Le vent souffle terriblement aujourd’hui et les vagues, déchaînées, frappent les rochers sertis d’écume brumeuse avec une violence sensuelle, projetant des embruns qui font voleter les mèches blondes de Louis. Il est assis au bord de la falaise, et ses pieds battent le vide avec désespoir.
Assis au bord de la falaise, il l’est depuis longtemps. Trop longtemps. Parfois, il se demande même si ce ne serait pas plus simple de se jeter des falaises de Cornouailles, plutôt que de s’avouer la vérité à lui-même. Pourtant, il la connaît. La vérité. Même s’il a passé deux ans à la fuir, elle se trouve juste derrière lui, déterminée à en finir avec ce secret qui les ronge jour après jour.
― Dominique m’a dit que je te trouverai ici.
― Ma sœur n’a jamais su la boucler, grince Louis, agacé.
― C’est notre meilleure alliée, rétorque Liam dans un soupir.
Liam soupire, et Louis entend dans ce soupir des accents de douleur intérieure. Il lui fait du mal, il le sait, mais il est incapable d’assumer, encore moins d’arrêter. Rompre définitivement avec Liam, ce serait rompre avec lui-même. Mais dévoiler leur lien au grand jour, ce serait comme se jeter du haut de la falaise.
Et Louis a peur. Tellement peur de ce qu’ils diront. Sa mère, son père, Victoire, et les autres. Peur de ne pas être à la hauteur. De les décevoir. Peur de lire du dégoût dans leur regard. De déclarer enfin qui il est vraiment. Alors, comme par instinct, il se rapproche, chaque jour plus, du bord de la falaise.
― Tu sais ce que je ressens pour toi, déclare Liam, le rejoignant près du vide.
― Pourquoi tu veux toujours tout compliquer ? murmure Louis, fuyant le regard trop intense de son amant.
Un silence. Louis ferme les yeux, et laisse le vent lui claquer les joues.
― Je ne complique rien, je t’aime, c’est tout, insiste Liam.
― Et qui t’as dit de m’aimer ? Nous ne nous étions rien promis, réplique Louis, cruel.
Tout était plus simple avant. Avant que Liam ne réclame plus de lui. Avant qu’il ne veuille une relation exclusive. Avant qu’il ne lui mette des ultimatums avec des échéances à respecter. Trois mois, c’est le temps qu’il lui a donné. Si à son terme, il ne veut toujours pas avouer leur relation, alors Liam s’en ira.
Liam qui dépose un baiser sur sa joue, après s’être assis à ses côtés. Liam qui laisse voler ses pieds au-dessus de l’écume, un sourire sur ses lèvres pleines. Authentique, même dans sa douleur. Même après les mots durs que lui assènent Louis. Même après les nombreux rejets que lui a infligé Louis.
― Je sais, mais tu m’aimes aussi. Il suffit juste que tu l’assumes enfin.
― Assumer quoi ? Assumer qui ? Toi ?! s’exclame Louis, furieux, pris d’un rire nerveux.
― Non. Toi, rétorque Liam calmement. C’est toi que tu dois assumer, pas moi. Moi, je ne suis rien d’autre que la cerise sur le gâteau, se vante-t-il doucement, passant une main dans ses boucles brunes.
Louis sourit malgré lui. L’amour qu’il ressent pour cet homme est plus fort que son amertume et ses appréhensions. Liam se rapproche de lui, et attrape sa main qu’il serre dans la sienne. Louis observe leurs mains liées et sent son coeur se renverser.
― Je ne sais que ce n’est pas facile, mais tu dois le faire pour toi. Au-delà de notre relation, tu ne peux pas continuer à prétendre que tu aimes les femmes, que tu es quelqu’un d’autre. Tu sais que c’est faux et que tu te mens à toi-même. Tu te fais du mal, tu me fais du mal, et tu leur fais du mal. Au final, personne ne gagne, et aucun d’entre nous n’est heureux. Tu crois vraiment que c’est ce que ta famille souhaiterait pour toi ?
Louis ne sait pas. Et c’est l’inconnu, justement, qui lui fait peur. Sauter dans l’inconnu a toujours été un frein dans sa vie. Louis a effectué brillamment ses études à Serdaigle, est devenu préfet en cinquième année, n’a jamais fait de vagues et, pendant longtemps, il s’est convaincu de son attirance pour les femmes dans l’espoir de rendre fier ses parents. Après la dépression de Victoire, et les continuelles révoltes de Dom, il lui fallait être exemplaire. Un avenir tout tracé.
Il est sorti avec Gwen, l’une de ses camarades de promotion, en sixième année mais n’est jamais parvenu à ressentir quoi que ce soit pour elle. Au contraire… Plus il continuait, plus il savait qu’il était en totale contradiction avec lui-même. Et puis, il a rencontré Liam… Gryffondor jusqu’au bout des ongles. Liam n’hésitait pas, Liam osait dire qui il était. Liam exultait, Liam s’insurgeait contre les mœurs étriquées s’il le fallait.
Liam était l’inverse de Louis. Liam l’attirait éperdument. Rapidement, leur amitié teinté d’ambiguïté s’était transformée et ils s’étaient rencontrés à l’abri des regards indiscrets. Ils s’embrassaient, se caressaient et gémissaient dans les recoins des couloirs, dans les salles de classe vide, dans les placards à balais. Mais jamais au grand jour. Et Louis continuait sa pièce de théâtre rondement menée aux yeux de tous, au grand désespoir de Liam qui ne parvenait pas pour autant à le quitter.
Et puis, il y a trois mois, Liam l’a poussé au bord de la falaise.
― Je t’aime. Et ça ne changera pas. Mais je ne veux pas participer plus longtemps à cette mascarade.
Le regard de Louis se heurte aux rochers en contrebas avant qu’il ne relève la tête vers Liam.
― J’ai l’impression de devoir sauter du haut de cette falaise, avoue Louis douloureusement.
― Je serai là pour te retenir. Je ne te laisserai jamais te transformer en écume, ironise Liam, sincère.
La main de Louis s’accroche à celle de Liam tandis que son regard se fixe sur l’horizon baigné d’une lumière orangée. Et le vent souffle, mêlant amoureusement les mèches blondes et brunes.