Il n’y a pas d’aube pour ceux qui ne croient qu’à la nuit.
C’était donc une belle ironie pour Kingsley Shacklebolt de se tenir devant la porte de l’Aube magique, la résidence dans laquelle il allait très probablement passer toutes ses années d’étude.
Kingsley ne croyait qu’à la nuit. Les Shacklebolt étaient une famille de gardiens. Pendant des siècles et des siècles, leur sang Pur leur avait offert cette position détachée du monde : ils veillaient. Kingsley avait été formé à la nuit, formé dans le noir. Il devait porter la lumière.
On lui avait toujours dit : la vie d’un Shacklebolt consistait à attendre le retour de la nuit, et la nuit revenait toujours.
Kingsley avait été éduqué à la ressentir par chaque pore de sa peau. Et alors même que, grand adolescent dégingandé à peine sorti de Poudlard, il se tenait devant cette porte en songeant au poste au Ministère qu’il espérait, Kingsley sentait la nuit dans son dos, ses mains effleurant ses épaules.
Ce tête à tête durerait toute sa vie. Seul avec le noir.
La porte s’était ouverte.
Et le monde avait frémi un peu sur son orbite, parce que Kingsley n’était pas seul dans une chambre comme il l’avait anticipé.
- Hey, le salua distraitement la jeune femme qui se tenait dans l’entrebâillement de la porte. Tu es le colocataire ?
Il remarqua d’abord le désordre de ses vêtements, la peinture qui les recouvrait, avant de voir ses cheveux coupés inégalement, et son sourire de travers.
C’était la deuxième ironie, que Kingsley soit associé en binôme avec ce chaos ambulant, lui qui n’était que muscles rigides et volonté de fer.
Bien évidemment la troisième ironie fut que Kingsley, indifférent à tout sauf à sa nuit, l’aima immédiatement.
C’est peut être parce que Aurora Sinistra était la nuit.
Aurora voulait devenir le professeur Sinistra.
Elle étudiait les mouvements des étoiles et des planètes : son côté de l’appartement était recouvert de ses dessins, études, peintures, en plus des instruments métalliques étrangers pointés vers le ciel.
Aurora étudiait l’astronomie.
Dans les premiers mois de cohabitation, ce fut la chose la plus étrange que ce dédoublement de l’appartement, entre la paperasse administrative de Kingsley, ses dossiers d’étude pour le Ministère, et le chaos étoilé d’Aurora. Un nombre incalculable de fois, Kingsley aux horaires réglés comme une horloge se retrouva attiré vers le sol où Aurora était allongée, télescope fixé vers les hauteurs.
C’était une autre nuit, une nuit plus étrangère que familière. La nuit de Kingsley était sombre et terrible, une Némésis bien connue, la nuit de Kingsley était à abattre. La nuit d’Aurora n’était pas étudié comme par les Gardiens, de façon précise et chirurgicale, mais avec l’amour d’une amante fascinante. C’était un corps de mystères et de vides. Aurora aimait sa nuit.
Et Aurora aimait la nuit de Kingsley, aussi, cette fatale ennemie.
Elle aimait même la nuit plus secrète du jeune homme, cette nuit à porter sur la peau, qu’on lui avait appris à oublier, parce qu’il n’y avait que les Zabini qui portaient leur peau noire avec fierté.
Alors que leur amitié se réchauffait d’années en années, Kingsley finit par réaliser deux belles et tristes vérités (trois mais il faut taire la troisième.)
D’abord, la solitude s’était détachée de lui comme une peau morte. Il ne voulait plus être seul. Il ne le serait plus. Et en rencontrant Albus Dumbledore au Ministère quelques temps après, Kingsley apprendrait l’existence de l’Ordre, et qu’il pouvait y avoir plusieurs Gardiens pour porter le fardeau de la nuit. Il apprendrait aussi, comme il l’avait toujours su, que son temps était venu et que la nuit revenait.
Ensuite, Aurora l’aimait. De nuits en nuits, d’étoiles en étoiles, Aurora l’aimait. Il était son contraire, mais elle l’aimait, et il le vit dans ses jolis yeux sombres lorsqu’elle lui offrit pour son vingt deuxième anniversaire une boucle d’oreille qui ne le quitterait plus. Elle haussa les épaules quand il lui posa la question, la voix curieusement tremblante.
- Bien sûr, dit-elle facilement, et la même tendresse lui était destiné à lui qu’à la nuit qu’il étudiait. Bien sûr, King’, je t’aime.
Aurora avait attendu qu’il le comprenne, attendu qu’il réponde. Elle pensait que leurs nuits pouvaient se compléter.
Kingsley passa beaucoup de nuits d’angoisse, loin du télescope, à comprendre la troisième vérité.
Aurora était… probablement parfaite. Elle était son double. Et il l’aimait. Il l’avait aimé immédiatement. Mais la tendresse de son regard lui était étrangère. Il n’avait jamais compris les relations, il n’avait jamais souhaité la dyade des cœurs. Il comprenait la romance mais de loin, comme un observateur détaché. Aurora l’attirait, c’est vrai. Il n’était pas étranger aux picotements qui envahissaient son ventre à la regarder, à se toucher. Il n'était pas étranger au désir qu’elle lui renvoyait en miroir. Cette chaleur-là lui paraissait naturelle. Ça s’arrêtait là.
Il pensait être englouti par les ténèbres en lui avouant ses étranges sentiments, ce déséquilibre. Il n’avait avant elle jamais mis de mots sur ces troubles. Il avait traversé ces années à Poudlard indifférent aux relations qui s’y construisaient, aux baisers des couples dans la Bibliothèque, et trop concentré sur ses études pour penser aux plaisirs.
Aurora l’aimait, et elle lui promit qu’elle comprenait. Il ne savait pas comment elle pouvait comprendre l’anomalie qu’il était.
- J’aurais dû rester seul, lui souffla t-il doucement, comme une confession.
Elle secoua la tête, ses cheveux voletant dans le mouvement. Et c’était Aurora, sa plus belle nuit, et il aurait douloureusement voulu l’aimer mieux, l’aimer comme elle voulait, l’aimer comme il fallait.
- Non, King’, répondit-elle avec beaucoup de sérieux. Rappelle toi de la voie étrange des étoiles. Il n’y a pas de normalité des amours. Chacun marche sur son petit chemin tordu. Tous nos chemins sont beaux.
Il regarda le sourire de travers de celle qui était devenue sa meilleure amie, et ses lèvres tremblèrent.
- Je n’ai pas besoin d’un amour comme il faut, reprit-elle. Je ne veux pas que tu m’aimes comme je t’aime. Et je n’ai pas besoin d’une relation romantique non plus.
Il la regardait, et il savait qu’il decrocherait sous peu son poste au Ministère et qu’elle partirait à Poudlard après les séminaires d’astronomie dont elle rêvait.
Il savait aussi qu’il ne l’oublierait jamais, cette clarté soudaine au milieu de sa nuit. Il y avait des mots pour ce qu’il était, et peut être la bataille contre la nuit se jouait elle aussi ici, pour lui.
Elle avait guidé ses mains dans une nuit plus étoilée que jamais.
Il n’y a pas d’aube pour ceux qui ne croient qu’à la nuit.
Mais Aurora avait été son aube.