Aujourd'hui, Papa est mort. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un message de son elfe : “Maître décédé. Enterrement demain. Sentiments distingués.” Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.
Avec lui, s'éteint sa génération. Le dernier témoin vivant de la bataille de Poudlard. Après lui, plus personne ne racontera les années sombres. La répression. La résistance. Voldemort. La guerre. Après lui, que restera-t-il de cette époque. Quel est son héritage ? Quel est mon héritage ? Aujourd'hui, Papa est mort. Et il a emporté une partie de mon monde avec lui. Parce que mon monde, ma communauté, se meurt.
Quand Oncle Ron est mort, il y a 15 ans, son enterrement était le plus grand jamais réalisé depuis Albus Dumbledore. L'émotion avait envahi la communauté sorcière. Et on se rappelait. De la Guerre. De Voldemort. De la résistance. De la répression. Et on jurait. Plus jamais ça. Souvenons-nous. Et notre ministre de la magie l'affirmait. Cela n'arriverait plus. Et on acquiesçait. Cela n'arriverait plus jamais. Les témoignages étaient trop émouvants, trop nombreux, trop récents. Et puis, quelle importance ? Nés-moldus, Sangs-mêlés, sang-pur, ... Au final ça ne changeait rien, non ? Non, tout le monde l'affirmait.
Je me rappelle de son enterrement. Un magnifique ciel bleu, sans nuage. Et la vie suivait son cours.
Quand Tante Hermione est morte, il y a 10 ans, son enterrement a réuni énormément de monde. Beaucoup de politiciens sont venus se recueillir sur la tombe de l'ancienne ministre. Et sont venus enterrer sa politique avec elle. Son mandat éclairé n'était plus d'actualité. Il était d'un autre temps. Un temps de reconstruction, où chacun était le bienvenu. Toute aide était bonne à prendre, nés—moldus, sangs—mêlés ou sangs purs. Mais ce temps était révolu. La communauté s'était agrandie depuis lors, très rapidement. Trop rapidement ? Les sorciers peinaient à trouver du travail. A Poudlard, les cours d'économie magique avaient remplacé les cours d'étude des moldus. C'était plus utile, vous comprenez ?
Je me rappelle de son enterrement. Le ciel bleu était ponctué de nuages, mais les rayons du soleil, inlassablement, éclairaient la sépulture. Comme un dernier hommage. Et la vie suivait son cours.
Quand mon parrain, Neville, est mort, il y a 5 ans, son enterrement a réuni quelques personnes. Des vétérans, essentiellement. Il faut dire que l'annonce de ses funérailles n'a jamais été publié. Un oubli malheureux du stagiaire à la Gazette. Il n'avait pas saisi l'importance du personnage, tout cela remontait tellement loin, vous comprenez ? Et puis, il n'avait pas choisi l'option Histoire de la Magie, à Poudlard. C'était tellement rébarbatif. Il faut vivre tourné vers l'avant, et non vers l'arrière. C'est ce qu'il avait appris dans le cours d'économie magique. Et puis entre nous, ce Londubat, a-t-il vraiment été ce héros dont on parle tant ? C'est un peu gros, vous ne trouvez pas, cette histoire d'épée et de serpent décapité. Sûrement un des nombreux mythes sur la guerre, pour la justifier. En tout cas c'est ce qu'on dit à Poudlard. Que les gens cherchent à discréditer Serpentard par tous les moyens. Que les sangs—purs sont enviés. Est-ce que ce ne serait pas ça qui a causé la Guerre ? La jalousie des sangs—mêlés et des nés—moldus ? De toute façon, comment le saurait—on ? Les témoins disparaissent les uns après les autres, et les souvenirs laissés dans les pensines sont altérés depuis longtemps. Il faudrait les croire sur parole, ces vieillards ?
Oui, et je les croyais. Je me rappelle de son enterrement. Le ciel était gris. Froid. Mais la vie suivait son cours.
Aujourd'hui, Papa est mort. Son enterrement n'a pas réuni grand monde. Il faut dire qu'on nous a recommandé de l'inhumer discrètement. Par les temps qui courent mieux vaut ne pas faire de vague, vous comprenez ? Et le ministère ne peut pas se permettre de libérer les aurors qui voudraient rendre un dernier hommage à leur ancien chef. Car aujourd'hui, c'est la passation de pouvoirs. Le nouveau ministre de la magie prend ses fonctions. Et papa était sang—mêlé. On n’allait certainement pas commémorer un de ceux qui ont contribué à la guerre. Car c'était maintenant une certitude que les sangs—mêlés et les nés—moldus étaient responsables de la Guerre. C'est d'ailleurs pour ça que ce ministre avait été élu. Dans cette période de trouble, il faut protéger les intérêts des sangs—purs. Pour éviter une nouvelle guerre, vous comprenez ? Alors nous sommes là, seuls. James, Lily et moi. Nos enfants. Quelques un de nos petits-enfants. Mais pas tous. Certains ont préféré accompagner la marche triomphale de notre nouveau dirigeant jusqu'au Ministère. Scander "Dehors les sangs de bourbe". Il y a Maman aussi. Mais elle n'est plus vraiment là. Son esprit est tombé malade avant son corps. Je la vois regarder dans le vide. Comprend-elle que Papa est parti ? Je ne sais pas. Dois—je la plaindre ? Je ne sais pas. Dans son malheur, elle n'aura jamais rien su de cette terrible décadence. De la métamorphose de notre société. De l'amnésie générale sur les raisons de la dernière guerre. De notre lente marche en avant vers la prochaine. Je regarde la dépouille de mon père disparaître. Je pleure. Lily aussi. James le pourrait, s'il n'était pas aussi fatigué. Il ne se déplace plus qu'avec une canne désormais. En le voyant, j'imagine à quel point nous sommes vieux nous aussi.
Son enterrement est émouvant. Malgré la pluie, le vent et le froid.
Demain, je mourrais. Et alors, les dernières digues seront rompues. Nous sommes les derniers gardiens de la mémoire de la Guerre. Nous ne l'avons pas vécu, mais nous avons vu chez nos aînés. Les yeux qui se vident, les sourires qui s'effacent, le poids de la responsabilité, de la culpabilité. Après nous que restera-t-il ? Je pense à mes enfants, et j'ai peur. Je pense à mes petits—enfants, et je suis terrifié. Nous avons commémoré les 80 ans de la bataille de Poudlard. Les 80 ans de la fin de la 2ème Guerre des Sorciers. Nous pensions que cela n'arriverait plus. Pendant longtemps, nous l'avons pensé. Avec arrogance, peut—être. Nous étions les enfants des Héros. Les Héros sont tombés. Le cycle peut recommencer. Les nés—moldus et les sangs—mêlés seront progressivement stigmatisés. Le pouvoir sera confisqué. Une nouvelle génération de Héros se lèvera. Se battra. Et dans 180 ans, nous commémorerons la fin de la 3ème Guerre des Sorciers. Ou bien tout sera détruit. Qui peut le savoir ? Pas moi. Car demain, je mourrais.
Albus.