― Hey, Chambers, viens te changer avec nous !
Bradley, l’un des trois poursuiveurs de l’équipe de Quidditch des Serdaigle, l’interpelle devant les vestiaires du stade. Un sourire aux lèvres, son camarade de promotion et de maison ne s’imagine pas une seconde à quel point cette demande le met mal à l’aise. A quel point il rêve de fuir, loin, très loin de ses coéquipiers, qui l’observent avec une insistance dérangeante.
― C’est vrai, quoi ! Pourquoi tu prends jamais ta douche ici ? insiste Davies, leur capitaine, avec une curiosité malsaine.
Belby et Turner, les deux batteurs, approuvent vivement, et Jimmy Chambers pâlit face à cette intrusion cruelle de son intimité. Il n’a aucune envie de leur expliquer la raison pour laquelle il ne veut pas se changer avec eux. Il ne leur doit rien. Il n’est pas question qu’il leur dise ce qu’il ressent, au plus profond de lui-même.
― T’es trop pudique, Chambers ? s’enquiert Turner, intrusif, alors que Belby émet un rire gras.
Jimmy ne répond pas, il reste droit dans ses bottes, son balai à la main, et il les foudroie du regard. Il sait parfaitement ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent de lui lorsqu’il disparaît après les entraînements, ou après chaque match.
Chambers est gay.
Ces quatre idiots ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ironique pour des Serdaigle censés détenir les clés de l’intelligence et de la réussite. Il les méprise, eux et leur système hétéronormé. Un système, une société, qui ne laisse aucune place à ce qui ne leur ressemble pas, et qui place chaque personne dans une case sans jamais se demander si elle ne rêverait pas d’en sortir. Jimmy n’est pas gay. Il aime les femmes. Mais Jimmy n’est pas un homme. Jimmy n’est pas une femme non plus. Jimmy oscille entre les deux.
Entre la force et la douceur.
Entre masculinité et féminité.
― Allez, Chambers, fais pas cette tête, on te charrie ! reprend Davies, sentant le malaise s’installer.
― C’était juste parce que… je voulais simplement… hésite Bradley, alors que les trois autres disparaissent dans les vestiaires. Tu sais, c’était juste pour pas que tu te sentes isolé…
Jimmy Chambers soupire. Des quatre imbéciles, Bradley est sans doute celui qu’il méprise le moins. Il ne lui prête aucune mauvaise intention mais, à trop vouloir bien faire, c’est parfois l’inverse qui se produit. Même si Rick Bradley essaie maladroitement de l’intégrer, Jimmy a justement l’impression de s’adapter de moins en moins à l’équipe. Si le Quidditch n’était pas sa passion, il les aurait déjà abandonnés.
― Laisse tomber, Bradley.
― Tu sais, si t’as besoin de parler…
― Je t’ai dis de laisser tomber.
― Tu sais où me trouver.
Avec un bref mouvement de tête, Bradley se détourne à son tour et disparaît dans les vestiaires, laissant Jimmy Chambers quelque peu perturbé par ce soudain accès de bienveillance de la part de son coéquipier.
Un jour, il leur dira qui il est vraiment.
Il le hurlera.
Pour se sentir pleinement vivant.