II : Premiers contacts
Je me réveillai dans mon lit à Poudlard. Pendant un instant, la situation me parut tout ce qu’il y a de plus normale. C'était la rentrée et j'étais dans mon dortoir. Mais dès que j'écartai les courtines, il me fut évident que les choses ne s'étaient pas arrangées. Mes camarades me regardaient avec curiosité, et il y avait un Harry Potter de trop dans la pièce.
Tâchant d'ignorer les regards inquisiteurs, j'allai me doucher. Quand je revins dans le dortoir, l'Autre était déjà parti. Dean, qui m'avait attendu avec Seamus et Neville, me dit :
"On va te montrer le chemin vers la Grande Salle. Cela ne va pas être évident au début de te repérer dans le château. N'hésite pas à nous demander pour aller d'une classe à l'autre."
J'allais lui répondre que je connaissais les lieux sans doute mieux qu’eux mais je me souvins avoir prétendu la veille débarquer d’Australie.
"Ah euh, merci, répondis-je. C'est sympa."
Notre entrée dans la Grande Salle fut relativement discrète. Mais quand je m'assis à la table des Gryffondors, Dean insista pour que je m'installe à ses côtés. De ce fait, je me trouvai également non loin de l'Autre. Il ne fallut que peu de temps pour que nous soyons le point de mire de tout le réfectoire.
Dans mon monde, je suis assez connu dans l'école. En cinq ans, j'ai suffisamment inondé le château des produits de chez Zonko pour me faire repérer par tous les élèves. De plus, je joue dans l'équipe de Quidditch et j'ai mon petit succès auprès des filles, toutes maisons confondues. Mais si je suis connu de vue, je n'avais jamais été dévisagé de la sorte, comme une bête curieuse. Ce n'était pas une expérience très agréable.
L'Autre, qui était assis entre Ron et Hermione, ne semblait pas apprécier non plus. Il me jetait régulièrement des regards mauvais, comme si tout était de ma faute. Mais que croyait-il ? Que j'avais fait exprès de venir ici ?
Alors que je terminais mes œufs, le professeur McGonagall vint à moi et nous décidâmes de mon emploi du temps. Je pris potions, arithmancie, métamorphose, enchantements et étude des Moldus, tel que je l'avais prévu à la fin de l'année précédente… hier pour moi. Les cours de défense contre les forces du Mal étaient obligatoires ici.
Elle repartit, et je m'apprêtais à me lever pour rejoindre la classe de potion où se tiendrait mon premier cours, quand Malefoy des Serpentard vint se planter devant l'Autre.
"Alors, Potter, lança-t-il, tu trouvais qu'on te remarquait pas assez ? Tu as demandé du renfort ?"
Le regard qu'ils échangèrent ne manqua pas de m'étonner. Dans mon monde, je n'appréciais pas énormément Malefoy, et il me le rendait bien. Par contre, nous nous bornions à nous ignorer, si l'on exceptait les matchs de Quidditch au cours desquels je récupérais régulièrement le Vif sous le nez. Ici, Lui et l'Autre se haïssaient visiblement avec conviction, et j'aurais mis ma main au feu que leur petit échange acerbe était une tradition bien établie à Poudlard.
"Occupe-toi de tes affaires, Malefoy, tenta Hermione, comme si elle craignait la réponse de l'Autre.
- Même pas capable de répondre tout seul, répondit le Serpentard de sa voix traînante. Et manifestement sa copie ne vaut pas mieux.
- C'est quoi le problème ? demandai-je, considérant que mon honneur était maintenant en jeu. T'as une nouvelle mise en plis ce matin et personne ne l'a remarqué ? Si tu veux mon avis, passe un peu moins de temps devant ta glace et tu auras l'air un peu plus viril."
Il me dévisagea, l'air de ne pas en croire ses oreilles, pendant que la table des Gryffondors s'esclaffait et que l'Autre daignait sourire.
"Toi, je t'ai pas demandé ton avis, cracha-t-il.
- Et alors ? Tu crois que j'attends ta permission pour parler ? Tu te prends pour qui ?
- Et toi alors ? Toi, t’as même pas de précieuse cicatrice pour te permettre de la ramener !" répliqua-t-il.
Encore cette histoire de cicatrice. Mais pourquoi était-elle si importante ? Heureusement pour moi, car je ne savais pas trop quoi rétorquer, McGonagall revint sur ses pas pour voir ce qui se passait. Comme dans mon monde, tout le monde se trouva immédiatement une autre occupation.
J'attendis un peu avant de descendre dans les cachots pour ma première leçon de la journée, histoire de ne pas me retrouver dans les escaliers en même temps que l'Autre, qui avait choisi cette option également aux dires de Seamus. J'arrivai donc juste après Malefoy aux abords de la salle de classe, et j'y entrai sur les talons du Serpentard.
J'eus la surprise de constater que ce n'était pas le professeur Le Creuset qui allait donner le cours, mais Severus Rogue. Ce dernier me mit aussitôt dans le bain :
"Notre nouveau Gryffondor semble avoir quelques problèmes avec les horaires, lança-t-il doucereusement. C'est dommage pour sa maison qui perd cinq points."
Je le regardai avec stupéfaction. Comment pouvait-il me retirer des points pour retard, alors que je suivais de près l'agaçant blondinet qui était en train de s'asseoir avec un sourire goguenard. J'ouvris la bouche pour protester, quand Hermione me saisit violemment pas le bras, me propulsant vers une place vide.
"Mademoiselle Granger, vous n'avez plus l'âge de jouer à bousculer vos camarades. Trois points de moins pour Gryffondor."
Je constatai que tous les élèves de ma maison semblaient plus résignés que choqués par ce parti pris et tentaient de se faire les plus discrets possible. Je les imitai, désignant in petto Rogue comme ma première victime si j'arrivais à mettre la main sur les farces et attrapes en vogue dans ce monde-ci.
En règle générale, j'adorais ce cours, ayant hérité de la passion de ma mère pour cette matière. Mais avec ce prof, c'était un vrai cauchemar. Tout d'abord, il me reprocha de n'avoir ni livre ni chaudron. Puis il me posa des questions assez vicieuses, et ne m'accorda aucun point quand j'y répondis correctement. Il alla même jusqu'à prétendre que je m'étais trompé à la dernière question, alors que j'y avais parfaitement répondu. Au total, je fis perdre plus de vingt points à ma maison en moins de deux heures et récoltai deux soirs de retenue pour insolence.
L'heure suivante, en métamorphose, se passa mieux. Nous y retrouvâmes Neville et Seamus. Je constatai avec étonnement que Neville n'était pas très bon dans cette matière. D'ailleurs, en l'observant, je notai un grand nombre de différences avec le mien : il semblait moins sûr de lui et ne témoigna à aucun moment de l'humour pince sans rire que j'appréciais tant chez lui. Je notai également qu'il était traité par nos camarades avec une certaine condescendance, qu'il n'aurait pas acceptée dans mon monde.
Le repas de midi fut comme celui du matin. L'Autre et moi fûmes l’objet de la curiosité insistante de nos condisciples. L'après-midi, j'eus arithmancie avec Hermione qui me jetait des regards furtifs. Elle semblait profondément troublée par ma présence. Sans doute était-ce bizarre de se retrouver avec le double de son ami. Je remarquai que ce dernier n'avait pas pris cette option. Il est vrai que j'avais moi-même hésité entre arithmancie et divination. C'était Maman qui s'était violemment opposée à ce que j'étudie les arts divinatoires et Papa m’avait étrangement lâché dans cette bataille là.
Après le dîner, je rattrapai l'Autre alors qu'il ressortait de la Grande Salle avec les éternels Ron et Hermione. Il fit mine de ne pas me voir, mais je l'attrapai par le bras :
"Eh, deux secondes, je voudrais te parler, l'interpellai-je.
- Qu'est-ce que tu me veux, lança-t-il, peu amène.
- Harry ! fit Hermione, d'un air de reproche. Ce n'est pas de sa faute."
Il ne me manquait plus que la compassion de miss Grosse-tête. Une fois de plus, je me demandai pourquoi l'Autre traînait avec elle. Mais ce n'était mon problème, après tout.
"Ecoute, dis-je à mon double, la situation ne m'enchante pas plus que toi, mais c'est comme ça, on n'y peut rien. Et puis c'est pas la peine d'en faire tout un plat. Je suppose qu'on n'est pas les seuls élèves à se ressembler. D'ici quelques jours, plus personne ne fera attention à nous.
- Tu crois ça ? me demanda-t-il agressivement. Je peux te dire que t'as rien compris à la situation.
- Eh bien, explique-moi, au lieu de me regarder de travers. Tu crois que je ne préfèrerais pas être resté où j'étais ? Quand je pense que je devrais être en vacances…"
Il haussa les épaules, ne souhaitant manifestement pas épiloguer sur notre situation, ce que je compris fort bien, car les élèves qui se trouvaient à proximité ne se gênaient pas pour tendre l'oreille de la façon la plus indiscrète.
"Bon, tu voulais quoi ? me demanda-t-il, comme pressé d'en finir.
- Je voudrais faire quelques courses ce soir, expliquai-je. T'aurais de l'argent à me prêter ?
- Comment comptes-tu sortir de Poudlard, me demanda Hermione.
- Ça, c'est mon problème, répondis-je.
- Sorcière borgne ? me demanda l'Autre, dont l'intérêt semblait éveillé.
- Par exemple", répondis-je, surpris de constater qu'il connaissait ce passage.
C'était mon père qui me l'avait indiqué, or matériellement, l'Autre n’avait pu bénéficier des mêmes conseils. Peut-être était-ce Sirius qui le lui avait révélé, ou bien Remus ou Peter. Il faudra que je lui demande ce qu'ils étaient devenus.
L'Autre me fixait intensivement.
"Ce sera plus facile avec la cape", murmura-t-il, comme s'il essayait de voir si j'allais comprendre un sous-entendu.
Ce dernier ne fut pas perdu pour moi.
"Tu l'as toi aussi ! répondis-je sur le même ton. Formidable ! Oui, cela me simplifierait la vie.
- Non, mais ça va pas ! intervint Hermione. Il ne va pas se promener à Pré-au-Lard ! Et s'il était reconnu ? Tu te rends compte du danger qu'il court si on le prend pour toi ?
- Il aura la cape, rétorqua Ron.
- Il va devoir la retirer pour faire les magasins, lui opposa-t-elle.
- "Il" est là et n'apprécie pas qu'on parle de lui à la troisième personne, sifflai-je, furieux de la façon dont le duo prenait part à la conversation. D'ailleurs, c'est une affaire entre moi et… lui," conclus-je, ne sachant comment désigner l'Autre, répugnant à utiliser mon nom ou mon prénom, pour cela.
Ron rougit de fureur :
"Ce qui concerne Harry nous concerne aussi ! Et il a raison : tu ne comprends rien à la situation.
- Je vais chercher de l'argent et… le reste, coupa l'Autre. Tout va bien se passer, ajouta-t-il à l'intention de ses amis. Partez devant, je vous rejoins à la bibliothèque."
Hermione secoua la tête, peu convaincue, pendant que Ron me regardait avec rancune. Je montai avec l'Autre à la tour des Gryffondors, puis dans notre dortoir. Il me passa dix gallions et me tendit l’étoffe que je connaissais bien, mon père me l'ayant confiée lors de mon entrée en troisième année.
Quand j'ai tendu la main pour saisir la cape, on s'est regardé dans les yeux pour la première fois depuis la veille au soir. Pendant quelques secondes, nous avons tous deux essayé d'évaluer nos différences. A son regard, je compris que, tout comme moi, il était aussi fasciné que mal à l'aise de me voir me dresser face à lui.
L'arrivée de Dean brisa cet échange. Je dissimulai la cape et redescendis dans la salle commune. Dans un couloir sombre, j'enfilai la cape et pris le souterrain pour Pré-au-Lard.
Je me dépêchai de faire les boutiques avant la fermeture. Les gens me dévisagèrent avec surprise, et je me demandai, une fois de plus, pourquoi on faisait tout un foin autour de l'Autre. Il fallait vraiment qu'on ait une petite conversation tous les deux !
J'achetai des fournitures scolaires, ainsi que quelques indispensables chez Zonko en pensant à ce cher Rogue. Celui-là n'allait pas l'emporter au paradis ! Personne ne s'attaque à un Potter sans en payer le prix fort, comme disait mon père. Si l'Autre n'avait pas su faire respecter cette règle, j'allais m'en charger pour lui.
Quand je revins dans notre dortoir, l'Autre lisait sur son lit. Il ne leva pas les yeux à mon arrivée, et je n'insistai pas. Je relus mes notes, feuilletai les livres que j'avais achetés. Neville monta à son tour et commença à s'occuper de la plante qu'il avait sur sa table de nuit. Mon Neville n'avait pas de passion pour la botanique, mais je passai outre cette petite singularité et tentai de faire sa connaissance.
Dans un premier temps, il sembla presque surpris que je lui adresse la parole, mais répondit de bonne grâce aux questions que je lui posai sur la vie à Poudlard. Petit à petit, je lui demandais des renseignements sur lui, pour tenter de mieux le situer. Je fus étonné de l'entendre autant parler de sa grand-mère et pas de ses parents. Que leur était-il arrivé ? Etait-ce cela qui expliquait la différence de personnalité ?
Au cours de notre discussion, Neville regarda plusieurs fois dans la direction de l'Autre. Sans doute était-il étonné par la froideur qu'il y avait entre des prétendus cousins . Que mon double me snobe m'agaçait, mais dans le même temps, j'étais soulagé de ne pas avoir à lui parler. Il me foutait le bourdon, avec sa gueule de cinq pieds de long et sa manie compulsive d'aplatir sa frange sur son front. Il remontait régulièrement ses lunettes sur son nez, aussi. Cela m'agaçait encore plus que tout le reste, car je savais que c'était une de mes propres habitudes. Papa le faisait aussi.
Finalement, au bout d'un moment, j'ai fini par retrouver mon Neville. Mis en confiance, il commença à faire des commentaires humoristiques sur les profs ou certains élèves. Rien de bien méchant, mais c'était drôle et bien observé. Neville, quoi.
Les jours suivants, j'ai essayé de ne pas trop me faire remarquer. Ce n'était pas dans ma nature, mais j'avais pas envie de faire des gaffes et de laisser deviner que le château et ses habitants m'étaient familiers. Enfin, familiers, c'était vite dit. Souvent, alors que j'avais l'impression d'être en terrain connu, une remarque, anodine pour eux, me rappelait qu'ils n'étaient pas ceux que je croyais connaître.
Petit à petit, je devenais plus proche de Neville, qui n'avait pas de véritables amis dans ce monde. Dean et Seamus ressemblaient à leurs doubles : sympas, mais nous n'avions pas tellement d'atomes crochus. Ron ne se décollait pas de l'Autre, ce qui faisait qu'on ne se parlait jamais.
Côté filles, Lavande et Parvati étaient aussi sympas que celles que je connaissais. D'accord, elles n’avaient pas grand-chose dans la tête, mais elles étaient assez mignonnes pour que cela ne soit pas gênant. Les trois mois que j'avais passés avec la Lavande de chez moi avaient été assez agréables pour que je commence quelques travaux d'approche de ce côté. J'étais curieux de voir si elle embrassait pareil.
Je n'eus pas l'occasion de parler à Hermione mais, contrairement à Ron, qui calquait son attitude sur celle de l'Autre en m'ignorant, je la surprenais souvent à me regarder pensivement. Plusieurs fois, je lui retournai son regard d'un air interrogateur, mais elle se replongeait dans son livre ou dans son devoir.
Je discutai aussi avec les élèves des autres maisons. Une fois qu'il fut bien clair que je n'étais PAS Harry Potter, et que, malgré notre lien de parenté, je ne le connaissais pas assez pour leur révéler quoique ce soit sur lui (à vrai dire, je ne comprenais même pas leurs questions), ils eurent un comportement normal, et je me liai rapidement avec eux. J'avais, en effet, toujours eu beaucoup de facilité à me faire accepter dans les groupes.
Pour faciliter mon intégration, j'avais décidé de me démarquer de l'Autre autant que possible, sans modifier radicalement mon apparence. Dans un premier temps, je métamorphosai mes lunettes pour qu'elles n'aient ni la forme, ni la couleur de celles de l'Autre.
Mais je me rendis vite compte, que ce n'était pas mes lunettes qui servaient de repère à mes interlocuteurs. C'était immanquablement vers mon front que leurs regards s'égaraient, pour avoir confirmation de mon identité. Je me décidai finalement à fixer mes cheveux en arrière chaque matin pour arborer un front vierge de toute cicatrice et, Merlin merci, de tout bouton d'acné.
Je tâchai également de faire connaissance avec Ginny Weasley. Dans mon monde, nous étions très amis. Cela avait commencé par une grande complicité avec les jumeaux. J'adorais leur imagination, leur gaieté et leur manière de considérer Poudlard comme un terrain de jeu géant, et accessoirement une réserve de cobayes pour leurs farces et attrapes.
Quand j'avais quitté mon monde, ils venaient de passer leur ASPIC et hésitaient entre se faire embaucher par Zonko ou rester indépendants en lançant leur ligne de produits qu'ils vendraient dans les magasins de Farces et Attrapes existant.
Pour en revenir à Ginny, elle était bien souvent leur complice et un lien assez fort s'était développé entre nous. Je n'avais cependant jamais tenté d'en faire ma petite amie. D'abord parce que je tenais trop à notre amitié. Et puis je n'avais pas vraiment envie d'avoir ses six grands frères sur le dos. De toute façon, je n'avais pas vraiment l'impression de lui plaire de cette façon-là.
C'est sans doute pour cette raison que je fus aussi surpris quand je constatai qu'elle semblait en pincer pour l'Autre. C'est du moins l'impression que j'eus en remarquant la façon dont elle l'observait. En fait, elle sortait avec Dean, ce qui m'avait encore plus surpris… jusqu'au moment où je compris que cette relation était une façon pour elle d'essayer d'oublier les sentiments non partagés qu'elle vouait à mon double.
Je me demandai vraiment ce qu'elle trouvait à l'Autre, alors qu'elle n’avait jamais semblé éprouver ce genre de sentiments pour moi. Cela me dépassait. Il était moins drôle, moins populaire, et plutôt abrupt en société. J'en conclus que, pour une raison ou pour une autre, cette Ginny n'avait rien à voir avec la mienne, et je renonçai provisoirement à l'aborder. D'ailleurs, j'avais bien l'impression qu'elle me fuyait.
D'autres petites choses, beaucoup plus désagréables, accentuèrent le décalage avec ma perception habituelle de Poudlard.
Le quatrième jour, je descendis plus tôt que les matins précédents pour le petit déjeuner et j'assistai à un rituel qui m'avait jusque-là échappé. Cela commença par l'arrivée des hiboux. Hermione reçut la Gazette des sorciers, ce qui ne me surprit pas en soi. Mon Hermione n'était pas abonnée, mais cela ne m'aurait pas étonné d'elle.
"Alors ? demanda Ron.
- Personne que nous connaissions", répondit la brunette en continuant sa lecture.
De quoi diable, parlaient-ils ?
Puis petit à petit, je notai que certains élèves portaient des brassards de deuil. Et il y avait aussi une tension que je ne connaissais pas entre les Serpentards et les autres élèves. Des échanges violents avaient lieu entre les cours, et l'on n’était parfois pas loin d'échanger des coups ou des sortilèges dans les couloirs.
Les cours de défense contre les forces du Mal étaient différents aussi. Terminés les cours théoriques sur les créatures magiques dangereuses. On apprenait à se défendre, et très sérieusement. Je fus étonné par le niveau atteint par mes camarades. Presque tous maîtrisaient les sorts de base, et plus de la moitié arrivaient à former des Patronus corporels. Je fus horriblement vexé en constatant que l'Autre en faisait un magnifique, alors que je n'étais pas fichu de sortir autre chose de ma baguette qu'un crachouillis infâme.
La forme du patronus de mon double me troubla aussi. Etais-ce un hasard s'il ressemblait à l'Animagus de mon père ? Mais d'ailleurs, son père à lui était-il Animagus ? Rien ne le garantissait.
Je me demandai aussi si lui-même pouvait se transformer. Pour ma part, alléché par les récits de mon père et de ses amis, j'avais fait des recherches sur le sujet. Mais j'avais été découragé par la difficulté de la tâche et j'avais abandonné mon projet.
J'étais déjà arrivé depuis deux semaines quand je compris enfin ce que signifiait la présence de Voldemort dans ce monde. Le jour d'Halloween, Hermione avait, comme d'habitude, entrepris de déchiffrer la Gazette, et Ron lança son "Alors ? " habituel.
Hermione ne répondit pas.
Le rouquin arrêta de s'empiffrer, ce qui dénotait chez lui un trouble profond. L'Autre se figea.
"Qui ? demanda-t-il, presque sèchement.
Pour toute réponse, Hermione regarda la porte par laquelle rentraient les élèves. Justin Finch-Fletcher arrivait justement. Hannah Abbot vint à sa rencontre de la table des Poufsouffle et lui chuchota quelque chose, en lui mettant la main sur l'épaule avec sollicitude. Il sembla recevoir un choc. Réalisant qu'ils étaient le centre de l'intérêt général, Hannah entraîna son camarade vers le Hall d'entrée, pour le soustraire aux regards.
N'étant pas sûr de comprendre, je ramenai mon attention vers Hermione.
"Son père seulement, dit-elle d'une voix qui tremblait à peine. Sa mère était en visite pour quelques jours dans sa famille."
Je la fixai horrifié. Avais-je bien compris ? Le père de Justin était… mort ? Et elle en parlait comme on parle du temps qu'il fait ! Tout le monde cependant, n'avait pas son sang-froid. Des reniflements s'élevèrent de la table des Poufsouffles, et chez les Gryffondors, beaucoup repoussaient leurs assiettes et parlaient entre eux à voix basses.
Hermione se leva et alla réprimander des première année insouciants qui parlaient bruyamment. Elle fut plus sèche que d'habitude cependant dans ses réprimandes, ce qui me fit soupçonner qu'elle n'était peut-être pas si insensible que cela.
Je vécus le reste de la journée dans le brouillard. Je crois que ce qui me choqua le plus fut le fatalisme avec lequel l'événement semblait être accepté. Ne ressentaient-ils aucune révolte à l'idée que le père de leur camarade avait été assassiné par une bande d'encagoulés ? J'avais récupéré un journal et lu la description du drame. Il était décrit sans fioritures, avec des allusions à d'autres attaques semblables survenues les semaines précédentes. Manifestement, ce genre d'événement était monnaie courante dans ce monde.
Je n'avais presque rien mangé à midi et, pourtant, l'idée de dîner me soulevait le cœur. Après les cours, au lieu de suivre les autres dans la Grande Salle, je descendis dans le parc. Je me rendis compte que mes parents et Rose me manquaient affreusement. Je voulais rentrer chez moi. Je voulais retrouver mes copains, les vrais, pas leurs copies dont les souvenirs ne coïncidaient pas avec les miens. Je voulais retrouver ma propre vie.
Mes pas finirent par me mener au stade de Quidditch. Songeant que cela faisait longtemps que je n'étais pas monté sur un balai, je m'assis mélancoliquement dans les tribunes. Un match était prévu deux jours plus tard, mais je n'étais pas sûr d'avoir envie d'y aller. Cela ne ferait que raviver mon envie de jouer. J'essayai d'imaginer la tête de l'Autre si je lui disais que je voulais entrer dans son équipe. Puis je me dis que, vu les circonstances, il n'y aurait peut-être pas de match du tout.
J'étais en train d'envisager assez sérieusement de retourner dans la pièce magique par laquelle j'étais arrivé et de tenter de retourner chez moi malgré la mise en garde de Dumbledore, quand une voix m'interpella :
"Harry ?"
Hermione était sur le gradin inférieur.
"Oui… euh non, moi je suis Simon", soupirai-je.
- Je sais qui tu es, me répondit-elle. Cela doit être pénible pour toi d'avoir dû renoncer à ton prénom", ajouta-t-elle, d'une voix compatissante, tout en montant les marches qui nous séparaient et en s'asseyant près de moi.
Je ne répondis pas. Je me demandai ce qu'elle me voulait.
"C'est l'Autre qui t'envoie ? lui lançais-je.
- Non, je m'inquiétais de ne pas te voir au dîner, m'expliqua-t-elle.
- Comment as-tu su que je viendrais ici ?
- Cela fait du bien à Harry de faire un tour en balai quand il est bouleversé. J'ai pensé que tu ferais pareil. Tu joues au Quidditch, je suppose.
- Oui. Et lui, il joue à quel poste ?" ne pus-je m'empêcher de demander.
Je savais qu'il était capitaine de l'équipe, mais je ne l'avais pas vu à l'œuvre. Durant les entraînements qui avaient eus lieu depuis mon arrivée, j'étais en retenue avec Rogue.
"Il est attrapeur, m'apprit-elle. Il est excellent. Mais je suppose que toi aussi.
- Je me débrouille, répliqua-je, modestement. Et moi aussi, je suis attrapeur."
Une pensée me traversa.
"Tu crois qu'on pourrait jouer l'un contre l'autre, une fois ? Juste lui et moi !"
Cela la fit sourire. "Je pense que cela lui plairait aussi…."
Elle reprit subitement son sérieux.
"Enfin, je ne sais pas, soupira-t-elle. Il a du mal à accepter ta présence.
- Parce qu'il croit que je suis content d'être là ? grognai-je. Au moins, chez moi, on ne se fait pas massacrer par des dingues !
- Cela ne lui fait pas particulièrement plaisir d'être le Survivant, m'opposa-elle d'une voix sèche.
- Mais c'est quoi cette histoire de Survivant ? la questionnai-je. Et pourquoi il m'en veut à ce point ? C'est pas lui qui se retrouve loin de chez lui et de sa famille !
- Au moins, ta famille va bien. Ses parents sont morts depuis quinze ans et son parrain vient de se faire tuer. Tu penses que c'est mieux ?
- Je… "
Je me sentis vraiment crétin, tout à coup. C'est toujours le problème quand on parle avec Hermione. Puis je réalisai ce qu'elle venait de dire.
"C'était qui son parrain ? demandai-je, glacé.
- Sans doute le même que le tien. Sirius Black.
- Il vient de se faire tuer ? répétai-je atterré, même si ce n’était pas mon Sirius qui venait de disparaître.
- Oui, confirma-t-elle tristement. Cela s'est passé il y a quatre mois, et Harry en est encore profondément bouleversé.
- Oh !" Je me sentis de nouveau abattu. "Et Remus et Peter, demandai-je avec inquiétude. A eux aussi, il leur est arrivé quelque chose ?
- Remus n'a pas une vie facile. On n'engage pas facilement les loups-garous, tu comprends. Quant à Peter… C'est lui qui a trahi tes parents et qui est la cause de leur mort, m'assena brutalement Hermione. Il est actuellement aux côtés de Voldemort.
- C'est pas possible !" m'écriai-je.
Pas Peter, le gentil Peter. J'étais moins proche de lui que de Sirius ou Remus, mais je le voyais régulièrement, et il m'offrait toujours de cadeaux sympas.
"Hélas si ! continua-t-elle impitoyable. Et ensuite, il a piégé Sirius, l'a fait passer pour un fou dangereux, et ce dernier a passé douze ans à Azkaban pour des crimes qu'il n'avait pas commis.
- Quoi ? dis-je abasourdi.
- Sirius a fini par s'échapper mais… il a été tué en duel en juin dernier.
- Mais c'est affreux !
- Oui, souffla-t-elle. C'est la vie d'Harry."
On est restés un moment silencieux. Finalement, je lui ai demandé :
"Et cette cicatrice, pourquoi est-elle si importante pour tout le monde ?
- Harry l'a reçue quand Vol… Voldemort a essayé de le tuer, alors qu'il avait un an. Voldemort a tué ton père… enfin je veux dire celui d'Harry. Ensuite, Lily s'est interposée entre le Seigneur des Ténèbres et son fils. Elle a utilisé un rituel de magie ancienne, ce qui lui a coûté la vie. Du coup, quand Voldemort a envoyé un Avada Kedavra sur Harry, le sort a été renvoyé, grâce au sortilège de ta… de sa mère. Harry s'en est sorti, avec cette cicatrice. Voldemort a momentanément disparu. On le croyait mort. Harry est donc Celui-qui-a-survécu, celui qui a débarrassé le monde magique de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Le Survivant.
- Mais le Seigneur des Ténèbres est encore là, non ?
- Il est revenu, il y a un peu plus d'un an. Le problème, c'est que Harry était à peu près le seul à l'avoir vu. Alors, durant toute l'année dernière, personne ne le croyait et la plupart des gens l'ont pris pour un fou. Cette période n'a pas été facile pour lui."
Je réfléchis à tout ce qu'elle m'avait appris.
"C'est Remus qui l'a élevé ? demandai-je, ayant logiquement éliminé tous ceux qui avaient été mes repères dans la vie.
- Non, il a été confié à ton oncle et ta tante maternels. Pétunia et Vernon Dursley.
- S'ils l'ont recueilli, ils ne sont pas aussi affreux que Maman le dit, alors, commentai-je.
- Evite de dire ce genre de choses devant Harry, répliqua-t-elle en grimaçant. Ils ont été abominables avec lui. Il déteste devoir retourner chez eux.
- Oh !"
Cela devenait un peu trop. Orphelin, maltraité, ayant perdu un autre proche quelques mois auparavant, pris pour un dingue… J'avais l'impression qu'un poids de cent kilos avait été posé sur mes épaules. Je me sentais encore plus mal que quand Hermione était arrivée.
L'Autre était fou de la fréquenter aussi assidûment. Ou complètement masochiste. Oui, cela devait être cela. Dès qu'il reprenait un peu espoir, il discutait avec elle pour qu'elle lui rappelle quelle catastrophe pouvait encore lui tomber sur la tronche !
"Tu as encore d'autres horreurs à me révéler ? demandai-je brutalement.
- Tu voulais savoir, non ?
- Et bien, j'avais tort. Je ne veux rien savoir, je veux rentrer chez moi et tout oublier.
- Je suis certaine que le professeur Dumbledore y travaille, tenta-t-elle doucement.
- J'espère. Pourquoi il n'est jamais là ? Il n'a assisté au repas que deux fois depuis que je suis arrivé. J'ai même pas pu lui parler depuis le premier soir !
- Il est très occupé. Il se bat de toutes ses forces contre Voldemort.
- Et moi je peux rester là, à me morfondre ou me faire massacrer."
Hermione me regarda d'un air écoeuré et déçu. J'eus honte de moi.
"Enfin, soupirai-je. Puisque je suis là… tu crois que je peux faire quelque chose pour aider ?"
Un sourire illumina son visage.
"Je savais qu'on pourrait compter sur toi. Tu es Harry Potter, après tout, s'enthousiasma-t-elle.
- Hum, répondis-je, gêné par son regard brillant, je ne suis pas certain de pouvoir faire grand-chose."
La confiance qu'elle semblait porter aux Harry Potter fit soudain germer un doute :
"Tu… tu l'aimes beaucoup, l'Autre ? lui demandai-je, incertain.
- Harry ? demanda-t-elle, avant de comprendre le sens de ma question et de rougir furieusement. Oh non, ce n'est pas ce que tu crois. C'est mon meilleur ami, rien d'autre."
Elle semblait trouver cette idée parfaitement incongrue.
"Mais pourquoi tu dis ça ? s'étonna-t-elle. Ne me dis pas que, dans ton monde, je sors avec lui… "
Tout à coup, elle parut réaliser qui était le "lui" chez moi. Elle rougit de plus belle et contempla le bout de ses chaussures.
"Non, non, la rassurai-je. C'est juste que tu es toujours avec lui, et que tu le couves constamment du regard, et que tu sembles l'admirer beaucoup, alors je me demandais….
- Il est comme un frère pour moi, spécifia-t-elle, toujours un peu embarrassée. Et je sais qu'il est troublé par ta présence, alors je m'inquiète pour lui. Nous… Tu… Nous ne sommes pas amis, dans ton monde ? demanda-t-elle avec hésitation.
- Eh bien… je n'ai rien contre toi mais… Tu ne sors pas tellement de tes bouquins, en fait. Je… je suppose que tu serais sympa si tu… "
Je compris que j'étais sur une pente savonneuse et m'interrompis avant de m'enfoncer complètement. Mais elle avait compris et dit, dépitée :
"Je vois. C'est vrai que Harry et Ron ne m'appréciaient pas tellement, avant le troll.
- Le troll ? m'étonnais-je.
- Oui, quelqu'un avait introduit un troll dans l'école et je me suis retrouvée enfermée avec lui dans les toilettes. Harry et Ron sont venus me sauver. Harry a sauté sur le troll et Ron l'a assommé avec un Wingardium, me confia-t-elle.
- Il lui a sauté dessus ! J'aurais aimé être là ! admirai-je, presque frustré de n'avoir jamais rencontré une de ces créatures pour de vrai.
- C'était complètement idiot, répliqua Hermione, en pinçant la bouche d'une façon qui me rappela celle de mon monde. Il est vrai que cela a été plus efficace qu'on peut le croire. Enfin, finalement, on s'en est sorti sans une égratignure et on est devenus amis.
- C'est pour cela qu'il est proche de Ron aussi, commentai-je.
- Ils l'étaient déjà avant, me contredit-elle. Je crois qu'ils avaient sympathisé dans le Poudlard Express. Pourquoi, t'es pas ami avec lui, chez toi ?
- On s'entend bien, mais on n'est pas particulièrement copains. Je suis plus proche des jumeaux ou de Ginny. Et de Neville, bien sûr.
- Neville ? Je l'aime bien, aussi.
- Votre Neville est très différent du mien, lui dis-je avec plus d'amertume que je n'aurais voulu.
- Je suppose qu'il a encore ses parents, chez toi, dit Hermione avec tristesse.
- Ils sont morts ? demandai-je. C'est pour cela qu'il a été élevé par sa grand-mère ?
- Non...enfin oui.
- Oui ou non ?
- Ses parents sont vivants, mais ne sont pas en état de s'occuper de lui", consentit à me révéler Hermione.
Je frissonnai.
"Mais c'est pas possible, éclatai-je. Comment un seul bonhomme peut-il faire autant de dégâts ?
- Il ne peut pas, dit Hermione en haussant les épaules. Il ne serait rien sans ses Mangemorts. Mais il sert de lien entre tous ceux qui veulent imposer leurs lois au mépris du droit et de la justice et qui sont trop lâches pour agir seuls."
Décidément, Hermione était toujours aussi encourageante ! Elle interrompit mes sombres ruminations quelques minutes plus tard.
"Harry, il fait nuit depuis un moment, on devrait rentrer… c'est bientôt l'heure du couvre feu."
Je grimaçai en songeant à la tonne de devoirs qui m'attendait.
"Tu as terminé ta métamorphose pour demain ?demandai-je en me levant.
- Bien sûr ! répondit-elle. Et ne crois pas que tu pourras copier" me prévint-elle.
J'e n'avais jamais envisagé une chose pareille… mais manifestement la fréquenter apportait un petit bonus de ce côté-là.
"Tu es dure, lui répondis-je, en prenant ma voix la plus misérable. Tu te rends compte que j'ai six semaines de cours à rattraper ? Que Rogue va finir par me faire détester les potions ? Et que Neville qui m'aide d'habitude est moins bon que moi, ici ? ?
- Tu peux travailler avec nous, concéda-t-elle.
- L'Autre ne voudra jamais. Il te l'interdira" répliquai-je.
Elle réagit exactement comme je l'avais escompté :
"Harry n'a rien à m'interdire. Si j'ai envie de travailler avec toi, il ne peut pas m'en empêcher !
- Merci Hermione", dis-je humblement.
Elle me regarda avec suspicion, comprenant qu'elle avait perdu le contrôle de la discussion quelque part en route, mais je pris mon air innocent et elle dut m'accorder le bénéfice du doute.