Maman veille, dors encore
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr : Mamma Mia ! (mai – juin 2024).
— Harry ! Je te l’ai déjà dit, n’utilise pas ton balai-jouet pour faire peur au chat, grondè-je.
Le chat, tout ébouriffé par la trouille que tu viens de lui flanquer, se réfugie sous le canapé alors que tu lui fonces dessus pour tenter de le rattraper et le traumatiser davantage. Tu t’arrêtes net en m’entendant élever la voix, en plein vol, juste au-dessus de la table basse. Je pointe un doigt qui se veut menaçant vers toi et tente d’être sévère, en vain : il suffit que tu me regardes avec tes grands yeux verts et ton sourire si innocent pour que je fonde, le cœur gonflé d’amour et de joie. Sans compter que je perds toute crédibilité quand tu entends ton père rire aux éclats au moindre de tes exploits sur ce truc.
Je râle mais je dois bien avouer que cette hilarité fait du bien dans cette période troublée et te voir heureux, aussi simplement, ramène de la normalité dans tout ce que nous vivons.
La guerre est à son paroxysme. Cela fait maintenant presque un an que Dumbledore est venu nous trouver pour nous dire de nous cacher et de faire usage du sortilège de Fidelitas afin d’enfouir notre secret au fond du cœur d’un gardien, quelqu’un de confiance. C’est ton oncle Peter qui joue ce rôle. C’est Sirius qui a eu l’idée. On se cache depuis mais James en a assez d’être enfermé ici et je dois dire que je le comprends : le temps se fait long. Tu es notre seule réelle distraction. Ta joie de vivre et tes rires nous rappellent l’importance de notre sacrifice.
C’est pour cette raison que je suis quand même reconnaissante envers ton parrain de t’avoir offert ce jouet. C’est le seul qui te rende heureux en ce moment, tu ne le lâches plus depuis que Sirius te l’a offert pour tes un an. Cela fait trois mois maintenant. Jamais je n’aurais imaginé qu’il te plairait autant et si longtemps. Ton père a sans doute raison, tu développes déjà un certain talent pour le Quidditch et j’en connais deux qui ne vont pas se plaindre de ça. Finalement, même si je leur ai beaucoup reproché leur insouciance quand nous étions adolescents, je me rends compte maintenant que ce qui en reste a du bon.
Je me détourne de cette scène et regarde par la fenêtre du salon pour cacher un sourire. La nuit est tombée depuis un moment déjà et les enfants moldus du village se promènent dans les rues, fiers de leurs déguisements qu’ils pensent sans doute effrayants. S’ils savaient à quel point moi je les trouve craquants, ils seraient probablement déçus.
J’aurais aimé te déguiser toi aussi. Tu étais tellement adorable dans ton costume de chupacabra l’année dernière. C’était ton premier Halloween, tu étais encore tout petit à l’époque mais j’avais vraiment tenu à marquer le coup et accumuler les souvenirs de tes rires, ce son si délicieusement incongru en ces temps de guerre. Ce soir-là, tu ne t’étais pas reconnu dans le miroir de l’entrée alors que nous nous apprêtions à sortir retrouver Sirius, Remus et Peter. Tu as d’abord pleuré en voyant cette créature menaçante dans le miroir puis nous avons entendu ton rire quand tu as vu l’a vu bouger. James et moi étions épuisés, mais ce rire nous a redonné un boost d’énergie, aussi sûrement que le faisait le Remontant de Mme Pomfresh, l’infirmière du collège. Nous sommes donc arrivés complétement surexcités chez Sirius et avec tes oncles, nous avons alors passé toute la soirée à essayer de l’entendre à nouveau, sans grand succès cette fois-ci.
Tu sais, je n’aurais jamais pensé avoir une vie de famille, aussi tôt. Ton arrivée a tout bouleversé. J’avais tout planifié dans ma tête. Après avoir quitté Poudlard, il fallait : des études, un diplôme, un emploi stable de préférence, un salaire et un mari. Dans cet ordre, pour que tout soit réuni pour pouvoir accueillir un enfant dans de bonnes conditions. Mais la vie en a décidé autrement, tu en as décidé autrement, mon bébé-surprise. Tu n’étais même pas encore né que tu bouleversais déjà mon existence tout entière en apportant en prime toute une série de questions auxquelles je n’avais pas les réponses : n’étions-nous pas trop jeunes ? N’étions-nous pas inconscients d’envisager de faire naître un enfant dans un monde en guerre ? Ne devrais-je pas me séparer de toi, compte tenu des circonstances ? Comment pouvais-je être une bonne mère alors que je ne m’étais même pas rendue compte que tu étais là, au creux de mon ventre ?
J’étais trop préoccupée par la guerre, les combats incessants, les missions d’espionnage, de sabotage ou de sauvetage pour réaliser. C’est James qui a remarqué mes sautes d’humeur, mes nausées, mon dégoût de certains aliments que j’adorais normalement. Puis on a compté : j’avais quelques semaines de retard.
J’avais mis tous ces symptômes sur le compte du stress, de la peur et de mes angoisses, parce que ce n’était pas le moment. Mais James, lui, n’a jamais douté et je ne l’ai, je crois, jamais vu aussi heureux que quand le médicomage a confirmé son intuition.
J’étais terrorisée alors qu’on rentrait à la maison. Je voyais ton père à mes côtés déborder de joie, les cheveux en bataille. Ses yeux noirs pétillaient derrière ses lunettes. Il faisait déjà la liste des aménagements qu’il voulait faire dans la maison pour préparer ton arrivée. Comme toujours, il allait plus vite que la musique et il avait déjà tout en tête : la couleur de ta chambre, la peluche de Nifleur qu’il allait pouvoir t’offrir, tous les jeux auxquels il se réjouissait de jouer avec toi. Moi je semblais éteinte à côté, assommée par la nouvelle.
Je me souviens encore, je suis allée directement dans le salon, sans dire un mot, et me suis dirigée vers mon fauteuil favori, près de la cheminée, telle un zombie. Je m’y suis laissée tomber, en espérant que le feu qui crépitait dans l’âtre allait pouvoir chasser le froid de la peur qui s’était emparée de moi. Je n’ai pas remarqué que James m’observait, inquiet de me voir sans réaction.
Il s’est alors approché et accroupi en face de moi. Il m’a pris les mains et a embrassé avec douceur chacun de mes doigts pour les réchauffer. Mon regard s’est porté sur lui et je me suis mise à pleurer tant j’avais honte de ne pas ressentir la joie que j’aurais dû. Il m’a prise dans ses bras sans rien dire, sans jugement, et je me suis accrochée à lui tel à une bouée de sauvetage. Quand mes sanglots se sont taris, j’ai enfin réussi à verbaliser mes craintes :
— On n’est pas prêt, James. Trop jeunes, trop occupés… C’est trop tôt !
— On est jeunes, c’est vrai. Occupés en ce moment, c’est vrai aussi. Mais ça ne veut pas dire qu’on sera de mauvais parents, ça ne veut pas dire qu’on n’y arrivera pas. Nous deux, on peut tout accomplir ensemble. Et je sais que tu seras une mère fabuleuse.
Je l’ai regardé d’un air dubitatif. Moi ? Maman ? Fabuleuse ?
— James, ai-je dit d’une voix plaintive. Je ne suis pas capable de prendre soin d’un être humain ! Dois-je te rappeler que c’est toi qui penses à nourrir le chat tous les jours ? Je n’arrive même pas à garder une plante en vie plus de quelques jours, alors un bébé ?
Je l’ai entendu retenir un rire, transformé maladroitement en une toux bien opportune, alors que je lui montrais le plan de Dictame que Remus m’avait confié pour préparer la potion de Wiggenweld et soigner ses blessures chaque mois après la pleine lune. Le petit arbuste était mort depuis des mois et nous ne l’avions toujours pas retiré de son pot. Et dire que c’était la plante magique la plus simple d’entretien… J’ai levé les yeux au ciel alors je reportais mon attention sur mon petit-ami qui s’est raclé la gorge pour se forcer à reprendre à un air sérieux.
— Nan mais regarde, ai-je dit en désignant l’arbrisseau complétement éteint, c’est bien la preuve non ? Et en plus, on le laisse là, alors qu’il n’y a plus aucun espoir pour lui : même le professeur Chourave ne pourrait rien faire pour le sauver ! Et nous, on ne l’a même pas jeté. T’imagines l’apocalypse si on fait pareil avec les couches sales ?
J’ai vu son air goguenard et son envie de rire faire un retour fugace sur son visage mais il a eu la décence de le dissimuler bien vite. Il avait une voix tendre quand il m’a répondu :
— Tu es la femme la plus aimante que je n’ai jamais rencontrée, ma Lily. Tu es douce, calme, tu n’élèves jamais la voix. Tu as été si heureuse la semaine dernière quand Franck et Alice ont annoncé attendre un enfant. Je pensais que tu le serais pour nous aussi !
— Mais ils ont cinq ans de plus que nous !
— Et alors ?
— Ils ont plus d’expérience !
— Avec les enfants ? À moins qu’ils en cachent un dans leur grenier, je ne crois pas non.
— Ils sont mariés !
C’était sans aucun rapport avec le problème qui nous préoccupait et ça n’avait aucun sens de dire ça maintenant, mais il avait tellement réponse à tout que c’était la seule chose qui m’est venue en tête à ce moment-là : ma liste et l’ordre des évènements que j’avais imaginé. Je ne m’attendais pas à la réponse qu’il m’a faite :
— C’est vrai, mais si c’est vraiment ça qui te dérange ça peut s’arranger rapidement. Sirius sera très heureux d’être mon témoin, depuis le temps qu’il attend ça.
— James, je suis sérieuse ! ai-je répondu exaspérée.
— Mais moi aussi, Lily !
— JAMES ! ai-je crié.
— Quoi !? Si tu ne veux pas te marier avec moi, il suffit de me le dire, a-t-il répondu blessé par mes hurlements.
Pour tout dire, je ne savais même pas pourquoi j’étais en colère et pourquoi je refusais de le prendre au sérieux. Enfin, si, je savais : il était fou, irréfléchi… d’un optimisme sans faille et un soutien dont je n’aurais jamais osé rêver… et c’était le père de mon futur bébé. Bien sûr que je voulais l’épouser.
— Je n’ai pas dit ça, ai-je murmuré.
— Donc c’est un oui ! a-t-il déduit éclatant de bonheur.
Je suis restée coite pendant plusieurs secondes, je n’avais plus d’arguments et j’étais, semble-t-il, désormais fiancée. Il avait vraiment le don pour me détourner de mes préoccupations, j’ai alors recentré le débat :
— On n’en a encore jamais parlé. Un bébé ? Avec moi ? En pleine guerre ? Vraiment James, tu t’imaginais tout ça ?
Il était toujours à genou devant moi, entre mon fauteuil et la cheminée où le feu crépitait et l’entourait d’une aura chaleureuse. C’est là qu’il a encadré mon visage de ses deux mains et qu’il m’a dit la plus belle chose que je n’ai jamais entendue. Il a dit les mots que mon cœur avait besoin d’entendre ce jour-là :
— Oui, Lily. J’imagine ma vie entière avec toi. Oui, j’imagine un bébé avec toi. Alors certes, tu as raison, c’est la guerre dehors, mais ce bébé, je trouve qu’il fait un joli pied de nez à tout ça. C’est un bébé-espoir, Lily.
Ces mots-là ont réchauffé tout mon être plus sûrement que les flammes derrière lui. J’ai pleuré quand il m’a dit ça, Harry. J’ai pleuré et ri en même temps mais je n’ai plus douté.
Nous l’avons d’abord annoncé à Sirius, c’est James qui a insisté. Il voulait absolument que son meilleur ami sache en premier et surtout, il voulait lui poser une question importante : est-ce qu’il voulait bien être ton parrain. Sirius n’a pas hésité une seule seconde avant de hurler son OUI avec la démesure qui le caractérise depuis toujours et il est devenu alors tout aussi protecteur envers moi que ton père. Et je leur ai donné du fil à retordre, je dois bien l’avouer.
C’est vrai, j’étais parfois trop imprudente et j’ai continué à attaquer, saboter et déjouer les plans des Mangemorts, jusqu’à ce que ton père dise stop et me cloître au QG.
Je voulais me sentir utile, malgré mon état, et prise dans l’action, il m’arrivait parfois d’oublier que j’étais enceinte, malgré mon ventre qui s’arrondissait de plus en plus. C’est paradoxal, je sais : tu étais là, je te sentais bouger de plus en plus au fur et à mesure de l’avancement de ma grossesse et en même temps ton arrivée me semblait si lointaine et abstraite. Alors j’ai continué alors à panser les blessures, préparer les potions et regrouper les messages de ceux qui partaient en mission. Parfois sans faire attention à ma fatigue.
Et cette fois, c’est toi qui as dit stop en faisant une entrée en fanfare et douloureuse dans notre vie. Pour me dire que ça y est, c’était réel, tu étais là. Et ce cri que tu as poussé ce 31 juillet 1980, après plusieurs heures de travail, a été le son le plus merveilleux et le plus effrayant que je n’ai jamais entendu.
Quand tes grands yeux se sont ouverts sur le monde, j’ai su qu’on avait fait le bon choix mais j’étais totalement perdue car il y avait maintenant quelqu’un qui dépendait entièrement de moi et cela m'a terrorisée.
Ta naissance a été l’épicentre d’un tourbillon qui a tout emporté, mon assurance et mes certitudes en premier. Tu étais là maintenant et tous mes doutes sont revenus à mesure que tu grandissais. Je ne compte plus le nombres de fois où, impuissante à te calmer quand tu pleurais durant tes premiers jours de vie, je t’ai posé dans un coin puis me suis écroulée, le plus loin possible de toi, pleurant moi aussi toutes les larmes de mon corps parce que je ne savais plus quoi faire : te changer, te nourrir, te bercer, te parler, te garder simplement dans mes bras ?
Il a fallu apprendre à nous connaître et à vivre à trois quand avant, nous n’étions que deux. Et tout était loin d’être parfait et il a fallu réussir à nous accorder : nous étions épuisés, nous n’arrivions plus à manger ensemble, en même temps, tant tu accaparais l’un ou l’autre au moment des repas et nous remercions chaque jour d’être des sorciers pour pouvoir garder, en un mouvement de baguette, un environnement de vie à peu près décent. Nous avons dû trouver notre place mais pourtant, ton père et moi t’aimions et chacun de tes sourires rendait cet amour plus inconditionnel encore. Tu aurais dû nous voir, chaque soir, penchés sur ton visage endormi, comme si nous admirions la huitième merveille du monde.
Nous n’avions que vingt ans, et nous avons fait de notre mieux. Seulement, nous étions très seuls : pas de grands-parents pour nous soutenir, une sœur qui me fuyait comme la peste et des amis en guerre qui avaient d’autres préoccupations.
Ils grapillaient pourtant la moindre minute pour venir nous aider et nous permettre au moins de prendre une douche ou de dormir quelques heures avant d’être à nouveau emportés par la tornade que ton arrivée avait amenée dans nos vies.
Une tornade de vie, d’amour et de joie.
Une tornade de peurs, de doutes et d’angoisses.
La situation politique n’était pas meilleure, loin de là. Je suis une moldue, j'ai une cible sur la tête et notre combat, à ton père et moi, n’a fait qu’en mettre une sur la tienne aussi. Peu avant ta naissance, il y a eu une prophétie :
Celui qui a le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres approche... il naîtra de ceux qui l'ont par trois fois défié, il sera né lorsque mourra le septième mois... et le Seigneur des Ténèbres le marquera comme son égal mais il aura un pouvoir que le Seigneur des Ténèbres ignore... et l'un devra mourir de la main de l'autre car aucun d'eux ne peut vivre tant que l'autre survit... Celui qui détient le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres sera né lorsque mourra le septième mois... *
Deux enfants seulement pouvaient correspondre et Voldemort le savait parfaitement. J’ai prié, j’ai tant prié pour que ce ne soit pas toi. C’était égoïste, je sais, mais c’était le cri de désespoir d’une mère qui voulait protéger son enfant.
Malheureusement, peu de temps après, Dumbledore nous a informés que le Seigneur des Ténèbres t’avait choisi toi, sans que l’on ne sache pourquoi. C’est tellement injuste que j’en ai voulu pendant quelques temps à Franck et Alice. Ils avaient accueilli Neville la veille de ta naissance, alors pourquoi leur fils à eux pourrait vivre sans cette épée de Damoclès sur la tête ? Était-ce ma faute ? Parce que Neville est sang-pur et toi, sang-mêlé ? Moi, ta propre mère, t’avais-je destiné à la mort ? Je me suis détestée pour ça aussi et il a fallu toute la patience et la positivité de James pour m’ôter cette idée de la tête. Je me suis alors promis de tout faire pour éviter cette fin. Tu ne peux pas mourir. Tu ne dois pas mourir. Je ne le permettrai pas et ton père non plus !
C’est pour cela que nous n’avons pas hésité quand Dumbledore est venu nous trouver pour nous dire de nous cacher. Peu importe notre liberté si cela te permettait permet de survivre, nous étions sommes déterminés à tout faire pour toi.
Je me détache de la fenêtre, miroir de mes souvenirs, quand je t’entends bailler derrière moi. J’ai rêvé trop longtemps et l’heure de ton coucher est presque passée. Je jette un œil à James, perdu lui aussi dans ses pensées, sombres, si l’on en croit la ride qui barre ses sourcils. Mon inquiétude déteint sur lui, je le sais, et s’il t’observait jouer ou riait à tes prouesses et tes bêtises quelques instants auparavant, il te regarde maintenant sans te voir.
— Allez ! Au lit, P’tit Prince ! lancé-je en te prenant dans mes bras pour t’emmener dans ta chambre.
James sursaute à ce moment et se lève pour t’embrasser sur le front. Son sourire et l’étincelle dans ses yeux sont revenus, comme à chaque fois que son attention se porte sur toi. Il est tellement fier, si tu savais. Il nous sert dans ses bras, comme un rituel protecteur bien orchestré depuis les mois que nous sommes enfermés dans cette maison, puis il s’éloigne à nouveau et va prendre ma place devant la fenêtre.
Je monte dans ta chambre en chantant cette berceuse que j’ai inventée quelques semaines après ta naissance, en m’inspirant du mobile que James avait fabriqué, et que tu aimes tant.
Doucement, sois confiant, petit Harry,
Les étoiles veillent sur toi cette nuit.
La lune éclaire le chemin,
De tes rêves jusqu'au matin.
Alors ferme tes yeux, petit trésor,
Maman veille, dors encore.
Sur les murs, des peintures enchantées de licornes, dessinées par ton père, diffusent une douce lumière argentée dans la pièce. Je te change rapidement et te mets en pyjama. Un rituel bien huilé auquel tu te prêtes de mauvaise grâce. Tu râles, je lutte, tu pleures, je ne cède pas et je continue de fredonner en te souriant. Tu finis par bailler, épuisé par la journée de jeux et la bataille que tu viens de mener mais que j’ai gagnée. Je m’avance vers ton lit, posé au sol, t’installe sur le matelas et te borde de tes draps bleus. Je m’assieds ensuite à tes côtés en étouffant à mon tour un bâillement. Je t’aime, mais tu m’épuises. Je souris tendrement alors que je te vois toi aussi lutter contre le sommeil, comme chaque soir, effrayé par l’idée que je puisse disparaître et que tu ne me revois plus le lendemain. Je te rassure en caressant tes cheveux noirs, aussi indomptables que ceux de ton père.
Tu rouvres à peine les yeux quand je bouge, juste pour vérifier que je suis toujours là, que je ne t’ai pas trahi en t’abandonnant aux bras de Morphée mais non, je veille. Je veillerai toujours où que je sois.
Je t’ai vu faire tes premiers pas, j’ai vécu les dents qui poussent, les premiers rhumes, mais je veux plus, tellement plus.
Je veux t’entendre dire tes premiers mots et t’écouter me raconter tes rêves, tes joies, tes peines.
J’ai hâte de te voir développer ta propre magie : est-ce que tu feras apparaitre une fleur au creux de ta main ? Est-ce que tu feras voler quelque chose pour l’attraper plus facilement ? Ou feras-tu exploser un objet sur le coup d’une colère que tu n’arriveras plus à gérer ?
Je veux te voir grandir et t’épanouir. Je veux être là pour les petits et grands bobos. Te rassurer encore, même quand tu me repousseras en me disant « Mamaaaaaan, pas devant les copains ».
Je me réjouis de te voir connaître tes premières histoires d’amour, rencontrer tes amis puis celle que tu auras choisi.
J’ai hâte de découvrir quel homme extraordinaire tu vas devenir.
Tu dors profondément quand je me lève enfin et je ressors en refermant la porte doucement pour ne pas te réveiller, un sourire sur les lèvres.
Je range le linge puis je descends l’escalier pour rejoindre mon mari et profiter du reste de notre soirée. Je suis presque arrivée en bas que j’entends ton père hurler :
— Lily !!
La panique que je décèle dans sa voix me tétanise. Je le vois se précipiter vers l’entrée, il passe devant moi et m’invective :
— Lily! Prends Harry et va-t’en ! C’est lui ! Va-t’en ! Cours ! Je vais le retenir… **
La prophétie se réalise.
Mon cœur se déchire en deux. Malgré toutes les précautions que nous avons prises. Nous avons été trahis par un de ceux en qui nous avions le plus confiance. Et alors que James se précipite vers la porte, mon souffle se coupe quand je réalise soudain que James n’a pas sa baguette. Nous nous pensions protégés et il l’a laissée dans le salon, gardée hors de portée de tes petites mains chapardeuses. Je me retrouve face à un choix : aider celui que j’aime ou tenter de sauver mon fils.
Cette perspective me fige pendant quelques secondes.
Quelques secondes pendant lesquelles mes sentiments pour cet homme qui allait affronter sa mort avec tant d’aplomb gonflent mon cœur d’amour et de douleur.
Quelques secondes pendant lesquelles j’ai envie de hurler.
Le fracas de la porte d’entrée, pulvérisée par Voldemort, me ramène au temps présent et à l’urgence de la situation.
A la trahison : Peter, le petit Peter, nous a vendu à notre ennemi.
Voldemort est là, il faut fuir.
Mon choix est fait et il n’y avait pas d’autre réponse possible : je dois sauver Harry.
Je lance un dernier regard à l’homme de ma vie, projeté contre le mur du corridor, il git au milieu des débris de notre porte. Il me voit à son tour et répète :
— Cours !
J’obéis et me retourne dans l’escalier. Je trébuche. Mon cœur bat la chamade. Je m’accroche à la rampe pour me relever puis pour gravir les marches quatre à quatre, pour éviter que mes jambes me trahissent également. Mes mains tremblent. Mes intestins se tordent. J’arrive à l’étage complètement essoufflée malgré le peu de distance parcourue. J’entends tes pleurs, tu me réclames à cor et à cris. Est-il possible que tu saches ce qui est en train de se passer ? Ce qu’il va arriver ?
J’entends le rire suraigu de notre ennemi et je frissonne. Puis soudain, du coin de l’œil, avant de passer l’angle du couloir qui mène à ta chambre, je la vois.
La lueur verte.
Un unique sort, injuste, impardonnable, auquel nul n’a jamais pu résister. Mon cœur se fige puis se brise quand j’entends le choc sourd du corps de James qui heurte le sol.
Je gémis. La douleur cherche à franchir la barrière de ma mâchoire serrée qui retient mon cri. La peur me tord les tripes encore davantage. Je peine à retrouver mon souffle parce que je le sais, tu es le prochain sur sa liste, mon bébé-bonheur. Je suis ton seul rempart désormais. Je me remets à courir vers ta chambre, retenant mes larmes autant que je le peux.
Soudain je réalise, moi non plus, je n’ai pas ma baguette. Quelle idiote ! Face au plus puissant mage noir de notre temps, que vais-je pouvoir faire sans mon arme ? Que vais-je pouvoir dire pour te sauver ?
J’ouvre la porte de ta chambre et je sais qu’Il est là, juste derrière moi. Il a le don de se déplacer à une vitesse folle, comme s’il volait. Mais j’arrive à m’interposer entre Toi et Lui, juste au moment où il apparait devant ton lit. Sa présence est incongrue dans ce havre de paix et de bonheur. Le noir de sa robe de sorcier fait ressortir la pâleur mortelle de sa peau. Ses yeux rouges se fixent sur moi et me regardent avec mépris. Je frissonne, parcourue d’une terreur glacée. D’une main, il cherche à m’écarter de son chemin. Je résiste, déterminée à ne pas le laisser s’approcher de toi, et me jette sur lui, éperdue :
— Pas Harry, pas Harry, je vous en supplie, pas lui !
— Pousse-toi, espèce d’idiote… Allez, pousse-toi…** me dit-il.
Il tente de m’éloigner pour avoir accès à ton lit. Il tient sa baguette baissée, je ne comprends pas pourquoi, alors qu’il a eu si peu de scrupules à tuer James, pourquoi se retient-il pour moi ? Il me repousse à nouveau, je sens ses doigts crochus écorcher ma peau. J’ai mal mais je résiste encore. Je t’entends pleurer derrière moi et ça me donne de la force. Je te promets, mon bébé, de te prendre dans mes bras quand tout ça sera fini.
— Non, pas Harry, je vous en supplie, tuez-moi si vous voulez, tuez-moi à sa place !!!**
Je ne veux pas mourir, mais je n’ai pas ma baguette et le supplier, chercher à trouver en lui une toute petite parcelle de pitié, c’est la seule possibilité que j’entrevois. Alors si cet échange de vies Lui parait suffisant pour t’épargner, je me sacrifie sans regret. Il faut que tu vives ! Je n’arrive plus à imaginer un monde où tu n’existerais pas !
Je me bats. Je le frappe de toutes mes forces pour l’acculer dans un coin, le faire sortir de cette chambre où il n’a pas sa place. Je l’entends haleter pendant qu’il résiste et tente de me repousser. Je le vois grimacer, son visage hideux me toise avec dégout et haine. Je n’en ai que faire, je n’ai qu’un objectif : te sauver. Il braque à nouveau son regard rouge, vide et froid vers toi et je peux sentir sa détermination à t’atteindre. Je voudrais tant me retourner et courir vers toi mais mon corps est le seul barrage qu’il te reste, mon bébé d’amour. Alors j’insiste encore :
— Non, pas Harry, je vous en supplie ! Ayez pitié… Ayez pitié… **
Ma voix ne reflète pas ce que je ressens. Je supplie peut-être mais je ne me prosterne pas devant lui, je suis droite et fière parce que je sais que mon amour de mère, l’amour que j’éprouve pour toi, est plus fort que tout. Je vais sans doute mourir ce soir, mais je veux que tu le saches : tu es adoré, mon fils.
J’arrive à le repousser derrière le pas de la porte mais j’entends soudain son rire. Le même rire aigu, glaçant et sans joie qu’il a eu quand il a tué ton père. Je sais ce qu’il va arriver maintenant mais je ne faiblis pas, je l’éloigne encore de toi, même si c’est illusoire, je ne veux pas que tu voies ça. Il lève sa baguette et mes dernières pensées s’envolent vers toi, mon fils.
Les étincelles vertes apparaissent et je l’entends prononcer le sortilège fatal :
— Avadaaaa…
Je n’entends même pas la fin, mon esprit est déjà ailleurs, dans ton lit, près de toi. Mes dernières pensées sont pour toi, mon amour de bébé. Pardon, mon fils, je n’arriverai finalement pas à te serrer une dernière fois contre moi mais je t’en prie, je t’en supplie :
Maman t’aime alors…
Vis, Harry !
* extrait de Harry Potter et l’Ordre du Phénix
** extraits de Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban