Des voix inconnues se faisaient entendre au loin, raisonnant dans le couloir lugubre de la tour. Intrigué, Patmol redevient Sirius. Sous sa forme humaine, il entendait moins bien mais il n’y avait tout de même aucun doute, plusieurs personnes montaient les escaliers avec des pieds bien humains et discutaient à voix basse. « Les pires sont ici » entendit-il, « la plupart sont des Mangemorts ». Un cri suraigu se fit entendre, suivi par des hurlements. Bellatrix avait manifesté sa présence, songea Sirius, presque amusé pour une fois de la présence de sa cousine détestée si proche de lui. Les ombres se firent grandissantes dans l’escalier, les pas et les murmures plus proches de lui. Enfin, il les distingua nettement. Des employés du Ministère à n’en pas douter. Sirius les regarda passer devant sa cellule, la plupart fuyait son regard mais l’un d’entre eux ne détourna pas la tête.
- Vous me laisseriez votre journal ? Lança Sirius. Il ne croyait pas vraiment que l’homme face à lui répondrait favorablement à sa demande mais après tout, qu’avait-il à perdre ?
L’homme s’arrêta devant sa cellule, visiblement interloqué.
- Monsieur le ministre, ne parlez pas aux détenus, ils peuvent être dangereux !
- C’est vrai, ironisa Sirius, depuis l’intérieur de ma cellule, je suis capable de vous torturer simplement en bavardant avec vous.
- Monsieur le ministre, je vous en prie, avançons.
- Vous… vous semblez… normal, balbutia le ministre.
- Vous voulez dire que je ne regard pas dans le vide d’un air hagard en marmonnant des suites de mots sans aucun sens ? Alors oui c’est vrai, je suis normal !
Sirius s’amusait de voir le ministre de la Magie désarçonné face à son discours. Et surtout, il appréciait de pouvoir parler à un autre homme. On ne pouvait pas dire que les Détraqueurs étaient de grands bavards et il était interdit de discuter entre prisonniers. De toute façon, après douze ans d’incarcération, les prisonniers les plus proches de sa cellule avaient autant de conversation qu’un plant de salade.
- Alors ce journal ? Vous me le donnez ?
Sans ajouter un mot de plus, le ministre lui tendit le journal qu’il avait sous le bras. Sirius le saisit d’un geste vif et le feuilleta rapidement.
- Dommage, j’aurais bien aimé faire les mots croisés. Un peu d'exercice intellectuel ne m’aurait pas fait de mal.
Il releva les yeux et aperçut la délégation ministérielle s’éloigner, non sans que le ministre ait jeté un dernier coup d’oeil par dessus son épaule, visiblement stupéfait d’avoir eu une conversation avec lui.
Souriant, Sirius s’installa sur sa paillasse et commença à lire tranquillement la Une du journal. Il y avait douze ans qu’il n’avait pas eu la possibilité de simplement lire. Et la dernière fois qu’il avait pu avoir un journal entre les mains, les gros titres ne parlaient que de meurtre et de massacre perpétrés par les Mangemorts. Un flash lui revient, le dernier journal qu’il avait aperçu montrait deux photos : James et Lily tenant le petit Harry contre eux et celle de leur maison détruite à Godric’s Hollow. Le coeur serré, Sirius s’efforça de penser à autre chose car il savait que si le désespoir l’envahissait, les Détraqueurs ne seraient que trop heureux de s’approcher de sa cellule pour s’en délecter. Il chercha à se reconcentrer sur la Gazette du Sorcier. La première page montrait une photo de la famille Weasley. Sirius les connaissait de nom sans jamais les avoir rencontré. Il se souvenait que ses parents en parlaient comme des traîtres à leur sang. Ils venaient apparemment de remporter le grand prix de la tombola du Ministère de la Magie et annonçait qu’ils se rendraient en Egypte voir leur fils aîné. La photo montrait une famille joyeuse qui laissait exploser sa joie d’avoir gagné un si beau lot. Amusé et attendri, Sirius lu l’article qui exposait le témoignage de la mère de famille expliquait que cinq des enfants de la famille était scolarisé à Poudlard. Poudlard… Certains devaient connaître Harry alors, se dit Sirius. Peut-être même étaient-ils dans la même classe. Il regarda la famille avec plus d’attention. Le plus grand devait être en sixième au septième année, impossible qu’Harry ne soit dans sa classe. Les jumeaux non plus d’ailleurs. Mais les deux plus jeunes devaient avoir douze ou treize ans, ils le connaissaient voire le fréquentaient certainement. La petite fille était blottie contre son frère à peine plus âgé, ils affichaient même large sourire que le reste de la famille. Un détail attira alors son regard, le jeune garçon avait un animal sur son épaule, un rat. La colère que Sirius ressentait toujours à l’égard de Queudver remonta. Il jeta un regard plein de dégoût au familier du garçon, dégoût qui se transforma peu à peu en un véritable volcan de haine, de stupeur et d’angoisse. Queudver était là devant lui. Il en était absolument certain, le rat sur la photo avait un doigt en moins sur la patte avant, à l’endroit identique où Peter s’était tranché le sien sous ses yeux si longtemps auparavant. De rage, Sirius jeta le journal. Il se leva, fit le tour de sa paillasse, se rassit, écumant de colère, aveuglé par la haine. Ainsi Queudver avait la belle vie, il s’était fait adopter par une gentille famille et se faisait choyer depuis toutes ses années. Il avait toujours aimé sa peau de rat, déjà au temps de,Poudlard. Un autre flash lui revient, une nuit de Pleine Lune où les Maraudeurs déambulaient dans la forêt interdite. Le souvenir ne réussit cependant pas à l’égayer, les Détraqueurs tuaient toute pensée heureuse avant qu’elle ne puisse éclore dans son esprit. Seule l’image de Queudver bondissant autour d’eux resta dans sa mémoire, alimentant sa colère. Un lien se fit alors dans son esprit : Queudver avait été adopté par une famille de sorciers, une famille dont les enfants allaient à Poudlard, dont les enfants avaient l’âge de Harry. Donc Queudver pouvait à tout moment s’en prendre à Harry. La peur remplaça soudainement la colère. Personne ne savait que ce sale rat était en vie. Personne ne se doutait qu’il avait fait sa croire à sa propre mort et que lui, Sirius Black, était innocent. Et si quelque chose arrivait à Harry, il ne serait jamais inquiété. Un autre innocent pourrait être accusé. Sa décision fut prise en quelques secondes même s’il n’avait aucune idée de la façon dont il pourrait la réaliser : il devait s’échapper d’Azkaban et protéger Harry. Il devait à tout prix s’assurer que son filleul ne courait aucun danger. Et s’il le pouvait, il tuerait ce rat qui s’était prétendu son ami et les avait tous trahi.
La liberté n’avait pas de prix mais la force physique qu’avait nécessité son évasion avait bien failli lui être fatale. Pourtant, Sirius ne s’en souciait guère. Avant de pouvoir courir au secours de Harry, il devait impérativement réussir à ne pas se faire attraper. Il n’avait aucune idée du temps qu’il faudrait à ses geoliers pour s’apercevoir de sa disparition mais il était certain qu’il ne disposait au mieux que de quelques heures devant lui. Et il ne pouvait compter que sur lui-même. Personne ne savait qu’il était innocent et personne n’accepterait de l’écouter suffisamment longtemps. Et puis qui le croirait ? Queudver était censé être mort depuis douze ans, autant dire une éternité. Il avait profité de l’obscurité et de Patmol pour s’échapper, il lui avait fallu quatre jours pour penser à cette solution aussi simple soit-elle. Cela avait été si facile… Jamais il n’aurait cru qu’il réussirait à parcourir les couloirs de la prison, sortir par un soupirail, sans se faire repérer. Pour une fois, le fait que les Détraqueurs soient aveugles était une véritable bénédiction. Ses pensées canines étaient moins complexes, ils n’avaient pas compris qu’il était proche d’eux. Même lorsqu’il avait dû en croiser au détour d’un escalier, ils s’étaient arrêtés, cherchant probablement à analyser la situation. Cela avait suffit à Patmol pour déguerpir le plus silencieusement possible. Lorsqu’il avait franchi le dernier mur, il n’avait pas réfléchi et s’était jeté dans la mer pour s’éloigner le plus rapidement possible de cette prison. C’est là cependant que sa maigreur et les années d’enfermement avaient singulièrement compliqué sa fuite. Au bout de quelques mètres, il était épuisé. Même si Patmol était plus fort physiquement que Sirius, il restait très affaibli. Pourtant, ni Sirius, ni Patmol n’avaient abandonné. Le visage de James dans son esprit pour la première fois en douze ans, les souvenirs heureux des Maraudeurs le portaient vers la rive de la terre ferme, vers la mission que Sirius s’était donné : sauver Harry. Après ce qui lui avait semblé une éternité, il avait posé la patte sur le sol de la liberté. Il s’était autorisé un bref regard vers l’île avant de filer aussi vite que possible. Il n’avait pas osé reprendre sa forme humaine et essayer de transplaner, la peur et la fatigue l’auraient probablement désartibulé. Alors il avait couru, toute la nuit durant il avait parcouru la campagne désolée, ne s’accordant que de brèves pauses pour boire dans une flaque d’eau. Puis, alors que le jour pointait, il avait trouvé refuge dans une vieille grange pour dormir quelques heures. Et pour la première fois en douze ans, il avait pu rêver, se souvenir et savourer les moments heureux de son passé. Pour la première fois en douze ans, il s’était rappelé qui il était. Pour la première fois en douze ans, il s’était senti entier.