Théodore Nott aurait pu être un héros.
Théodore Nott aurait pu être un traître à son sang.
Mais Théodore n’était tout simplement ni l’un ni l’autre.
S’il avait sauvé Colin Crivey ce soir-là, il aurait pu être un héros pour les uns et un traître à son sang pour les autres.
Mais il n’avait rien fait.
Il n’avait ni tué ni soigné.
Le temps, ses aiguilles, ses minutes et ses secondes qui l’avaient fait arriver trop tard sur la scène du crime, lui avaient épargné la dure décision qu’il aurait eut à prendre ce soir-là si les choses s’étaient déroulées autrement.
Théodore Nott avait toujours pensé au passé.
Adolescent, il n’avait jamais regretté l’insouciance de l’enfance. Seulement sa simplicité.
Adulte, il n’avait jamais regretté la frivolité de l’adolescence. Seulement son optimisme pour l’avenir.
Théodore Nott vivait dans le passé sans apprécier le présent parce qu’il était bien trop préoccupé par l’avenir qu’il n’aurait finalement jamais.
Il n’était ni le tueur ni le sauveur de Colin Crivey. Seulement le dernier témoin de sa vie et il savait, qu’il n’aurait jamais dû avoir cet honneur.
***
If I sing you a love song, will you always remember?
Will you hear it on lonely nights when I'm not around?
Lisa fredonnait sa nouvelle chanson du moment avec un petit sourire aux lèvres que Théodore appréciait. Il signifiait que sa meilleure-amie était d’excellente humeur et avait sûrement et finalement trouvé — après plusieurs explosions et multiples rebondissements — un moyen de fonctionner un ordinateur malgré la présence de magie.
Elle portait une robe jaune et ses sandales bleues préférées.
Malgré la chaleur, Théodore supportait Colombe, son chat blanc, qui s’était pelotonné entre les genoux du jeune homme dès qu’il était entré dans l’appartement de Lisa. Cette dernière croqua à pleine bouche dans une mirabelle et essuya le jus qui coulait de son menton.
Théodore par réflexe, avait déjà tendu le bras en direction des serviettes en papier qui traînaient un peu partout dans la pièce, pour lui en offrir une. Il remonta les manches de sa chemise qui lui collait à la peau. Il prit le temps de faire des ourlets élégants et soignés. Lisa lui sourit et il retourna le tissu jusqu’à ses avants-bras sans se soucier de ce que l’ancienne Serdaigle penserait.
Elle frissonna en découvrant la marque inachevée que le Seigneur des Ténèbre avait donné à Théodore. Elle ne s’en cacha pas. Il l’aima encore un peu plus de ne pas lui mentir.
Lisa n’était pas obligée de tout aimer chez lui.
C’était même rassurant, qu’elle se sente assez en sécurité avec lui pour lui avouer que cette marque la terrifiait.
Avant, il aurait rabaissé la manche droite de sa chemise. Mais il n’avait pas honte de son histoire. Pas avec elle.
En balayant son salon des yeux, Théodore se perdit un instant dans ce bazar où seule Lisa semblait pouvoir naviguer sans se perdre. Des cassettes, des walkmans, des télévisions, des ordinateurs, des ventilateurs, des micro-ondes et même un lave-vaisselles, encombraient l’espace tout entier. On ne pouvait pas faire plus de deux pas sans marcher sur un stylo moldu — bien plus pratique que les plumes et l’encre selon Lisa —, une feuille pleine de ses notes ou encore des vêtements. Mais rangés, bien soigneusement sur la commode, il y avait les carnets d’Isaura Roulet-Bouley et son châle bleu nuit, que Théodore avait offert à Lisa.
— C’était une femme incroyable, lui assura-t-elle après avoir suivi son regard. Elle avait beaucoup d’idées. L’une de mes préférées porte sur un moyen de transport encore plus efficace que le portoloin. Elle avait dessiné les croquis d’une pierre qu’on aurait relié à différents points de passages magiques. Cela aurait été moins coûteux que les portoloins, mais son projet a été refusé car les points auraient été permanents et difficiles à dissimuler aux moldus.
— Parle moi encore de l’alioscript, s’il te plaît.
Lisa l’observa avec une tendresse infinie qu’il avait appris à accepter avec le temps.
— C’est un outils qui permet, avec le consentement de celui sur lequel on l’utilise, de lire ses souvenirs directement depuis sa mémoire. C’est un moyen bien plus fiable que de les stocker dans une pensine, dans laquelle les souvenirs peuvent être altérés et modifiés. Le cerveau, lui, ne ment presque jamais. Les souvenirs sont subjectifs, évidemment, mais authentiques et fidèles à la façon dont le sujet les a vécu. L’alioscript permet de lire et de trouver la source la plus brute d’un souvenir. Elle n’a jamais eu le temps de le terminer…
Théodore sentait la frustration de Lisa.
Un projet inachevé était comme un défi pour l’inventrice en elle.
— Tu devrais le faire.
— Je te demande pardon ?
— Termine-le.
Elle écarquilla ses beaux yeux bleus et Théodore lui sourit, presque timidement, en se répétant :
— Ça me ferait plaisir que tu achèves ce projet.
Sa mère avait eu beaucoup d’idées sans jamais avoir eu le temps de leur donner vie. C’était regrettable, d’après lui.
— Je t’ai confié ses carnets car je savais que tu serai la seule capable d’en retirer tout le potentiel.
— Théo…, marmonna-t-elle. Ces carnets parlent aussi d’elle, tu sais. Ce ne sont pas que des notes sur des inventions… Elle y raconte aussi sa vie, ses espoirs, son enfance… Elle me fait beaucoup penser à toi, parfois.
Il opina distraitement.
Il avait mal à la tête et besoin de fumer.
Ses doigts picotaient et ses poumons peinaient à faire correctement leur travail.
Ça commençait toujours de cette façon.
Puis, il finissait par tellement serrer sa mâchoire qu’il en avait mal au crâne, mal aux os, mal partout.
Tôt ou tard, Lisa finirait par ouvrir le carnet qui concernait la malédiction des Roulet-Bouley. Une partie de lui voulait qu’elle le fasse pour qu’elle sache. Ainsi, elle découvrirait qu’il était condamné, et alors, il cesserait de lui mentir par omission et de chercher le courage de lui avouer qu’il avait peur de perdre la tête.
Il avait peur de mourir.
Et cela l’énervait.
Il n’y avait rien de moins sage, que d’avoir peur de la mort et Théodore Nott était quelqu’un qui se voulait sage.
Après avoir lu le carnet de sa mère dans lequel elle avait retranscris sa quête de se soigner de la maladie qui coulait dans son sang, Théodore n’avait plus eu la force d’en apprendre plus. Cette femme n’avait pas voulu de lui. Elle avait écrit plusieurs fois son désir de ne pas avoir d’enfant, pour éteindre définitivement ce fléau qui frappait tout les Roulet-Bouley. Il se sentait incapable d’aller au-delà. Violer l’intimité de cette femme de la sorte, lui semblait irrespectueux et indigne du souvenir de la mère pourtant aimante qu’il avait connu. Trouver un remède avait été son unique but et elle avait échoué. Doublement échoué, même, puisque Théodore était finalement venu au monde, tout aussi atteint que ces ascendants avant lui.
Théodore Nott n’avait jamais ressenti aussi fortement le besoin d’être aimé, lui qui n’avait jamais cherché l’attention des autres.
Plus loin, un chaudron bouillonnait, embaumant le gingembre et la menthe, deux ingrédients qui servaient principalement à concocter des potions contre la nausée.
Théodore fronça les sourcils.
— Adrian est souffrant ?
— Non, pas du tout !
Ses joues se mirent à rougir lorsqu’elle comprit l’origine de la question de Théodore, qui examinait toujours le chaudron avec inquiétude.
— Susan alors ?
A la mention du prénom de sa meilleure-amie, Lisa fronça les sourcils.
La nouvelle entente qui liait Théodore Nott et Susan Bones était surprenante pour elle, qui avait toujours eu à arbitrer les joutes verbales et assassines de ses deux amis. Ils n’avaient jamais été très proches et leurs relations, jusqu’à maintenant, avaient toujours été notoirement glaciales.
— Non, Susan se porte comme un charme.
Elle s’humecta les lèvres. Un tic qu’elle avait et qui indiquait qu’elle s’apprêtait à dire quelque chose d’important. Théodore lui donna toute son intention et lorsqu’elle plaça une main sur son abdomen encore plat, lui qui était si intelligent, eut pourtant besoin de l’entendre lui annoncer :
— Je suis enceinte.
Théodore savait que les bonnes convenances exigeaient qu’il la félicite, qu’il se réjouisse, saute au plafond et manifeste sa joie.
Toute cette exubérance ne lui ressemblait pas, certes. Mais il aurait pu, et il aurait dû, la gratifier d’un sourire ravi et heureux.
Pourtant, il ne songea plus qu’à une chose.
L’avenir.
Théodore ne s’était pas projeté dans le futur depuis des mois. Le passé lui courrait déjà après à grande vitesse chaque fois qu’il se déconcentrait et perdait pied avec la réalité.
Il essaya d’imaginer Lisa avec un ventre rond, puis un bébé dans les bras, qui aurait eu ses yeux et le sourire fourbe d’Adrian Pucey. Il tenta de visualiser cet enfant en train d’apprendre à parler, à marcher. Ses premiers signes de magie. Sa façon de pleurer.
Rien.
Néant.
Vide.
Pour Théodore, tout n’existerait bientôt plus.
Parce que lui, il n’avait pas d’avenir. Alors penser à ce bébé lui était impossible. Cela sciait son crâne en mille, d’une douleur physique et mentale inouïe et insupportable.
Il fût juste capable de se retenir de plonger sa tête dans le chaudron tant il eut envie de vomir.
***
Hypermnésie. Rêves incontrôlables. Dépression. Incapacité ponctuelle à se situer dans l’espace et le temps. Absences répétées. Pertes d’attention. Folie. Mort.
Théodore connaissait les symptômes par cœur et sursauta, lorsqu’il se rendit compte qu’il était sur son balcon, en train de fumer.
Comment était-il arrivé ici ?
Il suffoqua un moment et chercha à respirer plus de fumées.
Plus rien n’était assez fort pour apaiser ses pensées.
Lorsqu’il dormait, il faisait des cauchemars.
Colin Crivey. Meurtrier. Sa mère. Indésiré. Susan. Inatteignable. Lisa. Mère. Colin Crivey. Meurtrier. Sa mère. Indésiré. Susan. Inatteignable. Lisa. Mère. Colin Crivey. Meurtrier. Sa mère. Indésiré. Susan. Inatteignable. Lisa. Mère. Colin Crivey. Meurtrier. Sa mère. Indésiré. Susan. Inatteignable. Lisa. Mère. Colin Crivey. Meurtrier. Sa mère. Indésiré. Susan. Inatteignable. Lisa. Mère. Colin Crivey. Meurtrier. Sa mère. Indésiré. Susan. Inatteignable. Lisa. Mère.
Parfois, quand il perdait pied avec la réalité, le bâtiment était en feu et ses habitants mourraient. Théodore s’en sortait à temps, transporté dans un nouvel univers, où il entendait les suffragettes manifester dans les rues, ou encore le bruit d’un Londres bombardé par les nazis.
Cela arrivait même en pleine rue alors qu’il était bien éveillé. Il était sur le pont de Londres, et il s’était mis à tomber dans le vide, prêt à plonger tout droit dans la Tamise. Il avait transplané à temps et avait constaté que la structure n’existait plus, que les véhicules et les Tours de bureaux moldues avaient disparus. Ne restaient que la Tamise et des passants accoutrés comme l’étaient les gens d’un autre siècle.
Il avait repris conscience plusieurs minutes plus tard, klaxonné par une voiture moldue.
Il lui avait tendu son majeur, pour s’excuser, comme Lisa le lui avait appris.
Sur la terrasse de l’appartement d’en face, foisonnant de plantes, de fleurs et de fruits, Susan Bones parlait avec animation à un bébé jobarbille qui l’écoutait attentivement. Niché sur son épaule, la créature tenait encore à peine dans la paume de sa main et Théodore avait plusieurs fois entendu Susan l’appeler, paniquée de ne pas le voir dans son nid.
Elle finissait toujours par le trouver.
Et les jobarbilles étaient des créatures très intuitives, qui savaient trouver le refuge qu’elles méritaient.
Et lorsqu’elles ne le trouvaient pas, elles le construisaient.
***
— Cet entretien est ridicule, fit sèchement Susan Bones.
Elle portait son costume de juriste, qu’elle n’avait pu se résoudre à abandonner pour devenir légiste. Théodore était heureux, qu’elle le porte.
Il s’en enorgueillissait presque.
Avoir participé à lui faire rendre compte que sa place était là où elle la désirait vraiment, serait sans doute l’une de ses plus belles victoires dans la vie.
Les joues rouges et le souffle court, elle transpirait un peu, et faisait toujours preuve de la patience légendaire qui la caractérisait tant. Elle s’éventait avec quelques parchemins qui composaient le dossier de Théodore. De temps à autre, elle dirigeait son geste vers lui et même s’il ne l’aurait avoué pour rien au monde, il trouvait cela adorable.
— Je ne vous ai rien caché des discussions privées que j’ai pu avoir avec Madame Daisy Roberts au printemps dernier. Je n’avais absolument aucune idée de qui elle était au moment où je me suis rendu chez elle. Je ne savais pas qu’elle était la mère de la victime ! Je ne me serais jamais permis de torturer cette pauvre femme de la sorte… Ça aurait été mesquin et cruel. De plus, lorsque j’ai compris qui elle était, j’ai informé le Ministère qu’un vice involontaire avait été commis de ma part.
Évidemment, qu’elle s’était montrée honnête.
Susan Bones.
Toujours parfaite.
Toujours à faire ce que l’on attendait d’elle…
Théodore tiqua. Merlin lui-même n’aurait pu corrompre cette femme…
Mais pour son propre bien, elle aurait dû mentir.
C’était ce qu’il lui aurait conseillé…
— Nous le savons, Susan, commença prudemment Neville Londubat.
Il avait toujours l’air aussi gauche et gentil.
Théodore ne l’avait jamais sous-estimé. L’ancien Gryffondor avait su tenir tête aux Carrow lors de leur septième année et il avait même dirigé tout une groupe d’élèves pour protester contre les nouvelles règles établies… Il méritait son respect et son attention.
Harry Potter se tenait derrière son collègue, appuyé contre le mur et ne cessait de fixer Théodore Nott des yeux, comme s’il cherchait à lire en lui, à connaître la vérité.
Théodore Nott avait-il tué Colin Crivey ? Ce petit gamin qui semblait agacer Potter ? Ce pauvre gosse que l’Auror avait finalement développé une certaine affection envers son camarade ?
Théodore trouvait cela étrange, que cela soit des gens de son âge, qui enquêtent sur lui. Des gens concernés, loin d’être neutres, profondément frappés par la guerre. Théodore avait encore en tête l’image de cet enfant qui découvrait la magie avec de grands émerveillées, ce même garçon qui avait parlé fourchelangue devant toute l’école et qui avait été craint, ce garçon même qui s’était évanoui à cause des détraqueurs, qui avait participé à la Coupe de feu, assisté aux morts de certains de ses amis, combattu le Seigneur des Ténèbres … Ce garçon aux lunettes souvent cassées, qui passait son temps à l’infirmerie, qui nageait dans ses vêtements moldus lorsqu’il ne portait pas l’uniforme de l’école…
Ce garçon qui avait toujours fait les bon choix, là où Théodore, lui n’en avait jamais fait aucun.
Ils étaient toujours des gosses, au fond. Tous autant qu’ils étaient, ils avaient grandi de façon si étrange… Ils jouaient aux adultes. Ils faisaient semblant.
— Alors pourquoi cette convocation ? s’offusqua Susan.
— Madame Crivey…Enfin Madame Roberts, se reprit Harry en continuant de fixer Nott, a demandé à ce qu’une mesure d’éloignement soit prononcée.
Crivey.
Cri-vey.
Cri.
Vey.
Quel nom rude à prononcer.
Il irritait sa gorge.
Théodore avait besoin de fumer.
— Je n’aurais jamais cherché à la contacter de toute façon, intervint Théodore.
— Par Helga, tais-toi, lui souffla-t-elle. Ne sois pas insolent.
— La mesure d’éloignement vaut tant pour Susan que pour toi, Nott.
Il sentit Susan se figer à ses côtés et l’observa attentivement, mettant fin à la bataille de regards silencieux et assassins qu’il menait avec Potter jusqu’à maintenant. Elle avait pâlit et ses lèvres colorées d’un rose frais et léger tremblaient.
Elle avait recommencé à porter du rouge-à-lèvres.
Il ouvrit et ferma ses poings, pour détendre ses doigts.
Devait-il lui prendre la main, pour la rassurer ?
Susan Bones n’avait pas besoin de lui pour être rassurée.
Ou bien la placer sur son épaule, pour lui faire comprendre qu’il était désolé ?
Elle le savait probablement déjà.
Il n’aimait pas la voir ainsi.
— Le Magenmagot a demandé à ce qu’une enquête soit ouverte. Le fait que Daisy Roberts, la mère de la victime, ait été ta thérapeute pendante presque trois mois, l’interroge.
— Ce n’était qu’un malheureux hasard, bredouilla Susan. Une étrange coïncidence…
Que le Magenmagot remette en cause le professionnalisme de Susan était insupportable à entendre pour Théodore.
— Je vais changer d’avocate, déclara-t-il.
Elle claqua sa langue contre son palais.
Théodore se crispa.
Il n’aimait pas non plus lorsque Susan était énervée.
— Ose un peu pour voir, Nott, articula lentement la juriste sans le regarder.
— L’audience est reportée au 1er septembre, annonça Potter. Aucune nouvelle preuve à charge n’a été apportée au dossier et si tel est le cas dans le future, je te transmettrais les rapports, promit-il à Susan.
Elle hocha la tête et hoqueta de surprise lorsque Potter fit éclater la dernière information qu’il avait à leur transmettre :
— L’identité du principal témoin n’est plus secrète. Il a même demandé à ce que son anonymat soit levé, pour te permettre de te retirer de ce dossier.
Théodore retint son souffle.
Les murs autour de lui étaient en train de changer. Ils devenaient verts et jaunes. Ils sentaient le parchemin neuf et le brûlé. Ils avaient un goût amer et citronné. Ils étaient rêches et ardents.
Il perdait pied et Susan avait besoin de lui.
Parce que si Potter et Londubat prenaient autant de pincettes, c’était probablement parce qu’ils savaient que l’identité de la personne ayant dénoncé Théodore aux Aurors ferait du mal à Susan.
Susan qui ne le détestait pas. Susan qui lui avait hurlé dessus et qui l’avait accusé d’avoir gâché sa vie, lorsqu’elle avait découvert que sa thérapeute était la mère de la victime. Susan qui n’avait pu le convaincre qu’elle pensait ces mots.
Elle ne le détestait pas.
Mais combien de temps mettrait-elle avant de réaliser qui il était vraiment ?
Il inspira calmement et se concentra du mieux qu’il le put.
Ce n’était pas le moment de dériver.
Ce n’était pas le moment.
Son environnement devint moins flou et s’il ne parvient pas entendre la phrase en entier, il déchiffra tout de même un nom et un prénom.
— … Justin Finch-Fletcher.
***
Susan arrachait des poignées d’herbes séchées et jaunies à cause de l’été.
Elle les jetait au loin et Théodore la regardait faire, en attendant qu’elle retrouve son calme. Cette activité ne l’avait pas lassée, depuis les quarante-huit minutes qu’elle la pratiquait.
Susan cachait sa colère et ça rappelait à Théodore pourquoi il la trouvait parfois si irritante.
Ne te cache pas. Montre moi qui tu es vraiment. Je ne te rejetterai pas .
Cette femme qui saccageait son bureau. Cette femme en colère qui ne savait plus comment s’en désempêtrer, de cette colère.
Il la voyait vraiment. Il l’acceptait ainsi.
Alors pourquoi continuait-elle de mentir et de se retenir de hurler ?
Certes, crier dans un lieu public n’était pas convenable et Théodore aurait sûrement était dérangé d’une telle frivolité.
Mais il la lui aurait pardonnée.
Elle avait retiré ses escarpins et était pieds nus, assise sur une couverture qu’elle avait probablement faite elle-même.
Après avoir passé tant de temps avec elle dans ce parc, il était content qu’ils aient gardé l’habitude de s’y rejoindre et de s’y rendre. Il avait eu peur, un instant, qu’après la fin de son intronisation avortée en tant que légiste au Magenmagot, ses rendez-vous avec Susan cessent et ne deviennent que des souvenirs qui nourriraient encore un peu plus sa mélancolie.
Il aurait aimé être capable de lui dire qu’il était soulagé, et honoré même, qu’elle continue de lui accorder autant de temps, en-dehors de son travail de juriste.
— Je ne peux plus lui parler jusqu’à la fin du procès. Pas sans que nous soyons en présence d’un Auror ou d’un agent du Ministère de la justice magique, marmonna-t-elle finalement.
— Retire-toi de cette affaire, articula de nouveau Théodore.
— Je t’ai promis que je t’aiderais.
Il sourit et détourna son visage pour qu’elle ne le voit pas. Il aurait aimé lui dire que le seul fait qu’elle lui ait fait une telle promesse l’aidait. Elle n’était pas obligée de la tenir, pour qu’il comprenne que son sort comptait pour elle.
« Je ne t’abandonnerai pas ». C'était ce qu'elle lui avait dit.
Pourquoi lorsque Lisa le lui disait, il ne ressentait pas ce gonflement dans sa poitrine ?
Pourquoi même ce qu’il ressentait pour l’une était si différent de ce qu’il ressentait pour l’autre ?
Ce n’était pas plus ou moins fort. C’était différent.
Pourquoi faisait-il si chaud ?
Susan ne pouvait plus porter ses cardigans et il les détestait autant qu’il les aimait, ses cardigans…
Ce qu’il ressentait pour Lisa, c’était de la tendresse, de la confiance et de la loyauté. Elle était sa première et sa seule amie. Elle était celle qui l’écoutait même lorsqu’il ne parlait pas. Il adorait inventer avec elle, réfléchir et penser.
Ce qu’il ressentait pour Susan… C’était plus complexe. Elle l’énervait toujours. Ils se surprenaient à avoir les mêmes opinions et débattaient fermement lorsque ce n’était pas le cas, sans plus jamais craindre que l’autre ne le juge ou cesse de le respecter pour ça. Mais elle l’apaisait. Elle le faisait rire comme personne n’y était jamais parvenu avant elle. Il la croyait. Autant qu’elle semblait croire en lui.
L’amitié était une chose étrange.
— Théodore… Tu recommences.
Lorsque Susan l’appela, il revint à lui.
Ils échangèrent un long regard silencieux.
Théodore aimait le calme.
Il aimait le calme et il aimait le partager avec Susan.
— Il faut le dire à Lisa, dirent-ils en même temps.
Ils savaient pourtant tout deux qu’ils en étaient incapables.
— Justin… , marmonna Susan. Je ne comprends pas.
Théodore s’adossa plus confortablement sur le banc.
— Est-ce que tout va bien ?
— J’ai simplement mal à la tête.
Susan pinça les lèvres et lui tendit une assiette, pleine de crêpes au miel. L’idée qu’elle les faisait pour lui le rendait heureux. C’était un geste touchant, empli de douceur et de délicatesse, à l’image de la personne attentive aux autres qu’elle était.
Théodore aurait été prêt à parier toute sa vie sur l’affirmation suivante.
Susan Bones était la personne la plus gentille et désintéressée de cette planète.
Il prit une crêpe, avec soin, prenant garde à ce que le miel ne lui coule pas entre les doigts.
Il n’aimait que celles que Susan préparait. Elle devait mettre un ingrédient spécial dans la recette… Ou alors, c’était le miel, un peu fleuri, légèrement aromatisé.
— Lisa m’a parlé de toi, confia-t-elle enfin.
Lisa.
Lisa qui attendait un enfant.
— Tu aurais pu au moins faire semblant d’être heureux pour elle ! Tu sais qu’elle était inconsolable ? Et qu’il suffirait d’une chiquenaude à Adrian pour que tu transperces la lune direction Pluton ?
Les exagérations de Susan avaient toujours le don de l’amuser. Il leva les yeux au ciel et les siens se durcirent.
— Je ne savais pas qu’elle essayait d’avoir un enfant. J’ai été surpris, s’expliqua-t-il. Je n’ai pas su comment réagir. J’ai eu tort. Je lui demanderai pardon et je me rattraperai.
Il n’avait jamais eu la moindre difficulté à avouer qu’il avait eu tort. Seulement, il avait rarement tort. Alors cela expliquait sûrement l’expression surprise de Susan.
— Elle n’essayait pas. C’était un accident, un problème de potion contraceptive mixte qu’elle a essayé de mettre au point, expliqua l’ancienne Poufsouffle.
— Je me passerai volontiers des détails concernant la conception de cet enfant.
— N’es-tu pas heureux pour elle ?
— Si c’est ce qu’elle souhaite, bien sûr que je suis heureux pour elle.
Merlin et Salazard réunis, il aurait peint le ciel en rouge pour un sourire de Lisa.
— C’est simplement que…
Théodore Nott terminait toujours ses phrases. Il détestait les baragouinages, les marmonnements et les balbutiements.
Il s’attendit à ce que Susan le taquine, qu’elle profite de cette opportunité pour le charrier un peu, lui qui avait l’habitude de pester chaque fois qu’elle hésitait et trébuchait sur ses mots.
Elle était du genre à saisir une telle opportunité. Théodore et elle s’étaient toujours tout rendus coups pour coups.
Mais elle n’en fit rien.
— Je ne rencontrerai jamais son enfant. Je ne le verrai jamais grandir. Il ne me connaîtra pas.
Alors à quoi bon ?
À quoi bon chercher à être aimé ou aimer quand plus rien n’avait de sens, quand toutes ses secondes étaient comptées ?
À quoi bon se faire du mal et se dire qu’à chaque personne qu’il rencontrait, c’était peut-être la dernière fois qu’il la voyait ?
Les yeux gris de Susan étaient objectivement beaux.
Théodore les trouvait même précieux.
Ils avaient la couleur de l’argent liquide. L’argent liquide sentait le soleil qui tapait fort maintenant. Le soleil était moelleux. Le moelleux avait le goût des fraises qu’elle mangeait avec ses crêpes au miel.
Elle s’installa en tailleur et plongea ses prunelles dans les siennes. Fût un temps où elle les évitait chaque fois qu’il les posait sur elle.
Il adorait qu’elle le regarde.
Qu’elle le regarde vraiment.
— Ne dis pas une telle chose.
Est-ce que je vais te manquer ?
Est-ce que je manquerai à Lisa, maintenant qu’elle va avoir un bébé ?
Théodore se fichait bien qu’on se souvienne de lui. Il s’en foutait royalement de ne rien léguer au monde.
Ces derniers jours, il s’était fait la réflexion qu’il était normal pour lui de mourir si jeune, comme sa mère.
— Théodore !
Susan avait prononcé son prénom d’une voix claire et plus forte que d’ordinaire. Elle changea de position et s’assit sur ses talons, se mettant presque à genoux devant lui.
— Ne dis pas une telle chose.
Je lui manquerai.
— Il doit bien y avoir un remède…
Le trouvait-elle lâche, d’être si défaitiste, si pessimiste ?
Le prenait-elle en pitié parce qu’il refusait de se faire de faux espoirs ?
Elle ne lui avait jamais posé la moindre question sur sa maladie. Il aurait pourtant été disposé à lui répondre. Elle était la seule personne à savoir qu’il allait aussi mal.
— Non. C’est dans mon sang.
« Tu dois te donner une chance d’être toi, et pas qu’un nom. Tu n’es pas qu’un Serpentard repenti à qui on ne fera jamais confiance, alors que tu as tant encore à prouver, tant à dire et à faire, Théodore. »
C’était ce que Susan lui avait dit. Des mots qu’il avait retenu par coeur. Il aurait pu les réciter, en exécutant les pauses qu’elle avait fait, s’arrêtant sur les mots qu’elle avait prononcé plus fermement que les autres sans pour autant être capable d’imiter cette flamme qu’elle avait eut lorsqu’elle les lui avait prononcé ce soir-là.
Il sortit le retourneur de temps qu’il gardait toujours dans sa poche. Théodore s’en empara sans plus rien cacher de ses tremblements. Il garda le poing fermé sur l’objet.
Il savait que faisant une telle chose, il risquait de perdre l’amitié de Susan. Mais il le fait, parce qu’à elle, il était incapable de mentir. Susan savait trop bien distinguer le vrai du faux. Il ouvrit son poing et présenta sa paume à Susan, qui ne le toucha pas. Elle se pencha au-dessus de ses deux paumes entrouvertes et hoqueta.
Théodore l’admira, fascinée et curieuse de voir un tel objet. Il était rare de voir un retourneur de temps. Mais tenir entre ses mains un prototype… C’était sûrement quelque chose qui n’arrivait jamais. Il l’écouta compter les cinq anneaux. L'objet semblait bien plus complexe que les exemplaires qui avaient été un temps en circulation sur le marché sorcier. Le sablier au centre de l'appareil, coincé entre les cinq anneaux d'or, était énorme, rempli d'une substance aqueuse verte, qui semblait aussi visqueuse que du magma. Elle brillait au soleil.
— Tu n’as pas le droit de posséder un retourneur de temps, Théodore.
La loi. Le droit.
Que des inepties.
Ce qui comptait, c’était de faire ce qui était juste et c’était ce qui avait toujours animé Susan et Théodore.
Ce n’était pas parce que c’était la loi, que c’était bien.
Théodore ne voulait que le juste et le vrai. La loi lui importait peu.
— Je n’ai jamais cherché à l’utiliser. Lisa pense qu’il fonctionne parfaitement…
— Lisa est au courant que tu as en ta possession un retourneur de temps ? s’écria-t-elle, hors d’elle.
Elle regarda tout autour d’elle, soudainement soucieuse d’avoir été entendue.
— Mais tu es complètement inconscient ? Dois-je te rappeler que la moitié du monde sorcier pense que tu es un Mangemort qui n’attend que le retour de son maître ?
Mais elle, ce n’était pas ce qu’elle pensait. Alors de ça aussi, Théodore s’en fichait.
— C’est très sérieux ! siffla-t-elle. Tu pourrais être envoyé à Azkaban pour le simple fait de le tenir entre tes mains. Par Helga ! Je devrais te dénoncer…
Il avait l’intime conviction qu’elle ne le ferait pourtant pas.
Susan, la loyale, la bonne, la juste, au service du bien et de l’équité.
Elle se faisait un devoir de désobéir aux règles stupides et inutiles.
Contre toute raison, elle ne le dénoncerait pas et cela semblait l’embêter, autant que cela l’intriguer.
— Susan…
Elle replongea ses yeux dans les siens.
— Je suis un Roulet-Bouley.
Ce fût ainsi, qu’il commença le récit de l’histoire de sa famille devant Susan Bones.
Qui mieux qu’elle, pour comprendre le poids d’un héritage familial après tout ?
Elle avait renoncé au sien et il savait, qu’elle comprendrait mieux que personne.
***
If I sing you a love song, will you hear it forever
To remind you how much I care and how I needed you?
Lisa continuait de chanter et de manger des mirabelles. Alors il continuait de l’écouter et de lui tendre des serviettes en papier.
— Je suis passée chercher ton courrier au Ministère.
Il reposait en pile dans son salon et Théodore haussa les épaules, prêt à se mettre au travail. Il n’avait plus d’adresse postale depuis que la Gazette du Sorcier avait écrit cet article sur lui, le jetant au pâture à une société magique qui traquait les anciens Mangemorts.
Ils avaient pris l’habitude, avec Lisa, de trier son courrier.
Les parchemins de menaces habituelles sur la pile de gauche. Le courrier des gens tordus qui le félicitaient d’avoir tué un né-moldu dans la cheminée de Lisa. Le courrier administratif, sur la pile de droite. La correspondance qu’il échangeait avec Malefoy et Daphné Greengrass dans son sac.
Lisa devint soudainement et étrangement silencieuse. Théodore, prêt à parer à toute éventualité, s’empara d’une fiole de potion anti-nausée et la décapuchonna avant de lui tendre :
— Non, non, ce n’est pas ça. Théodore. Regarde.
Il loucha un instant sur une lettre, différente de toutes les autres.
Son adresse n’était pas écrite.
Le courrier était adressé à un certain « Théodore Nott Roulet-Bouley », écrit d’une écriture cursive, élégante et ronde. Un peu enfantine et maladroite, cependant.
Lisa le regarda avec méfiance et peur.
Il prit la lettre, feignant une assurance qu’il n’avait pas et la décacheta. Le parchemin avait une curieuse odeur de poussière. L’encre était violette et un jobarbille avait été dessiné. Il volait sur le papier, incrusté de paillettes argentées, échappant aux doigts de Théodore qui voulait le toucher.
« Ministère de la Magie — Département des Mystères — Salle du néant
Théodore, es-tu prêt à vivre une très belle aventure ?
Quelqu’un qui t’aime. »
Et au dos, avait été dessiné un billet semblable à ceux que l’on compostait à la gare, avant de prendre le Poudlard Express.