses quinze ans, plusieurs choses s’étaient passées à sa rentrée à Poudlard. D’abord, tout le monde savait. Il n’était pas vraiment sûr de comment, mais ils savaient, tous. Ils parlaient et ils regardaient. Ça n’aurait pas du autant le déranger, supposait-il, parce qu’il ne voulait pas faire comme s’il en avait honte, comme s’il voulait se cacher. Il n’en avait pas honte. Mais il ne pensait pas non plus que le mot se serait répandu aussi vite, et que sa sortie du placard le mènerait à une place remplie de monde, à une foule qui savait.
Ensuite, son meilleur ami, Edward, avait soudainement beaucoup d’autres amis à côté de qui s’assoir, à qui parler. Ses autres amis lui souriaient avec une distance polie, quelque chose d’embarrassé tremblant aux commissures. Bien sûr, certains faisaient aussi comme si rien n’avait changé. Comme s’il n’y avait pas les regards, et les paroles. Leur air joyeux était un masque étudié, une farce figée. Parce que quelque chose avait changé, et que l’attitude soit la fuite ou les faux semblants, Hugo se retrouvait coincé des deux côtés du néant.
Les regards et les paroles avaient aussi atteint sa sœur. Rose, déjà très occupée, entourée de son groupe d’amis ou noyée dans les livres, était invisible à l’horizon. Lorsque Hugo l’atteignit enfin, après un cours de Métamorphose, et lui demanda si elle l’évitait, elle le gratifia d’un regard sévère :
- Ne sois pas ridicule !
Après cela, devant ses yeux embués, Rose redevenue l’aînée redressa le dos et lui fit promettre, les lèvres sérieuses, de lui dire si « quelque chose n’allait pas ».
Rose n’avait pas vraiment changé. Son soutien était dur et inconditionnel, il l’avait toujours été. Mais Rose ne comprenait pas. Et Rose ne comprendrait jamais.
Ce n’était pas Rose qui avait dû ressasser pendant des années les mots à dire, les ravaler dans sa bouche jusqu’à s’effrayer de s’étouffer avec. Ce n’était pas Rose qui était descendue de sa chambre le ventre noué, la gorge sèche, les mains tremblantes. Ce n’était pas Rose qui avait craint, pendant un moment très réel, que la honte, le chagrin ou la colère s’affiche sur les visages de ses parents, ne bâtissent un mur entre eux. Ce n’était pas Rose qui avait dû dire les mots à voix haute, se remettant au jugement, se présentant nu et prêt à la blessure. Ce n’était pas Rose qui devait à présent garder ces mots lâchés dans l’air, ces mots impossibles à reprendre, ces mots gravés partout sur sa peau, devenus une part de son identité impossible à ignorer.
Rose n’avait jamais eu à porter les mots « Je suis hétérosexuelle » comme une brûlure, parce que personne ne l’attendait. Parce que Rose était comme tout le monde, parce que Rose était normale, parce que son chemin ne s’était pas écarté, parce que Rose l’était, juste.
Et qu’elle ne comprendrait jamais autre chose.
Bien sûr, Rose avait affirmé que rien ne changerait jamais, les sourcils froncés, comme si c’était une évidence, comme si sa peur à lui, aigre, persistante, était impossible à croire.
Et maintenant, les regards, les paroles. Et ses amis qui se découvraient soudain sur d’autres orbites. Qui ne savaient plus comment agir.
- Désolé, mais c’est difficile, tu sais ! De nous mettre face à ça, de nous obliger à réagir ! Pourquoi tu devais nous le coller sous les yeux ?
Edward avait dit ces mots précipitamment, mais le ton était ferme.
Hugo avait écouté les bruits du couloir jusqu’à ce qu’il n’entende plus rien.
Et puis, au cœur de l’ouragan, là où seul subsiste le souhait du silence,
Il y avait eu Dominique.
Dominique avait marché vers lui à grandes enjambées, son amitié intacte et farouche. Dominique, plus âgée que lui, qui avait toujours été piquante et rieuse, parce qu’elle aimait associer les contraires. Dominique, qui avait toujours laissé Hugo se cacher sous les tables et ne pas en informer le reste des cousins, ceux qui voulaient à tout prix le faire jouer avec eux.
Dominique, un prénom que Hugo avait vu voler de bouches en bouches tant de fois, alors qu’il était sous les tables et que les adultes parlaient. Ils ne faisaient pas honneur à ce prénom, en le disant avec ces voix désolées. Dominique, la catastrophe, Dominique, la féroce, Dominique, la rebelle, Dominique, l’insensée.
Hugo n’avait jamais compris, jusqu’au moment où il avait vu Dominique embrasser cette fille, un été au Terrier.
Dominique qui ne savait probablement pas qu’elle avait été sa force.
Hugo savait bien que Rose détestait leur cousine. Elle l’avait toujours considéré comme une rivale, elle qui s’était proclamée la protectrice d’Hugo, sa meilleure amie.
Mais Dominique comprenait.
Et maintenant plus que jamais, quand elle s’assoit à côté de lui et lui ébouriffe les cheveux. Son uniforme est de travers, taché, et ses cheveux mal coiffés. Pourtant, comme toujours, Dominique ne pourrait pas être plus magnifique, parce que Dominique est un feu d’enfer.
Elle avance en brûlant, et elle ne s’est jamais cachée, et elle est fière. Tout le monde sait que Dominique est lesbienne.
Les adultes le savaient déjà, quand Hugo écoutait sous les tables.
Poudlard l’a vite appris, et Dominique aussi a eu les regards et les paroles.
Mais Dominique embrasse toujours ses conquêtes dans les couloirs, à la vue de tous, comme un énorme doigt d’honneur.
- Comment tu as fait ? Comment tu fais ? demande-t-il, et il déteste avoir laissé échapper cette question, avoir l’air si pathétique.
Comme s’il était incapable de gérer sa propre décision de dire qui il est.
Dominique sourit, mais ses yeux flamboient, comme si elle était furieuse.
- Tu m’en veux ? demande-t-il, encore, la voix serrée. Je fais pas ça aussi bien que toi. Je suis pas…
- Arrête, le coupe-t-elle. Ce n’est pas facile, et ça n’a jamais été facile. Merlin sait que ça ne l’a jamais été. Il n’y a pas de bonnes façons de faire, on a tous trébuché sur ce chemin qu’ils nous obligent à marcher, comme pour nous faire payer notre courage. Tu es ce que tu es, tu l’as dit, ils n’aiment pas savoir. Eh, ce sont des Trolls. Des putains de Trolls, Hugo.
- Mais, dit-il, incapable de s’en empêcher, toi tu le portes tellement bien. Tu es toujours si fière.
- Pourquoi te comparer à moi ? On fait ce qu’on peut. On le fait tout. Et je suis pas sûre d’avoir fait les choses de la meilleure des façons. J’ai juste décidé, comme toi, que je pouvais avoir la tête haute. Mais tu sais pas le nombre de Maléfices cuisants que j’ai dû envoyer ! Et le nombre de fois où j’ai regretté d’être sortie du placard. Et pourtant je haïssais ce placard.
- Mes amis, balbutie-t-il, et il s’arrête. Je pensais… je ne sais pas ce que je pensais, mais je ne pensais pas ça.
Dominique soupire.
- Tu ne maitrises pas assez bien le Maléfice cuisant ?
Ça lui arrache un rire bref et un peu rauque.
Dominique renverse la tête en arrière, et soupire, comme si elle était fatiguée.
Peut-être que c’est le prix, la fatigue.
Mais c’était déjà fatiguant, avant.
- T’es pas là pour les autres, mon Hugo. T’es là pour toi. Et moi aussi. Moi aussi, je suis là pour toi.
Ils s’enlacent, et Hugo sait que cette amitié-là est un rempart, et une oasis.
Rose sera toujours sa meilleure amie.
Mais Dominique comprend.
C’est plus qu’un trésor.