Bref, on ne savait pas grand-chose. La seule certitude était qu’un homme avait racheté, à un prix ridicule, l’ancienne boutique de l’apothicaire, quelques mois auparavant. Depuis, une toile devenue grise était tendue devant le bâtiment, attisant la curiosité de tous. On avait, parfois, aperçu une silhouette se glissant sous la bâche. Mais personne n’avait pu découvrir quoique ce soit d’autre. Alors le temps passant, on s’habitua au nouveau décor. La vie reprit tranquillement.
Mais en cette journée de novembre, la rue s’animait de manière incongrue. Cela avait commencé en tout début de matinée, par des allers et retours de gobelins de faix, portant des caisses en bois jusque derrière la toile. Puis on avait vu un elfe de maison s’agiter en tous sens, semblant superviser les gobelins qui, eux, n’écoutaient pas sa voix criarde. Enfin, à l’heure où les autres boutiques ouvraient, la bâche disparut. Alors tous purent voir les transformations opérées sur l’ancienne vitrine. Il n’y avait plus les bocaux au contenu étrange, plus de bouquets séchés de belladone, gant de la Dame ou encore de jusquiame noir. La petite balance dorée avait, elle aussi, disparu.
Un petit attroupement se forma donc devant le 13B, observant le magasin flambant neuf. On commentait les objets exposés. Là, une collection de poignards encore tachés de sang, ici, des masques exotiques arborant des crocs et défenses impressionnants. Il y avait aussi toute un étal de bijoux anciens, dont certains luisaient d'une aura sinistre. En vérité, ce n'était point la vitrine qui soulevait le plus de commentaires, mais bien le nom affiché au fronton du bâtiment :
Achat – Vente d'Objets Magiques
Les gens murmuraient, surpris, échangeant leurs avis.
« Avez-vous vu le nom ? Beurk !
- Croyez-vous que ce soit LE Beurk ? Demanda une vieille femme, dubitative.
- En connaissez-vous d’autres ? Non, évidemment. Ça ne peut-être que lui ! »
On échangea des regards étonnés, accompagnés de murmures spéculatifs.
« - Mais enfin, que vient-il faire ici, dans l’Allée des Embrumes ? Osa un jeune homme au regard torve.
- Eh, Quoi ! Gamin, tu ne lis donc pas les journaux. C’est à cause du scandale, voyons! » S’écria un vieil homme.
La foule sembla frappée par cette nouvelle. Mais pourquoi donc n’y avaient-ils pas pensé plus tôt ? Ils s’excitèrent et les discussions reprirent de plus belle. Oui, oui, bien sûr, ce scandale qui l’avait obligé à quitter la prestigieuse Gringotts. Quelques regards effleurèrent les colonnes blanches qu’on apercevait, là-bas, au bout de la rue.
Tout à coup, la porte s’ouvrit dans un tintement du carillon. Sur le seuil se dressait, bien droit et le front haut, celui qui causait tant de troubles dans l'Allée des Embrumes. Une mèche de cheveux poivre et sel cachait son regard, mais l'attroupement ne lui avait pas échappé. Il sourit heureux de son petit effet. Finalement, il s'avança sur le seuil et usant d'un Sonorus annonça :
« Mesdames et messieurs, bienvenue chez Beurk, achat et vente d’objets magiques. En tant qu’ancien briseur de sorts de Gringotts, sachez que les faussaires et petits rigolos ne pourront me flouer ! Tous les objets présentés ici sont donc authentiques et de qualité. Caractacus Beurk ne propose que le meilleur ! »
Il leva le sortilège, fit un petit salut et retourna dans sa boutique. Il se frottait les mains pour les réchauffer. « Seigneur, qu’il faisait froid cet hiver ! » pensa-t-il en vérifiant la mise en place de ses vitrines. Il arrangea la présentation, près de son comptoir, d’un de ses plus beaux trésors, une série de vases canopes rapportés d’Egypte, époque révolue où ses employeurs ne juraient que par lui.
La foule de sorciers, amassée devant sa petite boutique, lui rappela celle qui se pressait dans la succursale cairote de Gringotts. Il sourit. Il avait choisi avec soin la date d’ouverture de sa boutique. Aujourd’hui, nous étions le 3 novembre 1924. Deux ans auparavant, après plusieurs mois de recherches et une course contre la montre haletante, il avait atteint le tombeau de Toutânkhamon avant ce moldu, cet Howard Carter. « L’année 1922 avait été fertile en événements, » se souvint Caractacus. Cette année-là, il avait été promu Briseur de sorts en chef pour ses travaux et ses réussites en Egypte. Le salaire avait suivi, lui permettant d’acquérir une agréable villa dans le Delta pour ses vacances. Il avait fait plusieurs investissements fructueux, et ne doutait pas de sa fortune prochaine. Et il y avait eu ce jour-là…
Difficile d’oublier cette date qui l’amena quelques mois plus tard à découvrir une tombe qui deviendrait mondialement célèbre, chez les moldus comme chez les sorciers. Il se remémorait avec précision cette journée de fin de printemps.
Comme à son habitude, ce matin-là, il avait traversé le Souk sorcier. Ces ruelles étroites et tortueuses étaient ombragées par les toiles tendues des boutiques. Les marchandises s’étalaient devant les bâtiments, réduisant encore plus l’espace de circulation. À cela s’ajoutait les saluts, cris et autres interpellations des habitants. En somme, l’éveil habituel du Caire sorcier. Mais en poussant les portes ouvragées de Gringotts, il découvrit un bien étrange spectacle. Assemblés au centre du hall d’accueil se tenaient gobelins, sorciers occidentaux et orientaux. Dès lors qu’ils virent entrer Caractacus, ils se précipitèrent vers lui en une cacophonie pire que celle de l’extérieur.
« Vous comprenez l’imprécision des archives… - De puissants sorts à l’oeuvre,…- Empêcher que le pire…- Avant que les moldus… »
Il éleva les bras, presque submergé par la foule, et hurla :
« Ça suffit ! - le silence se fit aussitôt - Je vais rejoindre mon bureau, me préparer un thé et ensuite je vous recevrai. De plus pour éviter une nouvelle agression sonore, je ne recevrai qu’un représentant pour les gobelins, ainsi que Monsieur Johnson, mon collaborateur et Monsieur Mahfouz(1) comme porte-parole de nos hôtes. Merci de votre compréhension. »
Il s’était éloigné d’un pas vif, quittant le hall au carrelage de faïence pour rejoindre son bureau. Là où, une tasse de thé plus tard, les trois représentants le mettaient au courant de l’affaire. Une banale histoire de tombeau à désensorceler avant que les moldus ne le découvre. Caractacus réfléchissait déjà à la constitution de l’équipe à envoyer sur place, quand on lui fit part du problème majeur :
« Un moldu, un certain Howard Carter, a installé son chantier dans la Vallée des Rois, sur l’ancienne concession de Théodore Davis. Or, nos hommes, depuis des années, tentent de percer les secrets du tombeau qui s’y trouve. Grâce à des sorts judicieusement utilisés, ils avaient réussi à décourager Monsieur Davis. Mais aujourd’hui, cela ne semble pas fonctionner contre ce Carter. Il a une volonté et une ténacité de fer. »
Monsieur Mahfouz poussa un soupir, puis reprit :
« Il a entrepris de fouiller une partie de la concession qui est, justement, celle où se trouve le tombeau. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il n’atteigne l’entrée dissimulée de la tombe. Nous avons besoin de vos meilleurs briseurs de sorts pour agir au plus vite. J’avoue que nos sorciers sont dépassés par l’ingéniosité des Anciens. Nous n’avons jamais été confrontés à des sorts aussi puissants. »
Caractacus dévisagea l’Egyptien avec surprise. Ce dernier était l’un des meilleurs sorciers de toute l‘Afrique, et ces hommes n’étaient pas non plus des idiots. Pourtant, ils n’avaient pas réussi à briser les sortilèges anciens. Le défi était assez intéressant pour qu’il s’en occupe en personne.
« Eh, bien ! Mon cher Mahfouz, je vais de ce pas évaluer le travail à effectuer, annonça Caractacus. J’établirai un devis pour l’inter…
- Non, pas de devis. Vous êtes engagé sur le champ et tous vos frais seront payés. Quelque soit le prix, il faut évacuer les objets magiques et désensorceler le site avant que les moldus ne comprennent ! »
Le représentant gobelin intervint alors dans la conversation. Ils ne débattirent que peu de temps sur les fonds alloués par les autorités magiques du pays. Mahfouz semblait quasiment prêt à tout pour régler le problème. Ce ne fut que dans l’après-midi que Caractacus comprit l’urgence. Dissimulé par un sort, il avait été sur le chantier de Carter, pour évaluer le travail. C’était à cet instant qu’il avait vu que les moldus étaient vraiment très proches d’atteindre le tombeau. Le sort qui rendait les lieux introuvables, bien qu’encore puissant, ne tiendrait pas longtemps face au travail de fourmi des hommes.
Caractacus put faire fi de ce sort et s’approcher du tombeau. Mais la magie émanant de la sépulture était vraiment puissante. Elle le cloua littéralement au sol, comme un poids lui tombant sur les épaules. Respirer était devenu laborieux, et avancer jusqu’à ce qui fut l’entrée était une épreuve. Le long des murs étaient dessinés de nombreux hiéroglyphes emplis d’une force qu’il n’avait jamais connu auparavant. Il en déchiffra quelques uns, et comprit qu’ici briser les sorts ne seraient pas une partie de plaisir. Surtout qu’il y avait ces maudits moldus qui allaient et venaient en toute innocence. Longtemps après, il repartit. Il lui avait fallu plusieurs heures pour retrouver ses forces, elles avaient été comme sapées par le tombeau. Il avait dû s’organiser car il ne pouvait prendre son temps, non, ce Carter était vraiment trop proche de la vérité. Prudence et diligence avaient été ses mots d’ordre…
Un carillon résonna au loin, Caractacus se secoua pour chasser la nostalgie et les souvenirs. Son premier client venait d’entrer, le travail n’attendait pas.
(1)Naguib Mahfouz est un auteur égyptien (1911-2006), prix Nobel de Littérature en 1988, La Malédiction de Râ, un de ses titres, était, au moment de l'écriture de cette fic, mon livre de chevet ^^. On ne sent pas du tout l'influence XD. Bon, sinon j'ai piqué son nom parce que j'étais à court d'idées ^^
Voilà donc le premier chapitre achevé. Caractus Beurk, ancien briseur de sorts, est une idée saugrenue, je le reconnais. Mais j'espère qu'elle ne déplaîra pas trop ^^. Demain, je mettrais le chapitre 2 en ligne, en attendant vous pouvez soit me laisser un ch'ti mot ;), soit reprendre une activité normale XD.
Bonne journée/soirée.