Luna avance à pas de loup sur le chemin escarpé qu'elle gravit depuis maintenant quelques heures. Elle aurait pu transplaner directement à sa destination, mais elle n'est pas magizoologiste pour rien : elle aime la nature, les plantes, les animaux. Autour d'elle s'étendent des tapis de fleurs qui percent la neige. De l'armoise, des campanules, des chardons bleus.
Mais pas d'edelweiss, cette fleur qui fait la renommée de la Suisse, qui ne poussera qu'en été.
Pour l'instant, il n'est pas encore là. Même le printemps n'y est pas encore tout à fait. Quand Luna a quitté Berne, la capitale du pays où elle se trouve, elle a surpris les touristes venus visiter la maison d'Albert Einstein, un célèbre scientifique moldu, à grelotter de froid. Touristes trop confiants, bernés par la douceur de cette fin du mois de mars.
Albert Einstein. Un scientifique, mais aussi un fantasque pour certain, à l'origine de phrases savoureuses comme "Il n'existe que deux choses infinies, l'univers et la bêtise humaine... mais pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue." Luna s'était intéressée à lui d'abord parce qu'elle aussi était considérée comme "fantasque" (même si au fond, qu'est-ce que ce mot veut dire ?) et après à cause de cette phrase. Elle qui aimait tant la nature savait tous les dommages que l'Homme (sorcier comme moldu) lui avait infligés par simple stupidité. Elle repense au vivet doré, qui a failli disparaître, et à toutes ces espèces qui se sont éteintes à cause des activités moldues. L'Homme est le seul animal assez stupide pour déclencher des guerres comme celles qui avaient coûté tant de vie à la communauté magique anglaise. Luna a fait son deuil de tous ces morts, mais cela lui a pris du temps.
Trêve de digressions, elle est là dans un but précis. Si la jeune magizoologiste crapahute dans les montagnes alpines, ce n'est pas pour faire du tourisme ! Non, elle est là dans le but de retrouver un animal échappé. Un Sombral. Luna les a toujours aimés et elle était là mieux placée pour réussir la mission que lui a confiée le Ministère de la Magie suisse, le retrouver.
Or celui-ci est parti droit vers les montagnes. C'est pour ça que Luna est là, maintenant, à guetter le moindre bout d'elle noire tranchant avec le ciel bleu.
Même s'il y a peu d'espoir à le trouver de cette manière-là. En effet, la seule caractéristique marquante de la créature évadée était que, contrairement à ses semblables, elle préférait l'obscurité des grottes à la fraîcheur des forêts de feuillus. D'où sa destination.
Luna est confiante, elle a toujours eu une affinité particulière avec les Sombrals. Un seul point l'inquiète. C'est qu'il y a des ours en Suisse, dans les montagnes. Et que si Luna aime toutes les créatures, les voir, les fréquenter, les observer, elle s'est trouvée un problème fort problématique pour une magizoologiste : elle est allergique aux ours, et aux ursidés en général. Lorsqu'elle est à proximité d'eux, elle devient violette et tousse pendant une bonne dizaine de minutes (ah, les joies des maladies magiques...).
Et les baumes et potions à base de salive de gnome ou de graines de tournesol n'y font rien. Alors Luna les évite en général ; après tout, elle n'est pas zoologiste et ne doit s'occuper que des créatures fantastiques.
Dans le cas présent, cela risque toutefois de poser problème. En hiver, les ours hibernent. Dans des grottes. Là où est censé se trouver le Sombral.
Reste à savoir si le printemps est arrivé. Dans ce cas, ils seront sortis, et Luna n'aura pas à croiser d'ours.
Elle regarde de nouveau la prairie qui s'étend devant elle. La neige est encore là, tentant d'empêcher les bourgeons de fleurs de pousser. Mais centaurées, gentianes, populages et renoncules ne se laissent pas vaincre et commencent à ouvrir leurs pétales éclatants.
Toute cette neige lui fait penser à chez elle. À Loutry-Ste-Chaspoule, il ne neige pas tous les hivers, mais quand cela arrive, Luna a toujours été éblouie par elle. Ensuite, elle a découvert Poudlard et ses flocons nombreux et splendides, mais elle n'oubliera jamais la vision de la petite terrasse derrière sa maison, pas très grande, délimitée par des haies pour cacher les phénomènes magiques qui s'y produisaient aux Moldus. Et blanchie par l'hiver. Luna adore son travail mais... Mais ça c'est juste le bonheur.
Luna se réveille de la contemplation d'un primevère jaune, particulièrement beau. Puis d'une violette éclatante. Et d'une touffe de valériane. Elle lève les yeux. Dans le ciel bleu passent des hirondelles. C'est sûr ! Le printemps est arrivé.
Luna explore alors les grottes avec minutie, délivrée de sa crainte d'y croiser un ours.
Mais alors qu'elle explore la onzième, elle entend le hennissement si particulier d'un Sombral. Elle s'avance, les yeux presque fermés pour se concentrer sur le bruit.
Et elle le voit, l'apaise. Elle pose sa main sur sa croupe, et marche lentement vers la sortie. Soudain, elle entend un grognement. Non, plutôt un ronflement. Elle se retourne.
Un ours !
Luna monte en catastrophe sur le dos du Sombral, et l'incite à quitter rapidement les lieux.
Quand ils s'élancent tous deux dans le ciel, il neige.
Et Luna est violette, et elle tousse.
Au loin, les hirondelles semblent la narguer.
Non, décidément, parvient à penser la magizoologiste entre deux toux, non décidément, une hirondelle ne fait pas le printemps !