La potion dégage une odeur infecte.
Pourtant, Célestina l’applique sagement, en recouvre ses boucles.
Les boucles disparaissent.
Elle a 5 ans.
Mais elle chante, déjà, mais c’est déjà la poupée de maman, mais c’est déjà une diva.
La potion dégage une odeur infecte.
Les mains tirent sur ses cheveux, inclinant brutalement sa tête en arrière, et étalent le liquide froid, sans se soucier qu’il coule dans sa nuque.
Après, les mains la font tourner de tous les côtés, la pressent dans une robe trop serrée, poudrent son visage jusqu’à ce qu’elle ne se reconnaisse pas dans le miroir.
Mais ses parents s’extasient, et la foule d’assistants aussi, ils disent :
Oh, tu es tellement jolie !
Elle a 8 ans. Elle chante tous les soirs dans des concours différents, même s’il faut sillonner le pays toute la journée pour ça, même si son ventre se retourne de trop de Portoloins.
Mais les foules crient, les jurys s’attendrissent, et les flashs l’illuminent.
C’est une diva.
Elle regarde les autres enfants par les fenêtres. Elle a passé des jours infinis à les envier, à vouloir se rouler dans la poussière, mais maintenant, elle ne proteste plus.
Elle s’entraine, encore et encore.
Elle chante, elle danse.
Elle regarde les autres enfants par la fenêtre, et son petit cœur se gonfle d’orgueil, parce qu’ils sont tous pareils, et qu’elle est spéciale.
Tu es une diva, Célestina.
Ses parents sont mécontents quand elle reçoit la lettre de Poudlard, le jour de ses 11 ans.
Son père semble vouloir dire quelque chose. Après tout, c’était lui le sorcier.
Mais bientôt, ils sifflent tous deux en chœur que :
- Ton vrai don, c’est ta voix, Célestina.
C’est vrai.
Sa voix est un cadeau.
Il faut s’y sacrifier.
Il faut le mériter.
Comme elle est déjà une enfant star, on lui obtient des passe-droits. Elle ne fera que 6 mois de l’année là-bas.
Et on lui créera un club de théâtre, de danse, et une chorale.
Célestina brillera.
Le château est immense et rempli de rires, et presque personne ne la regarde.
Les regards lui manquent. La foule lui manque.
C’est ce qu’on lui a appris.
Elle préfère la musique à la magie.
Le rouge et l’or lui vont mal au teint.
Elle s’étend, elle pousse sa voix, elle défile dans des robes scintillantes, jusqu’à ce que tous les regards s’accrochent.
Tu es une diva, Célestina.
Les divas vivent dans la lumière.
Elle chante, elle chante, elle chante.
La potion a une odeur infecte. Elle repousse les mains qui l’appliquent.
- Je vais le faire moi-même, lâche-t-elle, et d’un geste tourbillonnant du poignet, les assistants sont congédiés, même ceux qui s’affairent autour de chaque ornement de son visage, de ses pieds, de ses bras, de ses mains.
Elle en a enfin le droit.
Elle a 21 ans, et c’est une diva.
Les divas jouent de leur pouvoir pour croire qu’elles se possèdent.
Ses parents ne disent rien. Ils sourient aux journalistes. Son manager crie dans la pièce à côté. Il n’est pas satisfait de la dernière chanson qu’elle a écrite.
Célestina s’en fiche. Il n’y a que la foule. C’est pour eux qu’elle monte sur la scène, c’est pour eux qu’elle brille.
Sa voix est un don à partager.
Sa mère le lui a dit, les larmes aux yeux, des trémolos dans la voix.
- Tu es une star, ma chérie. Celle que je n’ai jamais pu être.
Mme Moldubec aime à pleurer sur son destin raté. Une actrice qui aurait dû éblouir, mais qui n’a jamais commencé à briller.
Après, les années s’enchainent et se ressemblent.
Les journées : l’aube, préparer la poupée, le midi, répéter jusqu’au soir, et composer, le soir, performer.
Sa voix coule dans toutes les radios. On se pâme devant elle.
Mais la potion continue de couler dans sa nuque, et ses cheveux lissés brillent un peu trop fort sous les bougies.
Des heures et des heures durant elle a répété les mêmes chorégraphies, les mêmes chansons, elle s’est laissée disparaitre sous les sortilèges et les potions de beauté.
A chaque année qui passe, la poupée devient plus difficile à garder en bon état.
Elle prend du poids, qu’on regarde d’un air critique. Ses joues s’affaissent un peu. Ses cils tombent. Ses cheveux ont l’air terne.
Pourtant, partout, Célestina rayonne, et chante l’amour.
Ses trois maris se ressemblaient. Ils sont chacun partis avec leur part du divorce, leur part de son trésor.
On lui applique le même rouge sur les pommettes que quand elle avait quatre ans.
Elle en a quarante-quatre.
Sa voix a gardé toute sa pureté, sinon elle aurait déjà été jetée.
Les journaux aiment la grignoter, ses fans aussi.
C’est dommage, elle était si belle.
Oh, mais elle a encore l’aura, bien sûr.
A chaque émission où on l’invite pour qu’elle chante ses tubes, on lui montre inlassablement des images de ses 20 ans.
Les sourires : Est-ce que vous êtes nostalgique, Célestina ? Qu’est-ce que c’est de vieillir ? Comment essayez-vous de garder la forme ? Vous connectez-vous à cette magnifique jeune femme que vous avez été ?
Sa beauté est au passé.
Ses trois maris ont son âge, mais on ne leur pose des questions que sur leurs nouvelles femmes.
Mon cher, vous avez l’air délicieux ! Le poivre et sel est tellement à la mode. Oh, et quelle maturité ! Ces sourcils blancs vous donnent une autorité fa-bu-leuse.
Tu es une star, Célestina, une diva. Apparemment, les stars ne vieillissent pas.
Apparemment, les stars vieillissent mal.
C’est dommage, disent les foules. On l’aimait tellement. Elle a tellement changé. Elle était si magnifique !
Ils disent tellement
On t’aime.
Célestina sait que ce n’est pas vrai. Ils disent : On t’aime, et elle se regarde dans le miroir, et elle voit un autre visage.
Elle voit celui du passé.
Ils aiment un fantôme projeté sur sa carcasse.
Elle se tait en regardant les assistants essayer de camoufler les nouveaux sillons de son visage.
La potion infecte goutte doucement sur ses épaules.
Elle se regarde, elle se trouve laide.
Tu es une star, Célestina, une diva.
Ta voix est un don.
Le reste a fané.
La potion a une odeur infecte. Célestina la jette par la fenêtre.
Ses boucles se déploient timidement, comme des fleurs après la pluie.
Célestina a 58 ans.
Elle garde sa porte fermée, même quand les assistants tambourinent.
Elle touche sa peau, caresse.
Elle se trouve belle.
Elle veut se découvrir vieillir.
Les journaux n’auront pas ses dernières années.
Les foules ne la feront pas vivre comme une morte.
Maintenant, Célestina chante à sa fenêtre, regarde la mer.
Les enfants jouent dans les rues du village.
Une main tapote son épaule. Elle se retourne pour trouver un sourire brillant.
Il se trouve que toutes ces années, il y a bien quelqu’un qui l’aimait elle, sa voix et tout le reste. Il y a bien quelqu’un qui la trouve toujours belle.
- Bonjour, diva, susurre sa fiancée, et
Elles seront deux à vieillir.
Célestina ne s’est jamais trouvée plus rayonnante que dans les yeux pleins d’amour de Sheila.
Leurs sillons partagent et dessinent la carte de leur amour.