Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr : Quelques gouttes d’OS dans l’océan - (mars avril 2022).
Il le savait pourtant et ce n'était pas faute de mettre les élèves en garde à chaque rentrée scolaire. Mais du haut de ses cent quinze ans, il s'était fait berner comme un première année.
Et maintenant, regardez-le. Le sage Dumbledore, prisonnier des tentacules du calmar géant qui hantait les profondeurs du lac noir de Poudlard.
On disait qu'il avait été rapporté des eaux profondes au large de la Nouvelle-Zélande, qu'il était la forme animagus de Godric Gryffondor lui-même et toutes autres sortes de choses qu'il n'avait jamais jugé bon de confirmer ou d'infirmer, laissant l'imagination des élèves faire le reste et les maintenir loin des rives du lac. Pour leur propre sécurité.
Quoi qu'il en soit, pour le moment, le vieil homme pouvait juste attester que ce mollusque allait probablement le tuer et ce n'est pas la vision du gigantesque tentacule s'approchant de son visage qui allait le faire changer d'avis. Il commençait à manquer d'air, et, maintenu fermement par le calmar, il était dans l'incapacité de prendre sa baguette et de se lancer le sortilège de Têtenbulle. Il avait toujours pensé qu'il aurait une mort épique, digne de la grande vie et des grandes batailles qu'il avait menées. Mais non, il finirait là, au fond du lac, noyé ou étouffé.
Et pourtant, contre toute attente, la ventouse vint se poser avec douceur sur son visage, recouvrant son nez et sa bouche et alors que l'oxygène de ses poumons s'amenuisait de plus en plus, il sentit douloureusement un afflux d'air vital entrer dans ses bronches. Le vieil homme écarquilla les yeux de surprise : le mollusque géant lui partageait son oxygène. Dumbledore respira profondément.
Le calmar agita encore ses tentacules libres et enfin le directeur put voir un des yeux de l'animal. Un œil étonnamment sage. Ce mollusque devait être bien vieux pour le regarder ainsi. Ils se firent face ainsi pendant de longues minutes, le temps pour Dumbledore de s'habituer à respirer l'air que la créature lui prodiguait.
Comment en était-il arrivé là ?
Il était sorti de son bureau pour s'aérer les idées. Cela faisait des jours, alors que l'été approchait doucement, qu'il n'avait pas vu la lumière du soleil. Les élèves étaient tous en cours, le parc était vide, baigné par la douce chaleur du printemps. Ses journées s'égrenaient au rythme des soins que le professeur Rogue apportait à sa main qui décrépissait de jour en jour depuis qu'il avait retrouvé et détruit la bague appartenant à la famille de Voldemort. Le premier horcruxe. Le reste du temps, il le passait à faire du tri dans les souvenirs qu'il avait du jeune Tom Elvis Jedusor, à la recherche du moindre indice pouvant le mener au suivant et ainsi aider Harry dans sa quête. Il lui avait déjà montré tout ce qu'il pouvait lors des cours particuliers qu'il lui donnait depuis le début d'année.
Il tournait en rond dans son bureau, ne sachant que faire, quand il avait décidé de finalement sortir se dégourdir les jambes près du lac. Il avait laissé ses pas le porter alors que son esprit divaguait, toujours accaparé par ses sombres pensées. Il avait fini par longer le lac, à la portée des tentacules du Calmar.
Et le voilà, maintenant, les yeux plongés dans l'œil de la bête, sans aucune idée de ce qu'il devait faire pour se sortir de là, prisonnier d'un tentacule qui maintenait fermement son corps, le broyant presque dès qu'il tentait de se débattre et de libérer ses mains, et un autre, plaqué contre son visage, qui le fournissait en oxygène. Paradoxal quand on y pensait.
Dumbledore vit la paupière de l'animal se fermer lentement comme si ce dernier n'avait aucune notion du temps qui passait. Parce que, justement, le temps qui passait n'avait pas la même valeur pour lui. Dumbledore finit par se détendre et attendre. Puisque l'animal n'avait apparemment pas l'intention de le dévorer, il devait bien l'avoir attiré ici pour une raison.
- En effet, entendit-il dans sa tête.
Le vieil homme sursauta. Il avait entendu une voix grave et profonde. Une voix puissante et forte qui résonnait dans son crâne. Celle du calmar ?
- Non. Je suis le père de toute chose. Autrefois on m'appelait Varuna, Tangaroa, Noun, Neptune ou Triton.
Dumbledore écarquilla les yeux quand il comprit. L'Océan. L'Océan lui parlait à travers le calmar. Le Titan des vieilles croyances, il était toujours là, à veiller sur les Hommes. La créature cligna la paupière pour confirmer son intuition.
- Des forces sont à l'œuvre et je ne peux plus rester sans interférer. Vous êtes sur la bonne voie mais le temps est compté, prophétisa l'Océan.
Dumbledore se concentra. Si la créature pouvait communiquer avec lui, il était sûrement capable de lui répondre. La legilimancie allait l'aider. Pour cela, il fixa son regard dans celui de la bête et formula sa réponse dans sa tête.
- La bonne voie ? Les horcruxes, n'est-ce pas ? J'en ai déjà détruit un, pensa-t-il en agitant sa main morte qu'il avait finalement réussi à libérer devant le regard de l'animal, je suis sensé guider Harry mais je n'ai aucune idée d'où aller maintenant.
- C'est pourtant là, vous n'avez pas regardé suffisamment, lui répondit l'Océan.
- Montrez-moi alors !!
A peine eut-il terminé sa phrase que l'œil de l'animal se fit plus perçant et Dumbledore, qui avait abaissé toutes ses barrières mentales pour communiquer avec la créature, se sentit assailli par un souvenir, d'une force incroyable. Le vieil homme fut ébranlé. Toutes les émotions de l'Océan étaient limpides et la rage et la colère dominaient. Pourquoi ?
- Je n'oublierai jamais, grondait avec force l'Océan. C'était il y a trente-deux solstices. C'est là que la douleur et la maladie ont frappé !!
L'environnement autour du vieux sorcier disparut petit à petit, troublé par les flots et l'agitation extrême du mollusque. Puis l'image fut nette à nouveau devant lui.
Dumbledore regarda autour de lui et il comprit : il n'était plus dans le lac, il était dans l'océan, au bord d'une falaise. Il était l'Océan, revivant ses souvenirs, ses sentiments. Il flottait dans l'eau, parfaitement libre de ses mouvements et respirant sans contrainte.
Devant lui, un homme sur la corniche escarpée qui bordait la paroi rocheuse. Un sorcier. Il émanait de lui un pouvoir féroce, une ambition démesurée et une peur atroce. Son âme était aussi noire que les vêtements qu'il portait et que la magie qu'il pratiquait. Ses traits étaient blafards et cireux, rongés par cette pratique honnie. La noirceur semblait émaner de lui, ravageant son visage et son âme.
- Quel est le nom de cet homme, avait demandé l'Océan.
Un souffle lui répondit à la surface de ses vagues :
- Il en a plusieurs : Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-le-Nom, Vous-Savez-Qui, Le Seigneur des Ténèbres… avait murmuré le Vent. Et celui que tout le monde craint : Lord Voldemort.
Et même si ni l'Océan ni le Vent ne pouvaient l'entendre dans ce souvenir, Dumbledore ne put s'empêcher de murmurer :
- Je l'ai connu quand il s'appelait Tom Jedusor.
Voldemort était venu le long de cette falaise accompagné d'une petite chose rabougrie aux grandes oreilles et aux vêtements sales, de la taille d'un enfant.
- Qu'est-ce qui l'accompagne, avait demandé l'Océan, je n'ai encore jamais rien vu de tel.
- C'est un elfe de maison, les sorciers les ont asservis il y a bien longtemps, avait répondu le Vent, au rythme lent de son souffle caressant les vagues. Celui-là se nomme Kreattur. Il sert la noble et très ancienne maison des Black.
Le dos voûté et le nez en forme de groin, le petit être semblait avoir peur de celui qu'il suivait. Ecrasé par la terreur que lui inspirait cet homme, il jetait des regards tout autour de lui, se tirant les oreilles et poussant des couinements sans cesse plus aigus.
L'homme s'était approché, suivi de sa petite ombre, et était entré dans la crevasse menant à un tunnel que l'Océan engloutissait à marée haute.
- Il est déjà venu, enfant, avait dit le Vent.
- Je me rappelle, il avait emmené deux de ses camarades et les avait torturés, froidement. Qu'est-il revenu faire ici ?
Le Vent avait soufflé et les pans de la robe de Voldemort avait claqué au rythme des bourrasques. Au bout de quelques minutes, il était revenu répondre à l'Océan, la voix sifflante de colère.
- Il est venu cacher quelque chose, un objet maudit ! L'elfe va lui servir de cobaye pour tester les protections qu'il va mettre en place. Il veut se servir des eaux dans la caverne pour tuer !
Puis Voldemort avait appuyé sa main contre la paroi et celle-ci s'était écartée devant lui. La roche avait obéi. L'Océan avait jeté violemment ses vagues contre la pierre, en désapprobation. Le vent avait grondé au-dessus des flots. Le tonnerre s'était joint à leur colère. Mais l'homme n'en avait que faire, il avait ignoré les éléments, majestueusement.
Le Seigneur des Ténèbres était ensuite entré dans la caverne et la roche s'était refermée sur lui.
Pendant de longues minutes, Dumbledore n'avait rien vu de plus. Puis soudain, il ressentit une douleur incroyable dans ses tripes. Une torture qu'il connaissait bien, puisque c'était celle qui lui ravageait la main depuis plusieurs semaines maintenant. Mais là, c'était ses entrailles entières qui semblaient pourrir instantanément. Son calvaire était tel qu'il en avait des nausées et que son esprit regagna son corps, hors du souvenir de l'Océan. Il se retrouvait à nouveau dans le lac, une ventouse plaquée sur la bouche et le nez. Il se tortilla dans tous les sens pour tenter d'échapper aux tentacules du calmar qui le maintenaient et remonter à la surface, en vain. Puis soudain, alors que le mal disparaissait, le laissant essoufflé, la voix de l'Océan retentit à nouveau dans sa tête, amère, en colère.
- Cette souffrance, c'est le lac au fond de la grotte que Voldemort a ouvert qui me l'a fait ressentir. Il fait partie de moi et je souffre avec lui. Chaque minute. Depuis trente-deux solstices. Il a été maudit et je suis maudit avec lui.
Le directeur de Poudlard retrouva petit à petit une respiration normale mais le souvenir de cette douleur cuisante ne le quitterait pas de sitôt. Par une magie ancienne contre laquelle le vieil homme ne pouvait lutter, la colère de l'Océan bouillait encore en lui.
- Il a déposé un horcruxe dans cette grotte et des protections autour, expliqua-t-il en pensée. Afin que personne ne vienne le lui voler…
- Peu importe ce que cet humain a fait, je m'en moque, coupa l'Océan en colère, la voix toujours plus forte dans son crâne. Je n'ai que faire de vos guerres intestines. Mais une malédiction s'est abattue sur le lac, par la faute des sorciers. Le désespoir et la désolation se sont emparés des eaux. Si cela a quelque chose à voir avec votre quête, vous savez maintenant où aller. A vous de réparer ce que les vôtres ont fait.
- Je vais faire mon possible, mais je dois encore me préparer, il faudra que j'emmène Harry avec moi. A quoi dois-je m'attendre ?
L'Océan sembla hésiter. Maintenant qu'il avait partagé des souvenirs avec Lui, Dumbledore avait la sensation de comprendre ses sentiments. Et la rancœur, l'amertume, la haine et la colère prédominaient. Il le sentait bien, l'Océan n'avait plus confiance dans les Hommes, ils l'avaient trop déçu, ils s'étaient détournés de lui. Finalement, le Titan répondit à sa question :
- Le lac a englouti la petite créature et je l'ai senti faire, sans pouvoir intervenir malgré mon dégoût. J'ai ressenti toute sa satisfaction malsaine d'avoir capturé une proie dans ses filets. J'ai entendu le rire cruel de celui que vous appelez Voldemort. Il était satisfait. Il est ressorti de la grotte, seul. Impuissant, j'ai senti les eaux du lac se refermer sur la petite victime. Immobile, j'ai ensuite senti l'elfe s'agiter et se débattre. Puis enfin, j’ai senti la rage des cadavres ranimés quand il leur a échappé.
Les eaux autour de Dumbledore frissonnèrent et ce dernier avec elles alors qu'il murmurait :
- Des Inferis…
Mais le Titan continuait sa diatribe dans la tête du directeur, toujours plus fort, toujours plus en colère, sourd à ce que le vieil homme pouvait penser.
- J’ai senti la douleur du lac alors qu’ils le ravageaient. Cette douleur est la mienne et elle doit cesser ! hurla l'Océan.
Et aussi brutalement qu'il était entré dans l'eau, Dumbledore en fut chassé, sans aucune autre cérémonie. En se redressant difficilement sur la rive, trempé, frigorifié, il s'appuya sur un arbre planté là depuis des siècles, encore tremblant de l'ordre que l'Océan lui avait donné. Son crâne résonnant encore de la colère qui avait animé le Titan.
Ainsi, pour protéger son fragment d'âme, Voldemort avait usé de nécromancie. Il n'y avait donc aucun tabou qu'il n'avait pas levé. Il était allé jusqu'à faire appel aux morts pour hanter le lac de la grotte. Le vieux sage frissonna. Il lui fallait maintenant trouver cette caverne maudite. Mais comment faire ? Les grottes dans des falaises près de l’océan se comptaient par centaines, si ce n’est par millier !
Puis alors, il se rappela : la directrice de l'orphelinat où Tom logeait enfant avait parlé d'une excursion en été, en bord de mer, sur les côtes d'Irlande. Des falaises donnaient sur l'océan non loin du village où ils logeaient et le jeune Voldemort y avait entraîné deux de ses camarades. Ils étaient entrés dans une grotte avec lui et n'avaient plus jamais été les mêmes depuis.
L'Océan avait raison, il avait eu la solution sous les yeux depuis tout ce temps. Dans les souvenirs qu'il regardait encore et encore et qu'il avait montré à Harry lors de leur dernière entrevue.
Depuis le début d'année, il avait tout montré à l'adolescent, tous les souvenirs qu'il avait patiemment rassemblés. Tout ce qu'il savait à propos de Tom Jedusor avant qu'il ne devienne Voldemort. Ils avaient fait tous les deux ce voyage à travers les méandres de la mémoire et il lui avait fait part de ses hypothèses les plus folles. Et même s'il lui était déjà arrivé de se tromper par le passé, il se savait plus intelligent que la moyenne des sorciers et il était donc convaincu que ses hypothèses étaient les bonnes.
Plus que jamais, le vieil homme savait qu'il avait eu raison. Il était nécessaire au jeune sorcier de connaître son ennemi avant de songer à le détruire, pour le comprendre. Les horcruxes du mage noir étaient liés à son passé. Il était temps maintenant d'aller chercher le suivant.
Il avait pris sa décision. Harry connaissait suffisamment l'histoire de Voldemort. Dumbledore allait pouvoir lui donner l'horcruxe de la caverne, même si c'était la dernière chose qu'il ferait avant de mourir. Il était prêt à se sacrifier et risquer d'être noyé par les Inferis, puisque de toute manière, son temps était compté, songea-t-il en regardant sa main décrépie.
Ainsi fut fait, le soir même, Dumbledore convoqua Harry dans son bureau, lui demandant de le suivre et d'obéir sans discuter au moindre de ses ordres. Même s’il lui disait de se cacher. Même s’il lui ordonnait de fuir. Même s’il lui demandait de le laisser sur place.
- Harry, il est primordial que tu comprennes, insista encore le directeur. Les dangers que nous allons affronter sont au-delà de ce que tu peux imaginer. Alors, dis-moi encore une fois, si je te dis de me laisser et de te sauver tout seul tu le feras ?*
- Je… *
- Harry ?*
Ils se regardèrent pendant un moment et la volonté de Dumbledore ne céda pas, malgré la lueur de défi dans les yeux du jeune homme. Ce dernier finit par capituler, la mort dans l’âme :
- Oui, monsieur.*
- Très bien. Maintenant, va préparer tes affaires et retrouve-moi dans le hall dans cinq minutes et n'oublie pas la cape de ton père.*
Puis le vieil homme se retourna pour regarder au dehors, à travers la fenêtre embrasée par le crépuscule. Le lac noir revêtait une couleur toute particulière alors que le soleil se perdait à l’horizon. Il pouvait même apercevoir les remous que provoquait le calmar géant. Dans quelques minutes, il allait se rendre dans la caverne. Celle que l’Océan lui avait montrée. Celle qui renfermait un des horcruxes de Voldemort. Une caverne maudite qui causait la colère d'un Titan.
Dumbledore soupira en regardant sa main décharnée et noircie. Il était fatigué, las. Il savait que sa fin était proche. Il était parfaitement conscient qu’un complot visant sa vie grandissait dans l’école depuis un moment. Severus Rogue l’avait même confirmé. Mais il était prêt. Au cours de cette année, il avait appris à Harry tout ce qu’il savait sur son ennemi et il avait maintenant l’occasion de lui donner le premier fragment d’âme. L'Elu aurait toutes les cartes en main, ou presque.
Il retrouva Harry dans le hall, comme il lui avait demandé. Après lui avoir recommandé d’enfiler sa cape d’invisibilité afin que personne ne le voit sortir du château en sa compagnie, ils remontèrent l’allée en direction de Pré-au-lard alors que la nuit commençait à tomber.
Ils arrivèrent devant l’enseigne du pub La tête de Sanglier alors que les dernières lueurs du crépuscule s’éteignaient. Dumbledore se tourna vers l’endroit où Harry devait être et lui dit :
- Prends- moi le bras, nous allons transplaner. Inutile de serrer trop fort. Concentre-toi. A trois : un… deux… trois…*
L’instant suivant, ils se trouvaient tous les deux sur une corniche, les embruns leur fouettaient le visage et la lune se reflétait sur la surface de l’Océan, sombre, froid. Le vieux sorcier avait le regard perdu vers le large, ses lèvres bougeaient imperceptiblement, comme s'il adressait une prière muette à la mer déchaînée. L’eau était bouillonnante d’écume, les vagues déferlaient de toute leur puissance et venaient s’écraser sur les rochers à côté d’eux. Le directeur sortit brusquement de sa méditation et fit un signe de tête à Harry qui enleva sa cape et la rangea dans sa poche.
- L’Océan est en colère, Harry. Attention où tu mets les pieds, recommanda le vieil homme avant de commencer la descente le long de la falaise. Notre destination se trouve plus bas encore, il y a une petite crevasse le long de la paroi, c’est là que nous entrerons.
OooooO
L’océan les regardait descendre le long des rochers. L’impatience se mêlait à la colère et ses flots s’écrasaient rageusement sur la falaise.
- Calme toi, murmura le Vent. Ils sont notre seul espoir, ne va pas les tuer en les noyant.
- J'espère que tu as raison, Vent…
- Ils sont en bonne voie de gagner leur guerre.
- Je n’ai que faire de leur guerre, Vent.
- C’est pourtant seulement en la gagnant que la malédiction qui te fait tant souffrir sera levée.
L’Océan ne répondit rien, mais le roulis des vagues se calma alors que l'adolescent et le vieil homme plongeaient dans la mer froide pour rejoindre la caverne. Ils reproduisirent le même trajet que Voldemort avait fait seize ans auparavant et disparurent dans la roche pendant de longues minutes. Une fraction de seconde pour l’Océan. A nouveau il ressentit la faim du lac qui réclamait d’être assouvie. Puis cette frustration quand la proie lui échappa encore.
Et effectivement, à cet instant, les deux sorciers réapparurent à l’entrée de la crevasse, le vieil homme s’appuyant sur l’adolescent. Celui-ci avait le visage encore marqué par la terreur, serrant un médaillon dans sa main, et Dumbledore semblait mal en point. La douleur dans ses eaux était toujours là, sournoise, lancinante, ravivée par le passage des deux humains.
Le Vent les suivit lors de leur retour à l'école, pour trouver la marque des Ténèbres au-dessus du clocher. Dumbledore mourut ce soir-là et l'Océan marqua sa rage et son désespoir en déclenchant une tempête phénoménale sur les côtes de Grande-Bretagne.
Pendant des jours, des semaines, des mois, le Titan ne laissa aucun répit à la roche. Sa colère était telle que les habitants des environs n'approchaient plus des falaises, de peur d'y laisser la vie. Il n'en avait que faire, les Hommes qui le vénéraient autrefois l'avaient oublié, il en ferait de même.
Il avait espéré. Il avait partagé ses souvenirs. Il y avait cru. Mais finalement, comme à chaque fois, il avait été déçu. La vie des hommes est trop fragile, on ne peut rien leur demander : jeune ou vieux, sages ou non, sorciers ou pas, ils essaient, c'est tout ce qu'ils savent faire.
Alors il lançait ses vagues avec toute la force de sa rage et de sa colère contre la falaise. Elle finirait par céder et entre temps plus personne ne viendra nourrir cette aberration au fond de la grotte. La pluie, la neige, la glace vinrent se joindre à lui à mesure que le temps passait. L'eau sous toutes ses formes pour tenter de sauver leur semblable.
Puis un jour, alors qu'une année entière était passée, tout s'arrêta. Le calme revint dans la grotte, la douleur de l'Océan avait cessé. D'un coup la malédiction avait disparue. Alors le Titan se calma enfin.
- Voldemort n'est plus…, murmura le Vent dans les vagues apaisées.
L'Océan hésita.
- Ils ont réussi alors ?
- Peut-être que les hommes ont plus de ressources que tu ne le penses, souffla le Vent, moqueur.
L'Océan ne répondit pas, son attention fixée sur la falaise. Trois personnes venaient d'apparaître. Au milieu, un jeune adulte qu'il avait déjà vu, aux lunettes rondes avec une cicatrice en forme d'éclair sur le front. Il tenait un bout de bois dans sa main.
- La baguette de sureau, Harry, tu es sûr que tu ne veux pas la garder ? demanda un garçon au cheveux roux.
- Cette baguette a causé plus de mal que de bien, la recherche du pouvoir rend les gens fous, Ron.
- Mais quand même... une relique de la mort, Harry ! La baguette la plus puissante qui existe, créée par la Mort elle-même…, objecta la sorcière qui les accompagnait.
- C'est une légende, Hermione. Et puis, ma baguette à moi ne m'a jamais fait défaut.
Le jeune homme avait le regard perdu, au loin sur les flots. Il jouait avec la baguette entre ses mains, la faisant tourner sans cesse entre ses doigts.
- Dumbledore m'a emmené ici, il y a un an, reprit-il au bout d'un moment. Il a regardé l'océan avec un respect immense pendant de longues minutes. Il disait que c'était l'élément le plus puissant qui existe, qu'il était capable de nous nourrir comme de nous tuer. Qu'il pouvait nous porter ou nous broyer, selon ce qu'il voulait. Je crois qu'il avait raison. La baguette de sureau sera en sécurité ici.
Il tourna encore la baguette dans ses doigts pendant quelques secondes, le regard toujours porté sur l'Océan, puis d'un geste vif la lança du haut de la falaise. L'Océan l'engloutit et les courants la portèrent jusqu'au fond d'une des fosses les plus profondes. L'adolescent lui faisait confiance, le Titan ne le trahirait pas, jamais la baguette ne pourra être retrouvée. C'est la promesse que l'Océan lui fit pour avoir sauvé les eaux du lac. Le Vent la lui porta et ébouriffa les cheveux bruns du garçon et même si Harry Potter ne l'entendit pas, la bourrasque qui l'enveloppa gonfla son cœur d'espoir et il sourit à ses amis alors qu'il s'en retournait déjà.
En le regardant partir, l'Océan murmura :
- Tu avais raison, Vent. Peut-être que l'humanité n'est pas perdue, finalement.