Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du fest organisé par FESTUMSEMPRA sur le thème « Pages Manquantes ». (que j'ai participé à animer, héhé).
Que dire d'autre? à part :
"Denial is a river in Egypt! Your best friend will soon be dead!"
Si vous comprenez la ref, j'vous aime.
ah, et est-ce que "narrateur indigne de confiance" et "mauvaise foi" peuvent être des TW??? on va dire que oui !
Severus ne s’était jamais senti aussi important de sa vie.
Il était en passe de devenir un des préférés du Maître. Et tous les préférés ne naissent pas égaux. Tous les préférés ne naissent pas dans des familles prestigieuses. Certains préférés sont des monstres en puissance ; pas des brutes, des idiots, des accros de la massue. Des monstres de précision, de violence demandant à s’épanouir sous la direction d’une main généreuse. Celle d’un homme savant, méritant les attentions et les forces vives de l’apprenti.
Depuis l’Incident, Severus n’était pas dupe. Il connaissait par cœur la tactique consistant à faire en sorte que chacun se sente favorisé. Après tout, c’était exactement ce que Lily avait fait avec lui.
Enfant, il était le seul meilleur ami de Lily. Cependant, les camarades de classe possédaient quelques attraits : untel pouvait prêter les meilleures BD à Lily, unetelle l’emmenait parfois en week-end avec sa famille pour visiter des sites historiques. Verres polis, distrayants, bijoux bons marchés qui n’atteindraient jamais l’éclat d’un joyau.
Qui aurait pu égaler Severus ? pour commencer, il avait révélé à Lily qu’elle était une sorcière. Ils parlaient sans fin de Poudlard. Ils avaient si hâte d’y aller ! ils allaient découvrir pleins de choses, se faire pleins d’amis comme eux ! Ce secret les liait par le sang. Le sang magique, peu importe qui étaient les parents de Lily. Ils jouissaient de l’intimité de ces heures parfaites, camouflées hors du temps par leurs rires, derrière leurs mains graciles d’enfants.
Leur animosité pour Pétunia, aussi, les rapprochait. Lily avait trop bon cœur pour critiquer durement sa sœur, y compris dans son dos. Et pourtant éclataient de temps à autres des colères souterraines, qui ne pouvaient s’exprimer que devant un autre enfant, un autre sorcier ; le seul qui comprenait la jalousie touchant aux capacités magiques. Comment de tels sentiments mortifères n’auraient-ils pu dégénérer ? Même si demain matin, Pétunia se réveillait sorcière, elle en aurait voulu à Lily de l’avoir devancée. Il en était ainsi des personnalités perfides, incapables de bienveillance. Des gens fades, sans talent.
Un « Si seulement Pétunia était plus gentille » signifiait « c’est une personne médiocre, dénuée de tendresse » ; un « elle n’a pas de bonnes notes » était un message codé pour « même si elle avait des pouvoirs, elle ne mériterait pas d’aller à Poudlard ».
Severus déchiffrait le langage de sa meilleure amie, se faisait le miroir de ses sentiments, sans jamais pousser les termes dans les retranchements de la cruauté. Il répondait par des faits, des validations qu’aucune personne extérieure à leur duo n’aurait été capable de percevoir comme mauvaise.
Lily éprouvait de tels remords à l’idée de traîner sa sœur dans la boue qu’elle leur avait fait adopter un langage inattaquable ; le meilleur des avocats ne l’aurait pas désavoué. Severus n’allait pas plus loin que « elle devrait prêter plus souvent ses affaires » ou « c’est vrai qu’elle devrait s’appliquer plus en cours ». Qui aurait pu les incriminer ?
Lily n’était pas mesquine. Elle rayonnait. Ses parents ne voyaient que ce qu’elle montrait à tout le monde : elle aidait ses camarades quand ils ne comprenaient pas un cours, elle donnait ses vieux jouets à des associations caritatives sans broncher. Elle pleurait si un moineau était écrasé sur la route.
Ça, c’était avant l’Incident.
Pourtant, Lily avait besoin de se défouler. De critiquer Pétunia, même mollement. De laisser se fissurer son masque, juste assez pour ne pas se sentir vilaine. Pour ne pas un jour se déchaîner contre la responsable de ses tourments.
Severus savourait son privilège. Il assistait à une sorte de mise à nue émotionnelle. Il ne lui venait pas à l’esprit de retourner ce qu’elle lui confiait contre elle. Il était Athéna, la chouette de la sagesse, intimant Lily à être honnête, à ne pas avoir honte de ses pensées. Assis sur une branche d’arbre dans un parc, ils auraient aussi bien pu être sur la lune, au-dessus de la mêlée des gens tristement communs.
Poudlard changea leur relation du tout au tout. Répartis dans des maisons en conflit permanent, ils se retrouvaient discrètement pour papoter, inventer des sorts et des potions, et rire de tout le monde.
Le secret de la magie et de sa sœur la vilaine fée s’effaçaient, au profit d’autres visages. Carabosse n’était plus qu’un lointain souvenir. Poudlard regorgeait de magie, un tourbillon qui les happait avec bonheur. Une valse splendide étouffait les protestations stridentes de la mégère.
Puis tout s’était effondré.
L’Incident.
L’agression de Potter. Le sourire mal retenu de Lily – celui qu’elle réservait auparavant aux plaisanteries limites de Severus à propos de sa sœur, ou de leurs camarades. La honte.
La haine.
Le mot impardonnable, les supplications. Rien. Il n’avait jamais cru Lily capable de le haïr, elle qui ne détestait personne.
Puis, il avait réfléchi. Retourné le problème dans sa tête. Examiné la question sous toutes ses coutures, comme lorsqu’il modifiait une potion. Il avait pesé les ingrédients de l’échec, le pour et le contre de la catastrophe.
Qui était-elle pour le juger ? Les Mangemorts en herbe avec qui il traînait lui offraient mille secrets que Lily ignorait. Des secrets qui ne consistaient pas simplement à parler, à critiquer dans le dos. Il apprenait des sorts terribles qui évitaient que des incidents fâcheux se produisent. L’action contre la parole morte. Le combat plutôt que la sagesse stérile de la chouette.
Pourquoi accepter cette position de subalterne, d’acolyte ? de simple extension de son amie ? il méritait mieux. Il n’avait pas à rester le pauvre compagnon que l’on tolère parce qu’il est touchant dans sa maladresse. En quoi était-il tenu de voler au secours de la jolie sorcière effrayée par ses pouvoirs ? Tant qu’à conseiller, autant le faire pour un grand homme. Un homme qui lui donnait l’occasion de se transformer en quelque chose de plus discret ; un espion subtil, un papillon de nuit certes minuscule, mais gracieux. Efficace comme nul autre.
Qui était-elle pour lui rapprocher d’avoir de mauvaises fréquentations, quand elle aimait un sale type et sa bande de toutous serviles ? Severus n’était pas le seul maltraité par les Maraudeurs. On pouvait l’accuser d’avoir toujours aimé la magie noire, certes. On ne pouvait pas faire de reproches à Xenophilius Lovegood. Il ne méritait pas qu’on lui vole ses affaires. Ses théories farfelues ne faisaient de mal à personne. Pourtant, les Maraudeurs ne manquaient pas une occasion de faire disparaître ses effets personnels.
Qui était-elle pour l’abandonner pour un mot de trop ? Ricaner devant la violence, n’était-ce pas une attitude aussi condamnable ?
Severus réalisa un jour qu’il n’avait jamais été vraiment son préféré. Elle s’était délestée de lui sans trop de difficulté. Après tout, leur proximité avait toujours été un simple hasard. S’il y avait eu un autre enfant magique dans les parages à l’école primaire, l’aurait-elle jamais apprécié, lui, le gros nul mal fagoté, fils d’alcoolique ?
Avant l’Incident, elle passait déjà beaucoup de temps avec ses copines insignifiantes, des greluches qui ne s’intéressaient qu’à leurs petits copains et aux prénoms qu’elles donneraient à leurs futurs rejetons. Dès le lendemain de l’Incident, Lily avait remplacé leurs rencontres privées par du temps avec les Nigaudes, comme Severus les appelait dans sa tête.
Il n’était pas spécial. Depuis le début. Il était devenu le confident de choix, parce qu’il n’y avait pas d’autre choix.
Par moment, quand il réalisait une potion pour son Maître, une idée dérangeante rampait sous son crâne comme un scolopendre, partant de sa nuque pour atteindre sa rétine et y rester accrochée : il était exactement comme sa mère. Il avait placé tous ses œufs dans le même panier. Eileen avait abandonné une famille malsaine pour un homme pire encore, placé sa vie dans les mains destructrices d'un salaud sans gloire.
Severus avait tout misé sur une amie, puis sur un homme puissant. Un homme hors du commun, qu’il avait honte en son for intérieur de comparer à qui que ce soit.
Et pourtant… s’il tombait en disgrâce… si le Maître venait à disparaître…. Qu’adviendrait-il de Severus Rogue, de ses amitiés factices avec ses compagnons d’armes ?
Il travaillait à temps plein pour le Seigneur des Ténèbres. Il n'était pas grassement payé, mais il était nourri et logé agréablement, avec une immense bibliothèque à sa disposition. Environ une fois par semaine, le Maître discutait pendant des heures avec lui de théories magiques. Ces stimulations intellectuelles remplaçaient aisément celles que lui avait procurait Lily. Le Maître lui dispensait des enseignements inimaginables. Et encore, Severus sentait que s’il montait en grade, il en saurait davantage. Jusqu’ici, le Maître n’égratignait que la surface. Il réservait le meilleur pour la suite.
Le respect, de rigueur, rendait la conversation moins fluide et enjouée qu’avec Lily, mais quelle importance ? Un grand corbeau protégeait maintenant Severus sous son aile, l’abritant de la fureur et du bruit. Severus était enveloppé de promesses et de parures symboliques. Chez les Mangemorts, le roi n’était pas nu, et il dispensait son asile avec munificence.
Severus restait à l’affût des autres traces de favoritisme. Il faisait confiance à son Maître. Néanmoins… s’il était comme le père de Severus… qui prétendait que ses maîtresses n’étaient rien… que sa femme restait sa chouchoute… Si le Maître était comme Lily… s’il profitait de la difficulté de Severus à se faire des amis…
Dans ses instants de doute, il voulait médire de Lily. Raconter toutes les petitesses dont elle était capable. Mais à qui ? les Mangemorts se moquaient bien de ses entorses à la bienséance, et une Sang-de-Bourbe aurait pu être la Sainte Vierge sans trouver grâce à leurs yeux. Les mesquineries de Lily Evans avaient longtemps revêtu l’apparence d’une monnaie d’échange, un chantage théorique, pendant les années où le fossé s'était creusé entre eux. Le jour de l’Incident, Severus se rendit compte que son trésor avait oxydé. Ils avaient choisi leur camp ; les secrets d’hier ne valaient plus rien. En cristallisant les tensions, l’Incident avait fait éclater une verroterie de pacotille déjà fendillée.
Le souvenir cuisant de l’Incident hantait ses rêves. Les rires, en particulier, pénétraient la plaie comme un scalpel aiguisé. S’il ne s’était agi que d’être la tête en bas dans un couloir désert, passe encore. Mais l’humiliation publique avait une saveur particulière, métallique et sanguine.
Alors, il perfectionnait ses potions. Il aiguisait Sectumsempra. Il laissait un frisson parcourir son échine. Il écoutait ce désir de vengeance contre l’existence. Severus donnerait du fil à retordre à tous ceux qui avaient entravé ses talents. Il enfanterait des idées nouvelles, inoubliables. On parlerait de lui dans les livres d’Histoire. Le brillant inventeur serait reconnu pour ses intuitions prophétiques.
Enfant, Severus chérissait chaque instant avec Lily. À présent, il s’épanouissait à chaque compliment du Maître. Il se remémorait après chaque cauchemar qu’il s’intégrait de mieux en mieux parmi ses pairs. Même quand Lucius n’était pas là pour s’assurer que les plaisanteries autour d’un verre ne dégénèrent pas en « La Fête à Severus le Bizarre ». Son chaperon absent, il arrivait à faire rire les autres avec lui. Il était en passe d’avoir le bon foie et six bièraubeurres, comme le voulait le proverbe. De goûter aux plaisirs intellectuels et amicaux. C’était plus que ce qu’il n’avait jamais osé espérer.
Un jour, le Seigneur des Ténèbres verrait qui il était. Il mesurerait sa vraie puissance. Ses camarades n’hésitaient pas à se vanter des faveurs accordées par le Maître : il passait plus de temps avec Dolohov qu’avec Rodolphus. Lucius avait reçu un sourire encourageant à la dernière réunion, et Bellatrix, une mission secrète à accomplir. Grâce à ces révélations (ou roublardises, selon le degré de véracité qu’on leur accordait), Severus calculait plus objectivement son rang. Il se hissait de plus en plus dans la hiérarchie. Un jour, il serait le bras droit du Seigneur des Ténèbres – désolé, Lucius.
Severus n’était pas vraiment désolé. En fait, il ne l’était plus du tout depuis le jour où Lily avait refusé ses excuses. Une sorte d’engourdissement du cœur l’aidait à survivre. L’Incident avait scellé quelque chose en lui. Il laissait ces réminiscences pénibles dans le passé, dans la chrysalide. Elle finirait par être dévorée par le temps, et la souffrance avec elle.
Severus arrêta de touiller sa potion et la mit en stase. Dans une minute, il avait rendez-vous avec son Maître. Il s’apprêtait à lui révéler une fabuleuse prophétie. Des mots décisifs, qui l’amèneraient au pouvoir. Des paroles pures et parfaites dans l’esprit de Severus, tangibles comme l’or, et certaines comme la gloire.
Il ne voyait vraiment pas ce qui réveillerait son esprit de cette langueur délicieuse.
Tout allait à merveille.
Un grand merci encore à mes betas Xyxo_the_Ghost et feufollet !
Pour le fest, il fallait s'inspirer d'un proverbe sorcier (tiré des bouquins ou inventé par l'équipe d'organisatrices) et d'une image. Le mien était "avoir le bon foie et six bièraubeurres" et la peinture "The Witch's Daughter", d'où l'illu!
N'hésitez pas à reviewer, cela réchauffe mon p'tit cœur et je vous répondrai sans faute!