Je me suis mise à écrire ceci parce que j'ai été inspirée par un sujet imposé : caser Hermione avec quelqu'un avec qui on n'aimerait pas la voir...
Et laissez-moi vous prévenir, vous n'aimeriez vraiment pas la voir avec cette personne!
Je suis plutôt atroce avec cette pauvre Hermy, mais je dois avouer que je me suis bien amusée à écrire ça...
Comme certaines de mes amies se sont posées la question: rassurez-vous, je ne m'identifie pas à mon héroïne dans cette fiction.
Mais non. Ne pas penser à Ron. Ne pas penser à Ron. Ne pas penser à Ron. Hermione ne put retenir davantage ses larmes, et éclata en sanglots silencieux. Sur ce point aussi, elle s’était lamentablement trompée. Elle l’avait toujours cru fou amoureux d’elle. Comment avait-elle pu être assez bête pour se croire irrésistible ? Et son aventure avec Lavande en cours d’année n’avait pas suffi à lui ouvrir les yeux. Non, Ron ne l’aimait pas ; mais elle s’était acharnée à croire le contraire. Juste après l’enterrement, elle avait tellement besoin de réconfort, elle s’était laissée allée dans ses bras. Il l’avait serrée contre elle et elle avait cru que c’était le bon moment. Elle s’était hissée à hauteur de son visage et leurs lèvres s’étaient frôlées. Ça n’avait duré qu’un quart de seconde, parce qu’aussitôt, Ron l’avait éloignée de lui en murmurant d’une voix rauque : « Heu, Hermione, non, tu sais je crois pas que ce serait une bonne idée… » Il n’avait pas voulu la blesser, évidemment, mais depuis, Hermione avait perdu toute confiance en elle. Ron ne l’aimait pas. Personne ne l’aimait.
Si, ses parents l’aimaient, bien sûr, mais uniquement parce qu’ils étaient ses parents. Ils ne la comprenaient pas. Et elle leur faisait du mal. Elle savait bien qu’elle les inquiétait. Depuis qu’elle était rentrée de Poudlard, au début des vacances, elle n’était plus la même. Elle ne parlait presque plus. Elle ne sortait de sa chambre que pour les repas, au cours desquels elle ne mangeait quasiment rien, ayant complètement perdu l’appétit, avait une mine cadavérique, et se renfermait sur elle-même dès que sa mère ou son père essayait d’entamer une conversation avec elle. Elle s’en voulait de leur causer autant de soucis, mais qu’aurait-elle bien pu leur dire ? « Papa, Maman, notre seul défenseur contre le plus grand Mage Noir de tous les temps est mort il y a un mois, et la fin du monde n’est plus qu’une question de semaines. » Elle eut un sourire amer. Et bien ! Qu’elle vienne la fin du monde, après tout ! Qu’elle meure, qu’elle n’ait plus à supporter cette vie inutile ! Oui, la mort serait une délivrance. Elle était comme un poids mort, une chose sans laquelle tous les gens qu’elle connaissait seraient bien plus heureux. Elle était inutile, un fardeau. Elle ne supportait plus de voir son visage tous les matins dans le miroir lui rendre un regard vide et morne. Mais elle n’avait pas le courage de mettre fin à ses jours. Parce qu’en plus de tout, elle était abominablement lâche. Le Choixpeau s’était trompé en l’envoyant à Gryffondor. Elle n’y méritait pas sa place. D’ailleurs, elle ne méritait pas sa place à Poudlard. En fait, elle ne méritait pas sa place sur terre.
Elle mordit son oreiller pour étouffer un cri de rage impuissant. Ses atermoiement eux-mêmes l’exaspéraient. Elle se rendait bien compte qu’ils étaient stupides et stériles, qu’ils ne la mèneraient jamais nul part. Mais elle était incapable d’en sortir. Elle se détestait de se conduire ainsi, en petite fille capricieuse, à ressasser sans cesse les mêmes sombres pensées. Depuis un mois, elle passait son temps à se lamenter sur elle-même, et elle se détestait pour cela, ce qui, au final, n’était qu’une source d’apitoiement supplémentaire. Elle était nulle, nulle, nulle ! Elle n’avait aucune force de volonté, elle ne savait rien faire d’autre que pleurer sur son sort… Et pendant ce temps là, Harry courait mille dangers pour les sauver tous. Mais elle ne lui aurait été d’aucun secours. La seule chose qu’elle savait faire, c’était effectuer des recherches à la bibliothèque ; et maintenant Poudlard allait fermer, parce que Dumbledore avait été assassiné, et qu’elle n’avait rien fait pour l’empêcher.
Depuis un mois, donc, les pensées d’Hermione tournaient en rond et elle broyait du noir. Même si elle se trouvait stupide de réagir ainsi, elle ne parvenait pas à faire autrement. Bien sûr, elle savait, tout au fond d’elle-même, que la mort de Dumbledore n’était pas sa faute, pas plus que les agissement de Rogue et Drago. Que si elle se les reprochait c’était uniquement parce qu’elle était trop exigeante avec elle-même. Parce qu’elle se croyait supérieure à tout le monde. Parce qu’elle était arrogante. Et c’était un autre défaut qu’elle pouvait ajouter à la litanie des reproches qu’elle s’adressait. Quant à Ron… Et bien quand elle essayait d’être objective, il lui fallait bien reconnaître que sa réaction était disproportionnée. Ce n’était pas comme si elle était folle amoureuse de lui, non, c’était surtout son ego, son amour-propre, qui avaient été blessés par le refus du jeune homme. Evidemment, puisque elle était incapable d’aimer quiconque d’autre qu’elle-même. Mais cela non plus n’était pas tout à fait exact. Si elle avait pu examiner son cœur avec une réelle objectivité, elle aurait été forcée d’admettre qu’il y avait bien quelqu’un qui le faisait battre. Mais c’était celui-là même qui l’avait si cruellement déçue. Celui qu’elle n’avait plus le droit d’aimer. Qu’elle n’avait jamais eu le droit d’aimer, d’ailleurs. Mais elle avait vraiment cru qu’une rédemption était possible ; qu’il pouvait changer. Elle l’avait toujours espéré, en silence, même et surtout toutes les fois où il s’était montré totalement ignoble avec elle. Elle se plaisait à penser que sa cruauté n’était qu’une façon pour lui de cacher ses véritables sentiments. Mais la réalité lui était brutalement revenue en plein visage. Il avait commis l’irréparable. Elle n’avait plus le droit de l’aimer, désormais, même en secret. Pourtant, Harry avait dit qu’il semblait… qu’il n’avait pas l’air de réellement vouloir… Mais ça ne changeait rien. C’était trop tard. Il avait définitivement choisi son camp, et, désormais, tout retour en arrière était impossible.
Hermione pleurait à nouveau quand elle entendit des pas dans le couloir. Elle sécha hâtivement ses larmes tandis que sa mère frappait à la porte. Ce n’était pas la peine de l’inquiéter davantage. Elle tenta d’afficher un sourire rassurant, qui en fait ressemblait davantage à un rictus inquiet, mais c’était le mieux qu’elle pouvait faire. Sans rien dire, Mrs Granger s’approcha du lit d’un pas hésitant et lui tendit une enveloppe. Elle ne savait plus comment se comporter avec sa fille. Elle avait l’air si malheureuse. Et elle se conduisait si étrangement parfois… Mrs Granger se demandait si toutes les sorcières étaient ainsi. Hermione prit l’enveloppe d’un air interrogatif.
- Je suppose que c’est pour toi, expliqua sa mère. Un hibou l’a laissé tomber dans la cheminée…
Hermione ouvrit la lettre et reconnut l’écriture ronde et soignée de Molly Weasley. Celle-ci lui écrivait parce qu’elle s’inquiétait : Ginny ne lui semblait pas aller bien du tout. Elle avait perdu l’appétit et le sommeil et errait dans le Terrier comme une âme en peine. Molly n’arrivait pas à savoir ce qui n’allait pas chez sa fille et ne pouvait donc pas la soulager de son chagrin. Elle espérait que la présence d’une amie proche pourrait aider la jeune fille. Toutefois, elle comprendrait parfaitement si Hermione préférait rester chez ses parents, c’était tout à fait normal. Cependant, si elle voulait bien venir au Terrier, elle était certaine que cela ferait plaisir à toute la famille…
Hermione resta silencieuse quelques instants, sa bouche prenant un pli ironique : elle n’était pas sûre d’être la personne la plus indiquée pour réconforter quiconque. Néanmoins, elle pensait deviner ce qui faisait souffrir Ginny. Evidemment, la mort de Dumbledore l’avait affectée, comme eux tous. Mais il fallait ajouter à cela sa rupture avec Harry, et l’angoisse permanente de le savoir courir mille dangers pour détruire les Horcruxes. Il était assez facile de se rendre compte que son amie devait être dans un état encore pire que le sien. Aussi elle n’hésita pas une seule seconde. Elle saisit une plume sur son bureau et griffonna au dos de la lettre : « Très bien, j’arrive cet après-midi. Hermione.» Puis elle ouvrit la fenêtre de sa chambre et siffla légèrement. Coquecigrue, qui était resté dans les parages, vint aussitôt se poser sur le rebord et elle lui attacha le message à la patte. Cela fait, elle se tourna vers sa mère.
- Mes amis les Weasley ont besoin de moi. Je vais aller chez eux quelques temps. Je ne sais pas quand je reviendrai…
Elle ne demandait pas sa permission à sa mère, ni même son avis. Sa décision était prise. Elle savait bien que, encore une fois, elle se comportait en enfant indigne, puisqu’il n’y avait qu’aux vacances qu’elle pouvait voir ses parents, et qu’elle allait vraisemblablement passer tout le mois d’août loin de chez elle. Mais d’un autre côté, elle n’était pas persuadée que côtoyer le zombie qu’elle était devenue soit une bonne chose pour sa famille. Elle les inquiétait plus qu’autre chose. Et puis, qui sait : tenir compagnie à plus malheureux qu’elle, lui ferait peut-être prendre conscience que sa tristesse n’était que superficielle. Au pire, Ginny et elle pourraient toujours pleurer dans les bras l’une de l’autre. Hermione prépara donc ses bagages et fit ses adieux à ses parents.
En arrivant au Terrier, elle se rendit compte qu’effectivement, Ginny n’était pas au mieux de sa forme. Elle avait manifestement pleuré très peu de temps auparavant et répondait par monosyllabes aux questions qu’on lui adressait. Les deux jeunes filles s’enfermèrent dans leur chambre et essayèrent de soutenir une conversation mais très vite, elles retombèrent chacune dans la morosité. Harry avait demandé à Ron de l’accompagner à Godric’s Hollow, et aucune des deux ne pouvaient penser à autre chose qu’à l’absence de leurs amis, et aux risques qu’il couraient.
Aussi le lendemain matin, Hermione fut très surprise de découvrir un large sourire figé sur le visage de son amie. Elle lui demanda à plusieurs reprises ce qu’il y avait, et à chacune de ses tentatives, Ginny répondait invariablement, d’une voix trop enjouée pour être honnête :
- Tout va très bien, tout va bien. Oui, tout va très bien.
Finalement, Hermione changea de tactique et demanda à Ginny si elle avait prit quelque chose. Celle-ci hocha la tête avec un grand sourire et répondit gaiement, en lui tendant une petite fiole :
- Oui, Luna m’a envoyé ça. Tu devrais essayer, c’est super !
Et elle éclata d’un rire joyeux. Sur l’étiquette Hermione put lire « Touvabien, potion contre l’Humeur Noire ». Hermione n’était pas stupide, elle savait pertinemment que ce type de potion avait des effets pervers. Très probablement un Philtre d’Euphorie allié à un Charme d’Oubli, le tout sans doute lié par un Sortilège de Dédramatisation. Ce type de potions avait exactement les mêmes effets indésirables que les antidépresseurs moldus, mais en bien plus puissants : perte des repères, sautes d’humeur, éloignement de la réalité, dépendance … Non, Hermione n’était pas stupide et elle savait fort bien que ce n’était pas ainsi qu’elle réglerait ses problèmes. Ou plutôt, si : Hermione était stupide. Complètement stupide, même. Elle avait laissé Drago tenter d’assassiner Dumbledore sans réagir ; elle avait laissé Rogue y parvenir. Elle avait gâché son amitié avec Ron en voulant sortir avec lui alors qu’elle ne l’aimait même pas. Elle était stupide, elle était inutile, elle était nulle. D’ailleurs Harry avait demandé de l’aide à Ron, et pas à elle. Personne ne le regretterait si elle sombrait dans l’abrutissement à cause d’une potion euphorisante. En fait, ce serait même un soulagement pour tout le monde, car elle cesserait d’être cette insupportable Miss-Je-Sais-Tout que tout le monde détestait. Et puis, puisqu’elle ne servait à rien ni à personne, autant éviter de souffrir : peut-être que la Potion Touvabien l’aiderait à se sentir mieux. Aussi, forte de toutes ces bonnes raisons, et encouragée par Ginny « Tu peux y aller, Luna m’a envoyé la recette ! » Hermione avala une large rasade de Touvabien.
C’était sucré et doux comme du nectar de fleur. Ça réchauffait littéralement de l’intérieur, comme un alcool fort, et en même temps, c’était aussi léger que de l’eau. Sans réfléchir, Hermione but une deuxième gorgée, parce que c’était vraiment bon. Elle rendit la fiole à Ginny, un large sourire aux lèvres.
Un quart d’heure plus tard, les deux jeunes filles étaient réunies autour d’un chaudron et bavardaient gaiement. Le soleil brillait, les oiseaux chantaient, la vie était belle, il n’y avait rien de plus agréable au monde que de fabriquer de la Potion Touvabien, qui était d’une facilité déconcertante à réaliser, tout allait bien, Dumbledore n’était pas mort et Voldemort n’avait jamais existé… On frappa à la porte, et sans avoir besoin de se concerter, les deux filles se placèrent instinctivement devant le chaudron de Touvabien pour le dissimuler aux regards. La porte s’ouvrit et Molly Weasley entra dans la chambre. Le soulagement était visible sur son visage : elle avait entendu les deux amies rire depuis le rez-de-chaussée. Apparemment, la présence d’Hermione faisait déjà du bien à sa fille chérie.
- Alors, comment ça va ? demanda-t-elle.
- Ça va bien, tout va très bien, répondirent-elles en chœur.
Mrs Weasley était tellement rassurée de voir sa fille sourire à nouveau qu’elle ne trouva pas leur synchronisme suspect, pas plus qu’elle ne remarqua le caractère artificiel de leurs mines enjouées. Mrs Weasley soupira d’aise : sa fille avait l’air d’aller beaucoup mieux.
- Bien, je me suis dit que ce n’était pas bon pour des filles aussi débordantes d’énergie que vous de rester désoeuvrées… Alors je vous ai inscrit comme bénévoles pour l’après-midi à Sainte-Mangouste… J’espère que ça ne vous déplaît pas, acheva-t-elle avec anxiété.
- Oh ! Non ! Au contraire ! s’écrièrent les jeunes filles avec un bel ensemble. C’est une idée géniale !
- En ces temps de guerre, les Médicomages ont besoin de toutes les bonnes volontés, car ils sont débordés, reprit Mrs Weasley plus sombrement.
- Tu as bien fait, Maman, la rassura sa fille avec entrain. J’adore l’idée de pouvoir me rendre utile.
Et elle s’approcha de sa mère et lui plaqua un baiser sonore sur les deux joues. Molly Weasley quitta donc la chambre pleinement rassurée.
Dans le Hall de Sainte-Mangouste, une infirmière nommée Maggie Viflézard les orienta chacune vers un étage précis où elles pourraient se rendre utiles. Hermione monta donc au cinquième étage, qui était consacré aux Blessures et Traumatismes Magiques. L’endroit lui semblait familier sans qu’elle parvienne à se remémorer exactement pourquoi. Mais quand un Guérisseur la conduisit dans une chambre pour qu’elle tienne compagnie à deux patients, tout lui revint en mémoire. En effet, elle était seule avec Alice et Franck Londubat qui posaient un regard vide d’expression sur elle. Des images violentes l’assaillirent : le visage de Bellatrix, capable de torturer des innocents jusqu’à la folie, la mort de Dumbledore, la Marque des Ténèbres au-dessus de Poudlard, la certitude que Drago, Drago Malefoy, était un Mangemort, le fait que Harry risquait sa vie en ce moment même, la détresse de Neville, qui se trouvait dans une situation pire que celle d’un orphelin… Toutes ces vérités qu’elle avait voulu occulter l’assaillirent de plein fouet et la firent chanceler, seule au milieu de la pièce. Elle tomba à genoux sans prendre garde aux larmes qui ruisselaient le long de ses joues. Mais dans sa chute, une bouteille glissa de la poche de sa cape et roula sur le sol. Une jolie bouteille, aux rondeurs rassurantes, qui contenait un liquide à la couleur rose appétissante. Comme un automate, Hermione ramassa la bouteille et la vida d’un trait. Le même sourire vide de sens que celui qui éclairait le visage d’Alice Londubat se peignit sur ces traits.
Hermione venait à peine de se relever quand la porte s’ouvrit brusquement. Maggie Viflézard entra en trombe, en secouant la tête.
- Non, mais on a pas idée ! Coller une débutante avec les Londubat !... Rien de tel pour vous saper le moral jusqu’à la fin de l’année.
Et sans prendre garde aux dénégations d’Hermione, elle l’entraîna avec elle.
- Venez ma petite ! Ce n’était pas du tout de ces patients là que je voulais que vous vous occupiez. Venez mon enfant, venez par ici…
Et elle la guida jusqu’à une autre porte qu’elle ouvrit en disant :
- Voilà c’est ici… Vous allez voir, c’est pas très compliqué, il suffit juste de lui tenir compagnie et de faire semblant de croire les histoires qu’il ne manquera pas de vous raconter… Vous verrez, il est plutôt marrant…
Maggie entra dans la pièce et appela :
- Mr. Lockhart ! Venez, je voudrais vous présenter quelqu’un…
Un homme apparut et répondit jovialement
- Allons ! Maggie ! Je vous ai dit mille fois de faire comme toutes mes fans et de m’appeler Gilderoy !...
Puis il s’inclina devant Hermione :
- Ma foi ! C’est vraiment un plaisir d’être présenté à une si charmante jeune femme, Mademoiselle… Mademoiselle ?
- Granger, Monsieur. Hermione Granger, répondit l’intéressée d’une toute petite voix.
- Bon, expliqua Maggie, je viendrais vous chercher à dix-huit heures…
C’est ainsi qu’Hermione passa tout son mois d’août à écouter son ancien professeur de Défense contre les Forces du Mal lui faire la lecture de ses best-sellers, Moi le Magicien étant le titre qui revenait le plus souvent. Une part d’elle-même savait bien que cet homme était un imposteur qui avait voulu jeter un sortilège d’Oubliettes à son meilleur ami. Mais cette part de son cerveau était littéralement annihilée par celle qui était sous l’influence désormais constante de la potion Touvabien. Celle-ci avait pour effet de forcer la jeune fille à voir la vie en rose, à ne trouver aux choses que des côtés éminemment positif. En fait, elle la ramenait à l’état d’esprit qu’elle avait quand elle était enfant, quand tout était simple et que le professeur Lockhart était un homme merveilleux qui avait voyagé aux quatre coins du monde pour combattre avec succès les créatures les plus effrayantes, bref, l’époque où la jeune Hermione Granger avait quand même un léger béguin pour son professeur. Et, par ailleurs, ce n’était pas pour rien que les lectrices de Sorcière-Hebdo lui avaient décerné à plusieurs reprises le titre de Sourire le plus Charmeur. Oui, Gilderoy, comme Hermione l’appelait à présent, avait toujours du charme.
Enfin, une troisième et dernière part de l’esprit d’Hermione était toujours sous le coup d’une profonde et terrible dépression nerveuse. Dépression qui la poussait à se dévaloriser sans cesse, à se trouver inutile, stupide, etc… Mais grâce à Gilderoy, sa vie avait retrouvé un sens. Elle était enfin utile à quelqu’un, elle servait enfin à quelque chose : elle aidait son ancien professeur à répondre à ses admiratrices, lui faisait la lecture quand il était fatigué, et surtout, elle lui tenait compagnie et l’aidait à refaire surface peu à peu. En effet, Hermione avait l’impression que petit à petit Gilderoy Lockhart retrouvait sa lucidité. Parfois, il semblait se remémorer parfaitement le passé, et à d’autres moments, il était totalement illogique. Il était aussi désarmant qu’un enfant de cinq ans. Hermione ne pouvait s’empêcher de le trouver attendrissant. Et puis, si elle pouvait l’aider à guérir, elle aurait au moins fait quelque chose qui justifierait son existence. Un jour Gilderoy effleura sa joue de la main et murmura :
- Je connais ton visage…
Sa voix était différente de d’habitude, plus posée, plus mâture, moins joviale, plus lucide en fait. Gilderoy se troubla :
- Je veux dire… Je connaissais ton visage… avant… avant… je veux dire avant que…
- Oui ? l’encouragea Hermione.
Gilderoy Lockhart se souvenait parfaitement qu’il était un sorcier célèbre, qu’il avait accompli maints exploits et d’ailleurs, il n’avait qu’à lire ses livres pour se le rappeler. Par contre, il lui était impossible de se souvenir du moindre détail de son année à Poudlard. Et par un phénomène courant qui fait que l’on se persuade aisément que ce qui est écrit dans un livre est forcément vrai, Gilderoy n’avait pas du tout conscience d’être un imposteur, ce qui agaçait et attristait Hermione tout en même temps. Oui, Gilderoy était attendrissant. Il parlait du temps où il était célèbre avec des regrets dans la voix, convaincu qu’il était d’avoir accompli tous ces exploits, mais conscient que cette époque était révolue.
- On s’est déjà connu avant, n’est-ce pas Hermione ? interrogea Lockhart.
La jeune fille hocha la tête.
- Dis-moi où, s’il te plait, dis-moi où, demanda-t-il d’une voix suppliante.
Hermione le regarda avec regret.
- Je te l’ai déjà dit. Il faut que tu t’en souviennes tout seul, maintenant…
- Une école… murmura-t-il, le regard perdu dans le lointain.
D’excitation devant ces progrès, Hermione lui prit la main et la serra entre les siennes.
- Continue, chuchota-t-elle.
- Non ! reprit-il d’une voix exaltée. C’était un château, un château merveilleux, un château magique, avec des tours, des escaliers de pierre et des galeries de tableaux…
Hermione sourit et se rapprocha de lui pour l’encourager à continuer. Gilderoy porta une mèche de cheveux de la jeune fille à son visage et la respira avec délices.
- Oui, je t’ai toujours connue ! Tu étais dans chacun de mes rêves. Tu étais un Ange. Tu étais la Princesse du château enchanté. Et dans l’école, tu étais mon élève. Non, tu étais ma camarade de classe, et nous vivions mille aventures passionnantes ensemble. Nous étions heureux, Hermione, oui, nous étions heureux ! Ah, comment ai-je pu vivre sans toi, ces dernières années !...
Hermione retira sa main, bouleversée. Gilderoy avait été très près de la vérité. Mais il prenait pour des rêves ce qui avait été la réalité, et ce qui n’était que son imagination pour le réel.
On frappa à la porte et Maggie entra : il était dix-huit heures, elle venait chercher la jeune bénévole. En sortant, celle-ci lui confia :
- Je crois qu’il est en train de faire de gros progrès…
- Oui, ça se sent, répondit Maggie. Il est beaucoup plus serein depuis que vous vous occupez de lui.
- Non, c’est autre chose. Je crois que ses souvenirs commencent à revenir.
- Ah oui ? Mais c’est formidable. Vous avez une influence excellente sur lui ! s’exclama l’infirmière.
En rentrant chez les Weasley ce soir-là, Hermione se sentait comme Jane Eyre rendant la vue à Mr Rochester. Elle était un Ange, avait-il dit, et elle se sentait bien capable de faire des miracles. Elle était heureuse, satisfaite d’elle-même, sa vie avait un sens. Elle se sentait tellement bien qu’elle ne prit pas sa potion Touvabien en se couchant. D’ailleurs, ses réserves étaient pratiquement à sec, mais elle ne ressentait pas la nécessité d’en refaire. Dans un instant d’euphorie, elle jeta même le contenu de sa dernière bouteille par la fenêtre.
Elle se réveilla au milieu de la nuit, en sueur, ses vêtements étaient trempés, elle avait envie de vomir, elle tremblait. Bref, elle connaissait le calvaire de tout drogué en manque. Elle se leva tant bien que mal et rampa jusqu’aux toilettes. Ce furent ses gémissements qui réveillèrent Ginny. Elle rejoignit son amie accroupie au-dessus de la cuvette, pâle comme un linge et tremblant de tous ses membres.
- Hermione ! Qu’est-ce qui se passe ? s’exclama-t-elle horrifiée.
- Oh, Ginny, Ginny… Je me sens pas bien… haleta-t-elle. Il me faut… il me faut du Touvabien !
Ginny secoua la tête d’un air sceptique.
- Tu sais, je suis pas sûre que…
Elle-même avait arrêté de prendre la fameuse potion assez rapidement. Il faut dire que ça allait beaucoup mieux pour Ginny : Harry s’était vite rendu compte qu’il ne pouvait pas se passer d’elle, lui écrivait presque tous les jours et passait au Terrier au moins une fois par semaine. A Sainte-Mangouste, où elle était toujours bénévole, Ginny avait été affectée à la Nursery et aidait à mettre de jeunes sorciers au monde. Elle trouvait cela merveilleux et se voyait bien devenir Sage-Sorcière professionnelle. Rendue aveugle à tout ce qui n’était pas son bonheur retrouvé, et entièrement accaparée par ses nouvelles activités, Ginny avait négligé de se préoccuper d’Hermione comme il l’aurait fallu. En cette nuit de début septembre, où, à trois heures du matin, elle lui tenait les cheveux pendant qu’elle vomissait, elle s’en voulait terriblement d’avoir manqué à son amitié et de ne pas s’être rendue compte que sa meilleure amie était devenue totalement accroc à une potion Euphorisante. Quand Hermione eut fini de vomir, elle se laissa glisser contre le mur et resta plusieurs minutes totalement immobile à essayer de reprendre son souffle. Elle tremblait toujours autant.
- J’ai froid, pleurnicha-t-elle.
Ginny parvint péniblement à la ramener jusqu’à son lit. Hermione pleurait doucement.
- Ginny ! supplia-t-elle. Donne-moi du Touvabien. S’il te plait... Il me faut du Touvabien.
Ginny secoua la tête, bouleversée.
- Non, Hermione. Désolée. Je ne peux pas t’en donner.
- IL ME FAUT DU TOUVABIEN !!! hurla Hermione. IL M’EN FAUT TOUT DE SUITE. DONNE-M’EN IMMEDIATEMENT !!!
Et elle saisit Ginny par les épaules et la secoua par les épaules avec une violence dont son amie ne l’aurait jamais crue capable.
- Hermione ! Hermione ! Calme-toi, s’il te plait. Je ne t’en donnerai pas. Ce truc là n’est pas bon pour toi.
- TU MENS ! TU VEUX LE GARDER POUR TOI TOUTE SEULE ! SALOPE ! JE SAIS QUE TU MENS !
Et Hermione se mit à insulter son amie qui la regardait bouche-bée. Elle n’aurait jamais pu imaginer qu’Hermione avait un tel vocabulaire à sa disposition. Puis, aussi soudainement qu’elle avait commencé à crier, Hermione se tût et se mit à se balancer d’avant en arrière, les bras passés autour de ses genoux. Elle se mit à geindre doucement et Ginny dût se pencher vers elle pour percevoir ses paroles :
- Excuse-moi. Je n’aurais pas dû te parler comme ça. Mais tu es mon amie, tu dois comprendre. J’en ai besoin. C’est important…
La porte s’ouvrit et toute la famille Weasley pénétra dans la chambre, effarés et inquiets.
La semaine qui suivit fut particulièrement pénible pour tous les occupants du Terrier, mais bien sûr, surtout pour Hermione. Cependant, elle finit, après bien des souffrances, par être totalement désintoxiquée du Touvabien. Une fois guérie, elle insista pour retourner à Sainte-Mangouste. Sa place était là-bas. Gilderoy avait besoin d’elle. De plus il fallait un dérivatif à son malaise. Et puis elle était très gênée de rester seule avec Molly, car elle avait honte de la conduite qu’elle avait eue pendant qu’elle était en manque. De son côté, Molly et tout le reste de la famille étaient pétrifiés que la jeune fille ait pu ainsi se détruire à petit feu sous leurs yeux, sans qu’ils ne s’aperçoivent de rien. Hermione avait donc besoin de prendre le large, de se rendre utile, et pour cela, rien de tel que le bénévolat… Quand elle entra dans la chambre, le visage de Gilderoy s’éclaira littéralement. Il se précipita vers elle et la prit dans ses bras. Il la serra avec force contre lui enfouissant son visage dans ses cheveux et respirant à pleins poumons leur odeur de miel et de fleurs sauvages.
- Oh ! Hermione ! Comme tu m’as manquée ! Comme tu m’as manquée ! ne cessait-il de répéter.
Il finit cependant par la lâcher, recula d’un pas et la contempla avec ravissement. Puis il la saisit par la main et l’entraîna à sa suite.
- Viens, expliqua-t-il. Il fait beau et les infirmières m’ont donné la permission d’aller me promener dans le jardin.
Hermione se laissa donc docilement conduire auprès d’un petit lac artificiel et ils s’assirent tous deux dans l’herbe. Effectivement, bien que le soleil commençât à décliner, il faisait encore chaud, et il était agréable de profiter de cette belle après-midi d’automne, probablement un des derniers jours de septembre où l’on pourrait se promener dans un parc, simplement vêtue d’une robe légère. Hermione jeta un coup d’œil nerveux autour d’elle. L’endroit était horriblement… romantique. Des flamants roses paressaient dans le lac, le soleil embrasait de ses rayons orangés les collines alentours, sur la berge d’en face, un saule pleureur laissait ses branches ployer jusqu’à toucher l’eau… Sur le banc, elle sentit Gilderoy se rapprocher d’elle et poser une main sur son genou.
- Hermione… murmura-t-il. Tu m’as tellement manquée que je n’arrive pas à l’exprimer. Je n’étais qu’un fantôme sans toi. Je n’existe plus quand tu n’es pas là.
De son autre main il lui caressa la joue.
- J’ai besoin de toi, Hermione. Je n’arrive pas à vivre quand tu es absente. Je… je ne suis rien sans toi.
Il se tut une minute et reprit d’une voix tremblante :
- Je t’aime, Hermione…
Hermione le contempla sans répondre, pendant quelques secondes. Evidemment, Touvabien ne remplissait plus son office qui lui permettait de tout voir en rose. Mais c’était la première fois qu’un homme lui disait qu’il l’aimait. Evidemment, il était beaucoup plus vieux qu’elle. Evidemment, il était amnésique, pour ne pas dire à moitié fou, et évidemment, par le passé il avait été un imposteur franchement malhonnête. Mais cette époque était révolue. Et il avait besoin d’elle. Il l’aimait. Il était sans doute la seule personne au monde pour qui l’existence d’Hermione signifiait réellement quelque chose. Il pouvait se montrait tendre et attentionné. Il la touchait, elle avait envie de l’aider. Avec lui, elle n’était plus inutile. Et puis il fallait bien avouer que même sans Touvabien, il avait réellement un sourire charmeur. Alors Hermione cessa de réfléchir et ferma les yeux. Elle ne se déroba pas quand il se pencha pour l’embrasser. Au bout de quelques secondes, elle se mit même à lui rendre son baiser. Bien sûr, il lui faudrait beaucoup de temps pour pouvoir lui répondre qu’elle l’aimait aussi, si même elle y parvenait un jour. Mais elle pouvait l’aider à guérir, sa vie prenait un sens ainsi, elle était enfin utile.
Evidemment, il valait mieux éviter de se demander si il était vraiment utile d’aider Gilderoy Lockhart à guérir de son amnésie. Pour ne plus entendre la petite voix qui susurrait cette question désagréable à l’intérieur de sa tête, Hermione ferma les yeux et embrassa à nouveau son ancien professeur.
ooooooooooooOOOOOOOOOOOOOOOOOoooooooooooooo
Epilogue
(parce que je suis incurable, irrécupérable, gravement, définitivement, fatalement atteinte)
Dans la cave où il se terrait depuis plus d’un an, Drago Malefoy jubilait. Une semaine ! Plus qu’une semaine ! Leur plan était parfait ! Rogue et lui avaient pensé à tout. Dans une semaine, ils auraient définitivement vaincu le plus grand Mage Noir de tous les temps et la vérité éclaterait enfin. Ils ne seraient plus obligés de se cacher, ils pourraient à nouveau marcher à la lumière du soleil, leurs noms seraient réhabilités… Mieux ! Ils seraient traités en héros !...
Et il La retrouverait.
Et Elle comprendrait.
Elle comprendrait que c’était pour Elle qu’il avait fait tout ça… Elle comprendrait qu’il n’était pas comme l’autre mégalo qui lui servait d’ami. Il n’avait pas fait ça pour sauver le monde… il avait ça pour La sauver, Elle. Pour La sauver de ce fou furieux qui voulait trucider tous les Sang-de… tous les enfants de Moldus. Drago soupira d’aise. Une semaine ! Dans une semaine, il La serrerait dans ses bras.
Il fallait qu’il se calme. Il n’était bon à rien dans cet état. Une semaine, plus qu’une semaine ! Il sourit sans même s’en rendre compte. Son regard tomba sur la Gazette du Sorcier et il l’ouvrit machinalement. Un article attira son attention et il le lut, d’abord distraitement, puis avec une horreur grandissante.
Guérison Miraculeuse à Sainte Mangouste, par Rita Skeeter.
Alors qu’il était soigné dans le plus grand hôpital sorcier d’Angleterre, suite à une mystérieuse amnésie, survenue quand il était professeur à Poudlard, au poste tristement célèbre de Défense contre les Forces du Mal, l’ex-auteur à succès, Gilderoy Lockhart semble être en bonne voie de guérison. Toutes les méthodes connues avaient, parait-il, été tentées, par les plus grands Guérisseurs du pays, afin de rendre la mémoire à l’auteur du sensationnel Moi le Magicien, sans succès jusqu’alors, quand une jeune et courageuse bénévole, ancienne et brillante élève du professeur, réussit à rendre à Gilderoy, par la seule force de sa foi jamais démentie, l’étincelle de la raison, il y a de cela à peu près un an. « J’y ai toujours cru, nous affirme Hermione Granger, la bénévole qui a rendu possible cette guérison miraculeuse. J’ai conscience que le travail que nous avons accomplis, Gilderoy et moi, au cours de cette année, est exceptionnel, mais j’ai toujours su qu’il parviendrait à s’en sortir. Je n’ai jamais douté parce que j’avais confiance en lui plus qu’en moi-même. »
Les progrès effectués par le sorcier au sourire le plus charmeur de Grande-Bretagne ayant été incroyablement rapides au cours de ces dernières semaines, il sera en mesure de quitter Sainte-Mangouste d’ici quelques jours. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’auteur de best-sellers au succès international a annoncé lui-même à la presse, qu’il épouserait sa très dévouée et fort jolie infirmière dès sa sortie de l’hôpital…
Drago était livide. Il froissa le journal en boule et le jeta par terre. Il était dans une telle rage qu’il n’eut même pas besoin de sa baguette pour y mettre le feu. Il serra les poings jusqu’à ce que ses ongles s’incrustent dans les paumes de ses mains qu’il se mette à saigner. Mais il ne parvenait pas à pleurer. Il était un Malefoy, et les Malefoy ne pleurent pas.