Je m’étais promis de ne jamais jouer les midinettes, ce qui incluait évidemment de ne JAMAIS commencer un journal intime.
Mais là, quand même, j’ai des excuses.
Déjà, je viens de retrouver ce vieux carnet recouvert de cuir qui sent bon la nostalgie. Un carnet aussi épais qu’un triple cheesburger - en moins gras. Celui que maman m’avait offert pour mon entrée à Poudlard. Je l’avais oublié dans un des tiroirs de mon bureau, et quand je suis passée à la maison, cet après-midi, pour faire définitivement mes cartons, je suis retombée dessus. Sept ans après. C’est pas un signe, ça ?
Ce qui m’amène à la seconde raison pour laquelle j’entame ce cahier : Angie et moi, on a finit par prendre un appartement ensemble. Ca y est ! J’ai enfin quitté le cocon familial (et mon infernale sœur par la même occasion) pour vivre de mes propres ailes. Enfin, je crois qu’on dit voler, mais passons.
Je suis donc désormais ce qu’on peut appeler une adulte. Une vraie, j’entends. Je vis en colloc’ avec ma meilleure amie, mais j’ai ma propre apothèque dans laquelle je vais commencer à exercer dès demain. Je vais payer un loyer, des impôts et avoir des responsabilités ! Je ne pourrai compter que sur moi-même, et je ne devrai rien à personne.
Bon, je sais, vous allez me dire que c’est très bien tout ça, mais bon, ton entrée à Poudlard c’était aussi un grand évènement dans ta vie. Tu en aurais eu des choses à dire ! Et vous aurez raison ! Sans parler des vacances que je viens de vivre. Angie et moi sommes parties, seules, à l’assaut de l’Europe. Un gigantesque tour de deux mois organisé par elle et moi. C’était génial. Là aussi, j’en aurai des choses à dire.
Donc, je vois bien que vous êtes des malins et qu’il est inutile que je tourne plus longtemps autour du pot. La vérité, c’est que j’ai besoin de m’épancher. Et que, pour la première fois de ma vie, je ne peux pas m’épancher sur l’épaule d’Angie. Puisque je lui ai dit, pas plus tard qu’il y a une heure encore, que je m’en fichais complètement.
Mais la vérité, c’est que je ne m’en fiche pas du tout. Même, je suis très en colère. De ce que James m’ait plaqué pour cette petite pimbêche d’Hailey Sanders, j’entends. Ce petit salaud.
Le même jour, 20h24.
Non mais, vraiment, à quoi a-t-il pensé ? S’il aime les blondes écervelées qui gloussent dès qu’il ouvre la bouche et qui le regardent avec adoration, il fallait me le dire ! Je ne serai pas sortie avec lui. Je croyais qu’il m’aimait, bordel ! Qu’il ne voyait que moi !
Conneries ouais.
Tout ça parce que, en juin dernier, je lui ai dit qu’il était hors de question qu’on s’installe ensemble. Je ne pouvais pas savoir qu’il l’avait mal pris. Il ne m’a rien dit. Non, mais c’est vrai quoi, quand il fait la gueule, il pourrait pas me le dire ? Je ne suis pas dans son cerveau. Je ne pouvais quand même pas deviner. J’ai toujours été nulle en legilimancie.
Et puis, merde, je ne lui ai pas dit que je ne voudrais JAMAIS m’installer avec lui, juste que c’était peut-être pas la peine qu’on se précipite. C’est vrai quoi, je viens de finir mes études, j’ai envie de goûter un peu à ma liberté. Pas de m’enfermer tout de suite avec un mec. Bon, plusieurs de je dis pas, mais...
Non, mais sérieusement, ça faisait à peine six mois qu’on sortait ensemble. Et puis, de toute façon c’était une promesse qu’on s’était faite à la fin de notre première année, Angie et moi. Habiter ensemble, je veux dire. Je n’allais quand même pas la trahir ! Non mais.
Et puis, aussi, il est toujours fourré avec ses trois acolytes, là. Black, Remus, et Peter. Et il dit toujours que Sirius est comme un frère pour lui. J’étais en droit de penser qu’il allait me comprendre, non ? Pire, qu’il serait content de vivre l’aventure de la collocation avec ses meilleurs amis. Bref, je pensais qu’on était sur la même longueur d’ondes.
Erreur.
Bon, c’est vrai, je n’y ai pas vraiment réfléchi à ce moment-là. Il faut dire que le lendemain je partais pour mon tour d’Europe, j’avais d’autres soucis en tête. Mais quoi ? Il avait tout le temps de m’en parler avant ! Quelle idée de lancer une conversation aussi importante la veille de mon départ !
Ok, c’est vrai aussi que pendant ces deux mois, je ne lui ai pas vraiment donné de nouvelles. Pas du tout, même. Oui, j’avoue ! Mais ce n’est pas de ma faute ! Comme si j’avais eut le temps ! Je n’ai pas donné de nouvelles non plus à ma mère, est-ce qu’elle m’a jetée dehors ?
Bon, théoriquement, oui, puisque je n’habite plus chez moi, mais c’est moi qui suis partie et c’était prévu depuis des lustres. Ca ne l’a pas empêchée de me couvrir de bisous et de câlins.
Bref, tout ça pour dire que ce n’était pas une raison pour aller butiner ailleurs. Encore moins butiner Hailey Sanders. On aurait pu, je sais pas... Discuter calmement. Au hasard ! Se comporter comme des adultes quoi.
Mais non, je parle de James Potter, là. Le mot adulte ne fait pas partie de son vocabulaire. D’abord, il ne me dit même pas qu’il me quitte, et après quand je rentre, il est impossible à joindre. Monsieur m’évite.
Et il a fallu que, finalement, je vienne à leur pendaison de crémaillère (à laquelle, entre parenthèses, j’ai été invitée par Remus et pas par James), pour apprendre qu’il sort avec quelqu’un d’autre. Une gourdasse décérébrée, en plus. Non mais, vraiment ! Quel gamin attardé.
En passant, heureusement que je ne lui ai pas sauté dessus en arrivant. J’aurais eut l’air fine. Enfin, c’est pas comme si je ne l’avais pas remarqué quasi instantanément.
En réalité, cette nana le suit partout. Elle reste collée à lui constamment, c’est consternant. Je crois même qu’elle l’a accompagné au petit coin à un moment !
C’est tout juste si elle ne lui pas accroché un panneau "propriété privée" autour du cou. Et dès qu’une fille s’approche un peu trop près, elle lui décoche un regard meurtrier. Ah, ça, c’est efficace ! Très dissuasif.
Enfin, bref, j’ai compris très vite. Même Martin Miggs l’aurait compris.
Pour ma décharge, je tiens quand même à dire que je l’ai extrêmement bien pris. La dignité même. J’ai ri, discuté et bu comme tout le monde. Et je suis partie la dernière. Comme si je trouvais ça complètement naturel. Comme si j’étais au courant depuis des lustres et que je m’en fichais comme de la révolte des gobelins.
Or, je vous rappelle que, d’une part, je n’étais PAS LE MOINS DU MONDE au courant du phénomène. J’étais même sacrément surprise. Et que, d’autre part, je ne m’en fichais PAS DU TOUT.
Le même jour, 20h55.
Pas que je sois jalouse ou quoi, remarquez. Vous avez surement compris que je ne suis pas non plus éperdument amoureuse de Potter.
C’est juste une question de principe. Quoi ? Ca ne lui coûtait rien de m’envoyer un hibou pour me dire qu’il avait goûté à une autre langue que la mienne et qu’il s’était subitement rendu compte qu’il préférait les blondes (sans cervelle).
Si ?
Le même jour, 20h59.
D’ailleurs, quand j’y pense, j’aurai mieux fait de laisser Charles fourrer la sienne dans ma bouche.
De langue, j’entends.
En plus, j’en avais envie. Enfin, presque.
Disons que j’en aurais eu envie si je n’avais pas autant de principes, moi.
Parce que pendant que je me refusais aux beaux gosses européens qui, au passage, sont tous plus mignons les uns que les autres avec leurs accents, monsieur ne s’en privait pas avec sa groupie.
Le même jour, 23h12.
Voilà, c’est exactement ça. Je lui en veux terriblement parce qu’avec ses conneries, il a gâché tous mes souvenirs de vacances.
Le salaud !
Le même jour, 23h45.
Non, définitivement, ce n’est pas de la jalousie que je ressens. Juste de la saine et juste colère contre un mec dépourvu de principes.
Ca ne m’empêche même pas de dormir.
Le même jour, 23h57.
En même temps, c’est tellement vide, ici. J’ai à peine trois cartons qui se battent en duel dans un coin de ma chambre. Enfin, "chambre". Pour l’instant, ce n’est qu’un nom. Mon lit se résume à un matelas posé sur le sol.
Le même jour, 23h58.
J’aurais du prendre mon oreiller, à la maison.
Le même jour, 00h00.
C’était quoi ce bruit ?!
Le même jour, 00h04.
Bon, c’est décidé, je vais dormir avec Angie. C’est ma première nuit ici, je suis un peu déboussolée.
Rien de plus normal. Elle comprendra.
Enfin, je crois...
Le 4 septembre 1977, 12h07.
Jamais je n’aurai pensé m’ennuyer autant.
Bien sûr, je ne pensais pas vraiment avoir une boutique pleine le jour de l’ouverture. Il y a deux autres apothèques sur le Chemin de Traverse. Depuis des siècles. C’est sûr que la concurrence est rude. Et puis j’imagine que les gens ont leurs habitudes, depuis le temps.
Mais, hé ! Je pensais qu’au moins les gens auraient la curiosité de venir voir ! Or, depuis ce matin, je n’ai eut qu’un seul client.
Et encore, il est reparti en grognant. Sans rien acheter.
Le même jour, 14h21.
Pourtant j’ai abattu un travail de titan ici. Quand je l’ai acheté, c’était un misérable local sombre, humide et rempli de doxys.
Je l’ai nettoyé, réparé, bichonné, repeint. J’ai monté les étagères, décoré des présentoirs dans un style sobre mais joyeux et propre. Pendant toute une semaine. Tous les jours.
Et la nuit je préparai mes potions, toute excitée à l’idée de commencer cette aventure.
Tout ça pour quoi ? Pour voir débarquer un être sinistre qui n’a même pas daigné répondre à mon "bonjour".
Pire, qui a grogné quelque chose d’incompréhensible avant de ressortir comme il était entré.
Alors que j’ai fait un effort de déco surhumain ! Ma boutique n’a rien avoir avec un vieux bouiboui sale et malodorant. Chez moi ça sent bon et il y a de la musique douce. Et on n’est pas non plus agressé par du rose bonbon ou des napperons en papier. Et mes étagères de présentation méritent mieux qu’un pauvre grognement.
Le même jour, 14h25.
Oh mon dieu ! Si ça se trouve, les gens ont tellement l’habitude d’acheter leurs produits dans des conditions d’hygiène déplorables, qu’ils trouvent que ma boutique est trop propre pour être honnête !
Oh, la porte s’ouvre enfin !! Sans doute un autre client ! Hourra !!
Le même jour, planquée dans l’arrière-boutique, 15h03.
Je suis la sorcière la plus nulle de l’univers.
Ce n’était pas un client. C’était Peter. Peter Pettigrow. Un des meilleurs amis de mon petit ami - enfin je veux dire de mon ex-petit ami (ce salaud).
« Salut Lily ! », a-t-il lancé en se frottant nerveusement les mains.
Il faudra quand même un jour que je lui dise de faire des efforts pour perdre cette manie. Ca me met à chaque fois terriblement mal à l’aise.
« Oh, salut Peter ! », ai-je répondu platement.
Je vous jure, j’ai essayé de ne pas montrer ma déception. Mais il faut croire que là aussi je suis nulle puisqu’il m’a regardé d’un drôle d’air. Je me suis donc efforcé de faire la conversation (avec une légère note d’humour dont je ne suis pas peu fière).
« Tu es venu m’acheter quelque chose ? », ai-je donc ajouté en souriant.
Bon, j’avoue que je l’espérais un peu. De toute façon pour quoi aurait-il été là, sinon ? Bien sûr, j’aurais sans doute été plus ou moins obligée de lui faire une ristourne, vu qu’on est censé être amis. Du moins, on l’était quand je sortais encore avec Potter (ce petit con).
Mais Peter avait cessé de sourire et paraissait encore plus embarrassé (si c’était possible) que lorsqu’il avait passé la porte.
« Oh, a-t-il soupiré en prenant un air tragique. J’aurai dû m’en douter. Tu ne t’en souviens plus, pas vrai ?
- Euh, de quoi, au juste ? », ai-je demandé d’un air innocent.
Oui Peter, je patauge dans la semoule. Et pire encore, tu commences à me faire peur.
« Non, c’est rien, fit-il en faisant un geste de la main pour me signifier que ce n’était pas grave (comme si je n’avais pas vu son regard embué). Tu as sans doute dit ça sous l’emprise de l’alcool... Enfin, tu comprends... Oh, je suis idiot ! Ahah, tu ne trouves pas ça d’un comique ? Dire que j’y ait cru... Ahaha...
- Peter, qu’est-ce que je t’ai dit, au juste ? »
Ca commençait à m’énerver, cette situation. Mais, quand j’y pense, j’aurai mieux fait de me taire et de le laisser partir. Une fois de plus. Il ne m’en aurait pas voulu. Peter n’est pas comme ça. Très émotif, mais pas rancunier.
« Euh... En fait, a-t-il finit par lâcher en regardant le plafond, tu m’avais dit que, comme je n’ai toujours pas trouvé de boulot, je n’avais qu’à venir te trouver en début d’après-midi, qu’il te fallait de toute façon un caissier et que... Enfin, qu’on formerait une équipe formidable... »
Une équipe formidable ? Comment a-t-il pu ne pas comprendre que je n’étais pas dans mon état normal ?!
Même jour, même endroit, même drame, et il est 15h16.
Je m’appelle Lily Evans, je suis apothicaire et je viens d’engager un vendeur à la timidité maladive alors que mon chiffre d’affaire du mois risque plus d’avoisiner les zéros que la tête d’un géant.
C’est l’histoire de ma vie.